SAM (1 / 3)
Max et Valentine, jeunes parents de trente ans, regardait leur chef-d’œuvre se dandiner sur la table à langer située dans la cuisine :
— Deux mois déjà ! s’exclama la mère, émue. On a tellement galéré pour l’avoir et maintenant il est là.
— Encore une victoire pour Éprouvettes & Co. Y a le bonheur d’avoir réussi, c’est sûr, mais c’est quand même rude les nuits. Je plains ceux qui s’en prennent deux d’un coup. Et je parle pas des autres. Les pauvres !
— T’as vu ça ? fit-elle, désignant l’enfant d’un coup de menton.
— Oui, il me l’a fait hier aussi. Il adore les lumières et les plafonds. Une carrière pro qui se dessine.
— Sauf que ce matin, dans la salle de bains, il regardait dans le vide. Comme s’il suivait quelque chose des yeux. Sam ? Mais qu’est-ce que tu nous fais, hein ?
Valentine chatouilla le ventre de son bébé afin de détourner son attention. Sans effet. Le nourrisson balayait le plafond des pupilles lorsque enfin, ces dernières s’arrêtèrent sur son père, accompagnées d’un sourire soutenu.
— Eh ben voilà ! se réjouit Max.
Tandis qu’il changeait la couche, maman préparait le biberon. Ils alternaient les « postes », comme ils aimaient à le dire, et cette nouvelle micro-entreprise tournait plutôt bien, malgré la fatigue accumulée.
Biberon et change terminés, Max s’empressa d’enfiler sa veste et d’embrasser Valentine une dernière fois avant de partir travailler, rassuré de savoir qu’il serait remplacé à la maison l’après-midi. D’ailleurs, il croisa la mère de Valentine dans l’allée.
— Ah ! Mamie ! Notre sauveuse ! Vous êtes vachement en avance !
— Bonjour Max. J’avais terminé tout ce que j’avais à faire alors je me suis dit qu’un renfort avancé ne vous ferait pas de mal. Pour avoir eu deux enfants à un an d’intervalle, je sais ce qu’on endure. Même avec un seul, ce n’est jamais facile. La fatigue, les disputes, et j’en passe.
— Oh oui ! C’est hard. Le pire, c’est les pleurs à rallonge. Bon ! Je dois vous laisser, sinon je vais être à la bourre. Bon courage !
— De même ! À ce soir !
Max quitta le domicile à bord de son utilitaire. Chaque fois qu’il mettait le contact, il ne pouvait s’empêcher de ressentir un certain soulagement, heureux d’avoir repris, même à 80 %. Voir et faire autre chose, c’était essentiel pour lui.
Mamie Maude tapa à la porte puis entra sur l’invitation beuglée de sa fille. À peine eût-elle foulé le seuil que la liste des choses à faire s’allongea. Vaisselle à laver, aspirateur à passer, poussière à faire… Jamais ce couple n’avait vécu de la sorte. Mais depuis les deux derniers mois, forcément, la donne avait changé. Manque de temps. Manque d’énergie. Manque de courage lorsque temps et énergie, pour quelques heures, semblaient réunis.
— Maman ! Déjà là ! Si tu savais comme je suis contente. Je vais pouvoir enfin aller me doucher. On a fait le dernier biberon juste avant que t’arrives.
— Bonjour Valentine. Eh bien, plus qu’à espérer qu’il dorme un peu. Je pourrai avancer sur le reste. Allez, monte te doucher. Je prends le relais.
Délivrance. Un mot récurrent dans l’esprit de Valentine dès l’arrivée de sa mère. Cheveux ébouriffés, cernes, jambes de yéti... Valentine ne s’attendait pas à manquer d’autant de temps pour prendre soin d’elle. Néanmoins, aujourd’hui, elle avait décidé d’agir. De vivre momentanément pour elle.
Au rez-de-chaussée, mamie Maude contemplait le minois rayonnant de Sam, qu’elle allongea dans le parc. À son tour, elle nota des mouvements oculaires plutôt surprenants, en direction du plafond. Un rictus suspicieux tordit ses rides.
Trente minutes plus tard, pendant que bébé offrait une trêve aux occupants de la maison et que Maude s’affairait à redonner au champ de bataille des allures de pièces à vivre, Valentine réapparut, serviette autour de la tête.
— Victoire ! Je suis lavée et épilée. Pas maquillée, mais c’est déjà pas mal.
— Dis-moi, Valentine, vous n’avez rien remarqué avec Sam ?
— Euh… Si. On dirait qu’il voit je sais pas quoi.
La bouche pincée de sa mère l’interpella.
— Cela fait combien de temps ?
— Quelques jours. Pourquoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? J’aime pas cette tête.
— Je dois te parler de quelque chose, ma fille.
Sur ces derniers mots, le ventilateur du plafond se mit à tourner lentement.
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