Partie 1 One Dollar, Baby. Des éléphants et du café

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Il est là, il m’attend, me regarde fixement avec ses yeux ronds. Massif, imposant, l’équivalent de quatre éléphants à peu près, un cube de pachydermes. J’en fais le tour pour apprécier son volume. Large comme une maison, long comme ce jour sans fin, étincelant sous les rayons du soleil, le monstre est impressionnant. Je le jauge du regard, il semble totalement hermétique à toute tentative d’approche. Pourtant, je sais que je vais le dompter, je gagne à chaque fois, considérez cela comme un don ou une fatalité, pour moi, c’est juste comme ça.

La nuit d’avant, je l’avais passée dans un avion, coincée sur le siège du milieu. À ma gauche et à ma droite, se trouvaient les deux éléments d’un couple nouvellement formé qui partaient en lune de miel. Quand je leur ai proposé de se rapprocher, ils ont refusé. Ils devaient en être à la saison Deux de leur première dispute et m’ont imposé le rôle de spectatrice dans leur duel à fleurets pas du tout mouchetés. La raison de leur désaccord, je ne l’ai pas saisie et franchement, je m’en fichais royalement.

Le vol était long et les rancœurs accumulées entre l’amoureux et la bien aimée semblaient infinies. Le combat ne cessa que lorsque la belligérante, peut-être à court d’arguments, goba un petit cachet blanc. Instantanément ou presque, elle s’endormit. Le mari me demanda d’échanger nos places. En repositionnant sur elle la couverture prêtée par la compagnie, il la regarda d’un air attendri. Dans son sommeil, elle sourit. Je les ai trouvés tellement dégoulinants de romantisme que j’en avais presque envie de gerber. Mais sans leurs perfidies en stéréo, je pouvais enfin réfléchir.

On m’avait proposé un plan quelques jours auparavant, j’avais accepté sur un coup de tête et j’étais partie, comme une furie, destination Los Angeles. Pourquoi j’avais dit oui ? Je n’en savais rien. Je faisais n’importe quoi depuis un moment. Fringues jetées à la va-vite dans un sac, billet pris en ligne, taxi jusqu’à l’aéroport et voilà. Il fallait seulement que je peaufine les derniers détails. Qui allais-je incarner cette fois ? Trouvé ! Je serai une fille nunuche, prête à plonger dans l’aventure et dans l’amour. L’actuelle pyramide de glaçons sans cœur que j’étais allait se métamorphoser en une flaque dans laquelle on aurait envie de se noyer, un maelström endormi déguisé en miroir mystérieux L’exact opposé de ce que je suis. J’allais m’amuser.

Mon sac sur l’épaule, je rejoins la sortie. Après l’attente au comptoir de location dans une ambiance polaire de climatisation à l’américaine, la chaleur de l’extérieur me tombe dessus. Tout est brûlant, le fond de l’air, le vent qui caresse ma peau, la réverbération du métal et du verre. Décalquée par le décalage horaire, je frissonne de froid, de chaud, de fatigue. Mon thermostat ne fonctionne encore pas. Mes pas me conduisent sur le parking. Place R67.

Mon rencard est là. Quatre éléphants à dompter. En fouillant dans ma poche, je trouve le boîtier. Clic. Les clignotants me font un clin d’œil, la porte latérale coulisse et j’entre. Combat gagné, je vous l’avais dit. L’intérieur est encore plus grand que ce que j’avais imaginé : lit King size, salle de bains, cuisinette bien équipée. C’est un peu kitch, un peu américain. Il y a tout ce qu’il faut dans cette maison argentée à roulettes. Je range mes réserves de chocolat dans un des placards, traverse le couloir et m’installe sur le siège conducteur. Il me reste encore une chose à faire, je sors de mon sac une petite boîte. En ouvrant le couvercle, je me demande si je m’habituerai rapidement aux métamorphoses que son contenu va provoquer.

Je baisse le pare-soleil, le miroir apparaît. Mes iris noisette-pistache ont disparu. Mes yeux sont bleus, infiniment bleus et infiniment faux. Comme moi désormais.

Premiers miles au volant. Ça va, je vais gérer. Je n’irai pas vite, j’irai longtemps. La bestiole et moi, nous nous apprivoisons. Je vais à Amboy avec le mastodonte, ne me demandez pas pourquoi, je ne vous répondrai pas. Je roule fenêtre ouverte, mes cheveux rayent mon visage, pas de clim, je veux les odeurs, les couleurs, sans aucun filtre, ni colorama.

Je m’arrête souvent dans des bleds paumés de l’Ouest américain. Je veux m’imprégner de cet endroit, l’aspirer sans relâcher dans un souffle les sensations capturées. Accroupie à l’ombre du camping-car, je prends du sable entre mes mains, le laisse glisser entre mes doigts. Comme si attraper cette terre dorée pouvait m’aider à ancrer de nouveau ma vie dans le sol.

Je m’approche de ma destination. Je roule depuis des heures. La route est rectiligne, je vais m’endormir, il ne se passe rien. Enfin, le bled. Plus isolé, tu meurs. Je me gare. Devant moi, un motel. Roy’s, ça s’appelle.

J’ai faim, j’ai soif et il me faut du café. J’imagine qu’en entrant, je pourrai trouver tout ça.

À l’intérieur, cela ressemble à un diner américain, comme ceux qu’on a tous vu à la télé. Un long bar, des tabourets, des vitrines pleines de nourriture. Je ne sais même pas quelle heure il est.

Je m’installe au comptoir. Je commande n’importe quoi, et surtout un truc plein de caféine.

Je tourne la tête. Un type à côté de moi. Grand. Il ressemble à quelqu’un d’ici. Il me sourit.

Rien à faire de lui. Mon coffee arrive. La priorité, c’est ça.

Le type parle, je n’écoute pas. Il insiste. Je finis par me retourner. Il baragouine un truc. Je ne comprends pas. Je ne parle pas anglais.

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