RETOUR AUX SOURCES (1 / 1)

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Des vagues de cris en provenance de la rue me réveillèrent en sursaut. Une puissante lumière s’infiltrait dans la chambre depuis les nombreux interstices des volets électriques. Trop puissante pour être lunaire. Debout, je jetai un œil à mon réveil qui n’indiquait plus qu’une potentielle panne de courant. Les hurlements s’intensifiaient à mesure que les volets remontaient. Mon sang ne fit qu’un tour lorsque j’aperçus des corps en lévitation, droits comme des I, les uns figés dans le ciel, les autres en cours d’ascension. Au-dessus d’eux se trouvait l’origine de la lumière, semblable à celle d’un projecteur titanesque. Difficile de le regarder plus de quelques secondes. Et impossible d’évaluer la longueur de sa circonférence à l’œil nu. Peut-être couvrait-il toute la ville.

Au sol, les gens pleuraient, s’égosillaient, constataient que leur téléphone ne fonctionnait plus. Livrés eux-mêmes. Je vérifiai le mien. Idem. Écran noir. Dans la cuisine, l’interrupteur de la multiprise et l’heure sur le four étaient aussi éteints, à l’instar de tout ce qui dépendait de l’électricité.

Blackout.

Revenu à la fenêtre, je vis mes congénères les plus hauts situés être subitement atomisés, ne laissant retomber que leur tenue de nuit. Ma gorge s’asséchait, je commençais à sentir les effets de l’adrénaline et du cortisol.

Aucun animal. Que des humains. Hommes. Femmes. Adultes ou vieillards. Mais pas d’enfants. Tiens, d’ailleurs…

— Shad ?

Pas d’aboiement. Bizarre.

En me rendant dans le salon de mon appartement, je trouvai mon épagneul endormi, ronflant paisiblement.

— Shad ? Eh oh ?

Il dormait d’un sommeil anormalement profond. Le secouer, lui tapoter la tête ou le retourner demeura sans effet. Au moins, il respirait.

Des pas dans l’escalier de l’immeuble captèrent mon attention. J’ouvris la porte.

— Stéphane ? T’as vu ça ?

Mon voisin d’en face descendait les marches tel un zombie. Je l’approchai pour lui poser une main sur l’épaule, finissant par user de fermeté pour croiser son regard. Ses pupilles apparaissaient minuscules, le blanc de ses yeux injecté de sang. Je le laissai reprendre sa marche en direction du rez-de-chaussée et m’enfermai chez moi. À double tour.

Je regagnai mon poste d’observation, la peur au ventre, sans savoir quoi faire à part observer la scène surréaliste qui se jouait dehors. Des nuées d'individus rejoignaient les hauteurs pour y être désintégrés. Stéphane finit par apparaître à la vitre en caleçon, lévitant à son tour. Suffisamment éloigné du mur, je ne pus qu’assister, impuissant, à sa suppression. Son caleçon tomba tel un oiseau tué en plein vol.

Parents décédés, vie sociale désertique, hormis Shad, je n’avais personne à retrouver ou protéger, sinon peut-être une poignée de collègues dont je pouvais me passer. Une bonne demi-heure d’étude visuelle plus tard, la situation évolua enfin. Plus aucun corps ne décollait. Tous les autres n’étaient plus que particules. Alors, la lumière s’atténua, tamisée. Devant mes yeux aussi terrifiés que fascinés se tenait figé un vaisseau trop pharaonique pour en décrire l'aspect. Je me sentais comme sous une montagne. Du reste, sans lvisibilité qu’offrait l’engin, la ville aurait été plongée dans le noir absolu.

D’innombrables trous lumineux se formèrent sous l'appareil, ouverts en spirale à la manière des lamelles de diaphragme de certains appareils photo. De ces larges ouvertures émergèrent des silhouettes humanoïdes de deux à trois mètres, sveltes, musculeuses. Depuis ma position, je constatai que seule la taille les différenciait. Ce qui leur servait de tête avait la forme d’un médiator. Chacun lévita lentement vers le sol. L’un deux atterrit en bas de chez moi. Ni globes oculaires, ni nez, ni oreilles, ni bouche. Une simple lisse, sans face reconnaissable. D’une symétrie parfaite. Pas de vêtements, pas de fessier. En réalité, seules les extrémités permettaient d’en distinguer le recto du verso.

Je me retournai afin de consulter mes posters et photos punaisées. De mémoire, rien dans mes archives d’ufologue passionné ne correspondait à cette race-là. Une part de moi se sentait exaucée. Je l’avais toujours su. Et les récentes révélations de David Grusch, ancien officier du renseignement américain, n’avaient rien d’une coïncidence. Peut-être était-ce une invitation voilée à nous préparer à cet évènement sans précédent. Peut-être que le gouvernement des élites savait que cela allait se produire.

Malgré la peur d'y rester, l’ardente envie de sortir et d’étudier ces êtres au plus près m’envahit. Après tout, s’ils avaient voulu m’éliminer, j’aurais sûrement été attiré là-haut pour y rejoindre la dimension quantique. Parmi les données récurrentes à leur sujet figuraient une technologie bien plus avancée que la nôtre et des connaissances scientifiques plaçant nos meilleurs spécialistes au niveau du ridicule. Et si je devais mourir cette nuit, autant que ce fût avec davantage de réponses.

Shad dormait toujours. Je m’habillai, décidé à quitter mon terrier. Je dévalai l’escalier, le cœur compressé par l’excitation d’un côté et par effroi de l’autre. La porte d’entrée à digicode franchie, je me retrouvai à une dizaine de mètres de mon rêve de gosse : la phénoménale, l’incroyable, la tant attendue confirmation historique de ce qui ne constitutait qu’une évidence pour les fous de mon type. Comment l’infini n’aurait-il pu accueillir que notre race de barbares primitifs ? Quelle prétention typiquement terrienne que de se croire unique dans un univers qui le dépasse et de loin.

Il attendait là. Nu mais asexué. Gracile. Immobile. La lumière luisait sur sa peau anthracite et luisante, presque identique à celle d’une otarie tout juste sortie de l’eau. Ses mains et ses pieds présentaient six doigts. Deux majeurs. Autour, le peuple avait fui. Quelques beuglements et éclats de larmes ponctuaient le calme ambiant. Pas un bruit de moteur, pas un seul vrombissement ou ronronnement n’émanait du vaisseau. En dépit du génocide qui venait d’avoir lieu, je ressentais un semblant de paix, de retour aux sources, sensation plaisante qui me ramena à l’époque COVID du premier confinement de masse.

Une voix mentale résonna soudain dans ma tête :

« Humains, c’est à tous, en tout lieu de votre système, que nous nous adressons dans votre langue locale. Vous n’avez pas assez appris de vos erreurs. Vous les répétez sans fin. Mais nous sommes en partie responsables de la destruction continuelle que vous infligez à cette planète. Nous intervenons pour avorter cette phase de l’expérience évolutive. Vous devez désormais savoir que ce n’est pas Dieu, ou peu importe le nom que vous lui donnez, qui vous a créés, mais nous. Vous n’êtes que le résultat de modifications génétiques extrêmement poussées. Vos religions sont délétères, altérées par la manipulation. La recherche de paix et d’entraide suffirait pourtant à la résumer. Vous avez eu des centaines de milliers d’années de vie pour le comprendre, pour grandir, apprendre et tirer les leçons de vos choix. Nous espérions que le processus fût plus rapide. Néanmoins, certains d'entre vous ont atteint le seuil de conscience espéré, quoique rares. C’est pourquoi nous avons choisi de modifier les conditions d’expérience en récupérant les énergies défaillantes. Soit, en arrondissant, 75,24 % de votre population globale. Nous les réintégrerons progressivement, au fil du repeuplement raisonné de votre espèce. Nous croyons en vous. Nous n’avons pas créé tout cela pour l’annihiler en une fraction de seconde. Vous avez maintenant la responsabilité de restaurer votre milieu et de mettre un terme à la sauvagerie humaine. Ce n’est pas la première fois que nous opérons de la sorte, mais nous souhaitons aujourd’hui que ce soit la dernière. »

Sur ces derniers mots, le messager repartit ainsi qu'il était venu, à l’image de ces semblables. Les trous blancs se refermèrent et le colosse métallique s’éloigna avec nonchalance, avant de disparaître à la vitesse de l’éclair. Je ne pus retenir le fond de ma pensée :

— Vous en avez mis du temps...

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