F.A.U.H.T. APRES FAUTE (2/2)
Frédrik Peltérat, quarante-neuf ans, ex-informaticien et génie dans son domaine de prédilection, fit son entrée dans le Détec, au fond de sa box. Taille quatre, autrement dit, un beau bébé pesant entre 150 et 180 kilos.
Le G.E. pianota de ses doigts survoltés puis rétablit le contact avec ses têtes de Turc.
— Stand-by, les filles. Elle est pas encore arrivée. On doit l'attendre. Ordre du Directeur.
— Ok ! Tu sais, on dit rien pour l'instant. Mais n'oublie pas comment ça a fini la dernière fois... Et apparemment, t'aimes ça, on dirait.
— J'aurais jamais dû lire autant de docs sur le point G masculin.
À la dernière minute, le directeur de la P.H.S., tiré à quatre épingles, surgit dans la salle de contrôle, en appui sur la porte qu'il venait d'ouvrir. Le G.E. tressauta de surprise sur son siège pivotant.
— Excusez-moi, je n'ai pas vu l'heure passer. Je vous laisse avec notre nouvelle employée, Koline. Je suis pressé. À tout à l'heure.
Il referma la porte derrière lui.
— Ah, voici la relève ! s'exclama le médecin, en se frottant les mains.
— Bienvenue à la P.H.S., Koline, enchaîna le G.E.. Je vois que toi aussi, tu as des yeux.
Éclats de rire généralisé excepté pour la concernée, peut-être trop jeune, qui n'avait pas décelé la référence cinématographique.
— Il a osé ! La pauvre ! Bienvenue Koline. Tu tombes bien. En plus, c'est le dernier bilan de la matinée et c'est le pire. Tant qu'il n'y a pas de problèmes, on a carte blanche. Alors on va te montrer ce que c'est que le Détec. Faut qu'on respecte les horaires pour le regroupement au V2 après la pause-déjeuner donc on va commencer tout de suite, d'ac ? Vas-y. Assieds-toi. Si tu as des questions, note-les sur ton tactile. On y répondra devant une barquette de frites. Pour l'instant, faut rester concentrés.
— Enchantée. Merci à tous pour cet accueil chaleureux. OK, pas de souci, acquiesça-t-elle, un peu sur la réserve.
La brunette en tailleur blanc, d'apparence sérieuse pour son premier jour, s'installa et vissa ses yeux noisette sur le retour vidéo. Le silence scientifique se reforma. Le G.E. donna le signal.
— C'est bon, l'équipe est au complet. J'espère que Barbie ne s'est pas déjà fait ken ? Oh ! Elle est bonne celle-là ! Allez, on commence.
Les tentacules mécanisés s'affairèrent derechef à la mise en place du volumineux « cercueil » tandis que les gardiens se chargèrent d'appliquer pour la dernière fois de la journée le protocole de transfert.
Quatre ou cinq par jour, c'était le quota à respecter pour assurer annuellement les mille-cinq-cents passages minimum au Détec et les mille passages annuels minimum au V2 requis par l’État. Et ce, dans les onze P.H.S. de France équipées pour le faire. Cette procédure avait considérablement réduit la récidive.
Les molosses quittèrent la zone et verrouillèrent les portes blindées derrière eux.
Frédrik fit la découverte de Barbie, immobilisée sur la table. Les membres de la Détéquipe espéraient que l'évaluation dérapât, histoire de mettre à l'épreuve les nerfs de la jeune médecin et de vérifier la qualité de sa résistance mentale. Condition sine qua non pour exercer ce boulot.
Les doigts du prédateur se mirent à frôler la fausse fillette : une petite blonde aux yeux bleus, revêtue d'une robe indigo et d'une simple culotte en coton blanche à fleurs. Hyperréaliste. Koline scrutait l'écran, médusée par la scène. Elle observait le thorax de Barbie se soulever de plus en plus vite à mesure que les mains du violeur s'enfonçaient sous sa robe, sans aucun état d'âme. Les écrans qui retransmettaient les variations biologiques et métaboliques du prisonnier clignotèrent à tout-va, accompagnés de leur tintamarre habituel.
— Vous n'arrêtez pas la procédure ? questionna Koline, surprise sans pourtant être dérangée plus que cela à cet instant.
— On attend encore un peu ? suggéra le G.E. en regardant ses collègues, qui dodelinèrent de la tête en guise de réponse favorable et complice.
Koline continua de regarder les attouchements de l'être abominable, tentant coûte que coûte de rester de marbre. En tant que nouvelle arrivante, elle ressentait le devoir de ne pas faire de vagues, quoi qu'elle vît. Quoi que son sens éthique lui dictât.
Frédrik se laissait aller à ses pulsions malsaines, embrassait l'enfant et la caressait intimement. Devant comme derrière. La juvénile respiration s'accéléra. Devint si profonde qu'elle en devint audible pour tous.
— Bon, arrêtez ça tout de suite ou j'appelle le directeur ! explosa Koline, rouge pivoine.
Le G.E. ajusta la valeur du pouls avant d'appuyer sur son « bouton magique » : la touche Entrée de son clavier, sous l'injonction ferme et catégorique de la bleusaille. Le pédophile s'écroula instantanément. De concert, l'équipe se remit à rire à gorge déployée sous le regard ahuri de Koline. Son mentor à lunettes avorta cet instant de malice pour lui expliquer le pourquoi du comment.
— T’inquiète pas, Barbie est habituée. Juste avant, c'était Courtney. Ce sont des realdolls next gen, robotisées. On y voit que du feu, n'est-ce pas ? Certaines, hommes ou femmes d'ailleurs, sont utilisés dans les simulations de soin et d'opérations chirurgicales... Bien ! Sur cette note humoristique, on va pouvoir aller se goinfrer ! Après, on te fera voir le V2.
— Bizutée à peine arrivée… Ça promet ? grinça la recrue.
*****
Repus, les quatre employés traversèrent le couloir gris et morne. Pas un tableau ou une plante n'en rompait la monotonie. Le G.E. se flattait la panse, heureux de la digestion de son sacro-saint poulet-frites-ketchup pendant que Koline laissait déferler son tsunami de questions dans les oreilles du médecin à ses côtés. L'évaluateur et la psy avaient, quant à eux, prit de l'avance.
— Il a été ouvert en quelle année le V2 ?
— Ça fera deux ans le mois prochain.
— 2113 donc.
— Moi aussi j'adorais les maths au lycée, plaisanta le doc.
Koline gloussa, auto-dérision oblige.
— Et pourquoi V2 ?
— Tout simplement parce que c'est la deuxième version. Avant, on tournait à deux sujets par jour grand max. Aujourd'hui, quatre en moyenne. On monte facilement à cinq. Tout le monde l'appelle V2 pour faire court mais son nom honorifique, c'est le F.A.U.H.T. V2.
— F.A.U.H.T. comme une faute ?
— Phonétiquement oui. Pareil. Et ce n'est pas un hasard. Ça veut dire quoi, à ton avis ?
— J'ai ma petite idée, mais je vais attendre avant de sortir une ânerie.
L'équipe se rassembla derrière un miroir sans tain à toute épreuve. Derrière, une salle contenait les quatre détenus de la matinée passés au Détec, confinés dans leur box respective. Le tapis roulant vertical les maintenait inclinées. Chacun des salariés s'installa devant la vitre et ne pipa mot. À l'exception du G.E. qui prit la parole au micro. Le son sortait de l'autre côté.
— Enélia Delmarion. Coupable de vente et de consommation de stupéfiants. Vous êtes passée au Détec en ce matin du 17 janvier 2115 après avoir effectué un quart de votre peine d'emprisonnement. Les résultats obtenus permettent d'affirmer que vous récidiverez, aussi êtes-vous condamnée au passage au F.A.U.H.T. V2, sur ordre de l’État Français par procuration à la Prison de Haute Sécurité de New Paris... Djo Harcourt. Coupable de…
Lorsque le G.E. acheva la lecture des bilans de chaque expertise, il réactiva le tapis. Lentement, les condamnés disparurent dans une pièce hermétique et fermée. Au-dessus de l'ouverture, un panneau en inox gravé avait été vissé au mur et confirmait l'hypothèse de Koline : Four À Ultra Haute Température. Danger de mort.
L'évaluateur se tourna vers elle en joignant bruyamment ses paumes.
— Bon ben voilà, Koko. T'as vu la bête à l’œuvre. Et demain rebelote ! Alors, comment tu trouves ce taff ? Cool, non ?
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