One dollar, Baby

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Lily Rose, dans sa petite tenue bleue, fait d’incessants allers-retours entre les clients attablés et sa machine à kawa. Sans arrêt, elle remplit des mugs et adresse des sourires. Certains gars en profitent pour reluquer avec insistance son décolleté, elle laisse faire. La majorité de ces types passent leurs journées dans la fournaise du désert à collecter le sel de l’usine toute proche, alors elle considère que le peu de réconfort qu’elle apporte à ces forçats fait partie de son job. Elle est comme ça Lily Rose, prévenante, attachante, pourtant, je ne la connais que depuis deux jours.


Je suis arrivé au Roy’s un peu par hasard, beaucoup parce que je ne savais pas trop où aller. J’ai garé mon RAM devant les cabines abandonnées puis je suis entré. Une flopée de motards se rinçait le gosier à coup de bières. Tous, assis sur les sièges en skaï du comptoir, chantaient des trucs incompréhensibles. Leurs voix couvraient le son nasillard qui sortait d’un vieux juke-box et je voyais bien que le vacarme qu’ils expulsaient, fatiguait la serveuse. Quand elle m’a vu, elle s’est dirigée vers une table et a passé un coup d’éponge dessus. D’un signe de la tête, elle m’a indiqué que je pouvais m’y asseoir.

Sorry for the noise, elle a dit. Do you want to eat something ?

Yes. Have you pancakes and coffee ?

Sure. My name is Lily Rose. And you ?

Elle m’a dit ça en me balançant un clin d’œil. Je lui ai renvoyé.

Marsh, my name is Marsh. Nice to meet you Lily.

Elle est revenue alors que les bikers quittaient le bar. Dans une assiette, une dizaine de crêpes plus épaisses les unes que les autres, n’attendaient que mon estomac. Elle l’a posée sur la table avec un pot de beurre de cacahuète et un autre de marmelade d’orange. Un régal, mouais. Puis, elle m’a servi le café. Merde, le jus qui coulait avait la couleur de l’eau de lavage du sol. Le goût aussi. Insipide, imbuvable. On a discuté un long moment, de tout, de rien et je lui ai dit que je comptais rester deux ou trois jours. Le motel est fermé, s’est-elle excusée, puis elle a rajouté que je pouvais me servir de la douche si je voulais. Je ne me suis pas fait prier. Ensuite, j’ai passé la nuit dans mon pick-up à compter les bagnoles qui essuyaient leurs pneus sur cette mythique Road 66. Au petit matin, je suis retourné au comptoir, depuis, j’y suis accoudé.


La journée passe. Je me dis que je vais reprendre la route et pousser jusqu’à Barstow, que là, j’aviserai sur ma future destination. Une dernière goulée de bière…

Ma canette de Bud finit sur le comptoir lorsqu’une brune incendiaire franchit la porte du Roy’s.

Je ne vois qu’elle dans le nuage de poussière de son sillage. Elle s’avance vers le comptoir. Ses grands yeux bleus, délavés par la fatigue, n’implorent qu’une chose, du café. Elle s’assied, commande un truc dégueu, je crois qu’elle ne le sait pas. Je n’ai pas entendu ce qu’elle disait, mais Lily Rose lui adresse une drôle de bobine. Son kawa arrive. Elle le porte à ses lèvres, fait la grimace. Je lui parle.

Not very good coffee here, is it ?

Elle ne me répond pas, m’ignore… tant pis.

Maybe another time then, dis-je.

Les Yeux Bleus se tournent enfin vers moi. Je tente ma chance.

My name is Marsh…

Son regard me supplie de ne pas continuer, je crois qu’elle ne comprend pas. Elle hausse les épaules, se lève puis se dirige au juke-box. Elle fouille dans une poche, en extrait une pièce, tire la gueule. Je me doute qu’elle n’a pas la monnaie adéquate. Avant qu’elle n’arrive au comptoir, je lui envoie avec le pouce le bon diamètre. La pièce tournoie, elle l’attrape au vol.

One dollar, baby.

Les Yeux Bleus clignent en sourire.

Le juke-box pleure en grésillant un vieux rockabilly des fifties. La brune se recule d’un pas, esquisse quelques pas de danse. Moi, la musique me propulse trois jours en arrière, à Bluff, dans l’Utah.

Je sortais du Cadillac Ranch où j’avais passé la nuit dans la benne de mon RAM. J’avais pas fermé l’œil à mirer les étoiles d’un ciel parfait. Le genre de spectacle qui te fait aimer la vie et qui te réconcilie avec les casseroles que tu traînes au derche.

Shauna, la patronne, m’avait préparé une mixture à réveiller les morts et m’avait fait griller des tranches de bacon. En partant, je lui avais claqué une bise sur une joue, elle m’avait répondu en me mettant la main au cul. Une chaudasse cette Shauna, mais je ne pouvais pas rester, je devais rallier L A, et il ne me restait que deux jours pour y arriver. Un job de laveur de bagnoles m’y attendait.

En face du Cadillac Ranch, il y avait une banque… et un truck marqué aux initiales « BOU », Bank Of Utah. La porte arrière du camion était ouverte, personne ne surveillait.

Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai pas résisté.

J’avais garé la caisse à côté du camion et je m’étais servi. Deux sacs remplis de billets verts de 500 dollars. Une fortune pour un type comme moi.

Depuis, je suis en cavale et hier, je suis arrivé au Roy’s.

Les Yeux Bleus revient s’asseoir au bar, elle se jette une dose de café, refait une grimace puis se tourne vers moi.

– Merci pour la pièce, dit-elle.

Mince, elle est française.

– De rien.

– Mais vous parlez ma langue !

– Yep, je suis originaire du Sud-Ouest de la France.

– Excusez-moi pour tout à l’heure, mais je n’ai pas compris ce que vous me disiez. Je croyais…

– Que j’étais un local qui vous draguait.

Elle fait oui de la tête. Ses cheveux ondulent.

– Bon, je vais reprendre la route, dit-elle.

– Vous allez où comme ça ?

– Partout, nulle part. Je n’ai pas de destination précise et du temps devant moi.

– C’est cool. Ben, bonne route, dis-je un peu désolé. Peut-être qu’on se reverra on the road ?

Maye bee, qu’elle répond en riant.

Les Yeux Bleus ne touche pas à son assiette de fayots et ne finit son kawa dégueu. Elle lâche un billet puis sort. J’en ai fait de même. Moi non plus je ne sais pas où je vais, mais j’y vais… ou pas.


Je grimpe dans mon RAM puis tourne la clé de contact… rien. Le moteur ne démarre pas. Je vais pour descendre quand une bagnole de flic, dans un nuage de sable, se gare devant le Roy’s. Je m’aplatis sur les sièges, essaye de lancer l’engin. Que dalle, il ne veut rien savoir. Merde, ça pue. Les poulets sont là pour moi, aucun doute. Ils ne vont pas mettre huit jours pour me dénicher, je suis cuit. Mais je ne vais pas me laisser attraper comme ça, le désert est grand. Je prends un sac, ouvre la portière pour me tirer, lorsqu’un camping-car immense manque de m’écraser les pieds. La porte latérale coulisse. Les Yeux Bleus se tient dans l’embrasure. Elle m’adresse un signe de la main, je m’engouffre à l’intérieur.

– Vers où va-t-on ? demande-t-elle.

– File sur la 66 plein Est. Dans dix bornes tu prends à gauche sur la Kelbaker Road.

La bestiole démarre en douceur, la brune ne fait qu’une avec elle. Un mastodonte apprivoisé entre les mains d’une fille au regard océan. Je crois que je pourrais me noyer entre les vagues de ses prunelles.


À l’arrière, un lit king size appelle mon envie. Je m’y allonge. Trois secondes après, des anges m’entourent.

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