Un ange ? Non

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Mon boulot dans la vie, c’est tueuse. Tueuse à gages.

Je bosse pour une agence qui a inventé un concept tordu, un truc dégueu, abominable… Le principe est simple, bête, on se demande comment ils ont été les premiers à trouver cette idée. Les clients nous contactent quand ils ont quelqu’un à éliminer, mais ce serait trop simple si ce n’était que ça. Pour que la vengeance soit la plus efficace possible, les cibles doivent souffrir. Non, pas en les torturant, en tout cas pas physiquement. Ce qu’on fait est bien pire, c’est pervers.

Dans la vie, on a tous des rêves, des envies de réussite, d’amour, de gloire, d’accomplissement personnel et on cherche à les atteindre comme on peut, souvent sans y arriver. Si personne ne vous colle un contrat sur la tête, ça s’appelle la vie, avec ses réussites et ses échecs.

Quand on gère les « disparitions à venir », le service Planification Opérationnelle de l’Agence met tout en œuvre pour que les cibles atteignent leurs rêves et accomplissent tous leurs désirs. Comme par magie. On les propulse en haut des hiérarchies, on les fait devenir riches, et le truc qui marche à chaque fois, on s’arrange pour qu’elles tombent amoureuses. Direct au Nirvana. On a tous les moyens possibles et imaginables pour entrer dans la vie et dans la tête des futurs assassinés. Informateurs sur place, accès aux comptes bancaires, aux téléphones. On colle des mouchards sur les bagnoles. On les suit, les mate, les observe tout le temps, partout. Où qu’ils soient et quoi qu’ils fassent. La boîte prend le temps, pas de pression. Seul le résultat compte. L’Agence est animée du goût du travail bien fait. La moindre prestation coûte une blinde, mais les clients ne sont jamais déçus.

Quand on a bien pipé les cartes, les dés, la partie, quand le pauvre bougre qui se trimballe avec une cible dans le dos sans le savoir se dit qu’enfin la vie le gâte, qu’il est au plus haut du manège, qu’il ne peut rien souhaiter de plus… On le liquide. C’est aussi simple que ça. Pervers et dégueulasse, je vous avais prévenus.

Mais il y a encore pire que ça, le client a deux options et je ne sais pas laquelle est la plus terrible. Qu’est-ce qui motive le choix un ou deux ? Quelle rancœur, quelle haine, quelle colère peut être si forte et malsaine pour vouloir faire du mal à ce point-là ? Je ne sais pas.

Dans le premier cas, on descend le gars (ou la fille) quand il est au zénith. On fait propre, sans douleur. Il n’a même pas conscience qu’il descend du manège en marche. Il meurt et basta. Il en a profité et ça s’arrête. Il a peut-être un ou deux regrets au moment où on le flingue mais, généralement, il n’en a pas le temps.

Dans le deuxième, on descend la cible pendant qu’elle est consciente des changements positifs dans son existence. On veut qu’elle se rende compte de tout ce qu’elle est sur le point de perdre. Et là, vous n’imaginez pas la lueur du désespoir dans les yeux de celui qui comprend. Les clients “option 2” nous imposent de lui laisser le temps de bien réaliser. Pour certains, il faut quelques secondes, pour d’autres quelques minutes pendant lesquelles on lui résume l’envers du décor. On lui retire du nez le parfum de la réussite. On l’abandonne avec sa souffrance et Bam, on le dégomme.

Ensuite, il reste quelques formalités pour valider l’exécution du contrat et le fric arrive par virement sur le compte du tueur. Simple et efficace. C’est mon métier, et des missions comme ça, j’en ai déjà réalisé tout un tas. Éteindre les étincelles, je suis payée pour cela.

Pour le type qui est tout en haut de ma liste aujourd’hui, le process est le même que d’habitude. Observer. Tenter. Éliminer. On a exploré sa vie, ses relations, ses envies. Et on a mis des appâts sous son nez, régulièrement. Le camion de la banque avec les portes grandes ouvertes, vous croyez que c’était une erreur des transporteurs de fonds ? L’endroit où il irait se planquer, le Roy's Café, on l’avait identifié Il était pile poil au milieu de l’itinéraire qu’il devait prendre pour regagner son nouveau boulot. Offre de boulot qu’on avait arrangé, évidemment. Les gens ont tous les mêmes réflexes quand on y pense, nous, notre job, c’est de les anticiper. Le fait qu’il craquerait devant une fille qui ne le calcule pas et que sa bagnole tombe en panne au moment où les flics passent, des coïncidences ? Ben, non. Tout était déjà écrit. Qu’il perde au Casino, et qu’il se mette à gagner dès que j’apparais, c’était un miracle ? Toujours pas. Tout était prévu dans les moindres détails, je vous dis. D’ailleurs, c’est au Bellagio que j’ai finalisé la mission. Je l’ai amené exactement à l’endroit arrangé en le laissant croire que c’était lui qui décidait. Il était fier de débouler dans cet empire du fric avec une poupée bien roulée à ses côtés. Je l’ai laissé s’installer à la table de poker, j’ai minaudé en lui disant que j’allais taquiner les bandits manchots et j’ai retrouvé à l’extérieur un « collaborateur » qui m’a remis le flingue et un sac plein de blé, « gagné » aux machines. Il fallait que Marsh croie que j’étais une fée, un ange, son ange.

Il était déjà bien haut sur son échelle des rêves et souhaits, j’étais presque sûre qu’il était en train de tomber amoureux, il ne fallait pas tarder à faire le taf. Ce soir, après sa victoire contre le gars aux dents dorées de la table de poker, c’était ce qui était prévu au contrat.

Le commanditaire, je ne le connaissais pas, mais il nous avait imposé un truc. Marsh devait se rendre compte, au tout dernier moment, qu’il allait tout perdre, irrémédiablement. Que tout ce qu’il avait pu convoiter était maintenant entre ses mains et qu’il allait mourir sans jamais en profiter. Conscient. Il fallait qu’il en bave. Des ronds de chapeaux.

Mais, dans cette mécanique parfaitement huilée, il y a un truc qu’on n’a pas vu venir.

Pour une fois, la première fois, je n’ai pas envie d’aller au bout de ma mission.

Flinguer ce Marsh qui est en train de vider le minibar avec les yeux qui brillent et son sourire d’enfant, je n’y arriverai pas. En tout cas, pas ce soir.

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