ENTRETIEN (3/3)
— Mais… comment… Je…
— « Mais comment je »… Le grand et souriant Edmond Caza en perdrait-il son latin ? Je vous l'ai dit, je vous connais depuis votre premier bouquin. Moi aussi, j'aime étudier les profils. Les vies. Les passés.
— D'où tenez-vous ces informations ?
— Un magicien ne révèle jamais ses secrets. Oh, mais non ! Vous pouvez continuer l'enregistrement, ça ne me dérange pas du tout.
— Gardien ! J'ai terminé !
— Brad doit être en train de roupiller en ce moment-même. Les habitudes, la petite routine bien huilée à laquelle chacun se raccroche pour se rassurer, pour avoir des repères dans cette jungle immonde… Eh bien, c'est ça qui m'a facilité le boulot à chaque fois. Pourtant, vous devriez le savoir, non ? Ce détail vous aurait échappé ?
— Vous délirez mon pauvre ami ! Vous prenez vos fantasmes pour des réalités ! Gardien ! Gardien ! Non ! Vous, restez assis !
— J'ai besoin de me dégourdir les jambes ! Ma mère disait toujours que j'étais un enfant hyperactif.
— Gardien ! Bon sang ! Qu'est-ce que vous foutez !
— C'est marrant parce que vous dégagez la même odeur que les autres ? Plus forte encore. J'espère juste que vous ne vous ferez pas dessus juste avant que je ne vous arrache la joue, ou peut-être une oreille avec les dents.
— Ne vous approchez pas ! Gaaaardiiiien !
— Oh, vous pouvez défoncer la porte à coups de pieds si ça vous chante ! C'est l'heure de la pause et le seul surveillant postée à cette porte pique un somme. Voilà ce qui arrive quand on ne contrôle pas assez bien les entrées et les sorties de marchandises non autorisées. En toute franchise, je ne m'attendais pas à ce que ce soit aussi facile.
— Ne vous approchez pas ! Je vous préviens...
— Allez-y, j'écoute. Quelle menace proférer à un condamné à perpétuité ?
— Je…
— Vous allez me planter votre stylo dans la gorge ? C'est une solution. Mais vous n'êtes bon qu'à l'agiter sur une feuille de papier, mon bon ami. Vous n'avez pas le « profil » idéal dans cette situation. Enfin… Plus précisément, dans votre position. Car pour moi, Ed, vous avez le profil parfait, là, tout de suite. J'imagine déjà le goût de vos larmes, de votre sang. Peut-être même de votre cervelle accompagnée de petits oignons et d'une sauce à l’échalote. Surtout, n'oubliez pas de mentionner le meurtre inexpliqué de votre femme le jour de votre rencontre avec Matthew Thomann alias le Découpeur de l'Ouest. Comment aura-t-il pu orchestrer cet acte odieux ? Mystère. La suite dans le prochain livre, histoire de tenir vos lecteurs pervers en haleine.
— À l'aide ! Au secours ! Sortez-moi de là !
— J'arriiiiiive.
— Aaaaaah !
— Vous devriez ramasser vos lunettes avant de march… Oups. Trop tard. Elles devaient coûter cher. Les risques du métier.
— Je… Argh… Mon cœur.
— Oui, ça aussi, je savais, Ed. Mais quand même, c'est pas le moment de faire une crise cardiaque. Votre éditrice risque de ne pas apprécier. Allô, Edmond ? Aaaalllôôô ? Bon, eh bien, je crois que la communication a été coupée.
Le gardien entra :
— Bordel de Dieu ! Qu'est-ce qui s'est passé là-dedans ? Qu'est-ce que t'as fait, sale enfoiré ?
— Moi ? Mais rien, Brad. Comment veux-tu ? J'ai les pieds attachés. J'étais en train de répondre bien sagement aux questions de monsieur Caza quand il s'est attrapé la poitrine et… uriné dessus manifestement.
— Fais chier ! Appelez une ambulance !
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