Two guns

6 minutes de lecture

Un mal de tronche abominable me tire des bras de Morphée. Ça cogne fort, j’ai l’impression que ma tête va exploser. Difficilement mes paupières se soulèvent aux rythmes des pulsations de mon cœur. Un nuage de vapeur m’entoure.

Où suis-je ?

J’ai du mal à reconnaître l’endroit. La première chose que je distingue, c’est un lustre gigantesque accroché au plafond. Il est flou, mais je devine qu’il ne ressemble à rien. Je tourne la tête lentement à droite puis à gauche. Je suis dans une pièce. De ce que j’en perçois, elle fait trois fois la taille du taudis qui me servait de piaule en France. Contre les murs, j’aperçois des tableaux, mais je suis incapable de voir ce qu’ils représentent. J’étends mes bras.

Merde, c’est quoi ce truc dans lequel je suis lové ?

La vache, c’est de la soie. Rose, mais de la soie ! Je crois que c’est la première fois que je me retrouve enveloppé de cette matière. C’est doux et chaud.

Mais bon sang, où suis-je ?

Il me faut plusieurs minutes pour que le brouillard qui englobe mon cerveau s’estompe un peu. Je me souviens, je suis dans une chambre au Bellagio. Merde, c’est vrai, j’ai fait sauter la banque hier et cette nuit j’ai vidé le mini bar. Aucune bouteille n’a résisté. Tu m’étonnes pour le mal de caboche ! Ma dernière cuite remonte à des années et je ne me rappelais plus que le réveil qui suivait était aussi difficile. Mais à part ça, je me sens presque bien. Je soulève le drap… Ah ouais, ça va…

Je me lève et me dirige vers la salle de bain. Une mélopée me parvient aux oreilles. La porte n’est pas complètement fermée, je tente un regard. Les Yeux Bleus se prélasse dans une baignoire grande comme une piscine. Elle ne me voit pas. De la mousse déborde du bassin, ainsi que des pétales de roses. Ses cheveux noirs rayent son visage… un ange.

Je me demande si elle n’aurait pas envie que je la rejoigne. Un peu de gymnastique ne nous ferait pas de mal et chasserait mon mal de tronche. Je fais un pas quand une alarme sonne dans mon cerveau.

Marsh, arrête-toi et réfléchis un peu à tout ce qui t’arrive depuis quelques jours.

Ça ne te semble pas bizarre tous ces événements en si peu de temps ?

Tu trouves un paquet de pognon exposé comme dans un supermarché, tu te fais ramasser par une gonzesse au milieu du désert, t’exploses la banque d’une table de poker… et tu te réveilles dans une chambre à 2 000 dollars la nuit avec une poupée dans la baignoire.

T’es un abruti ou quoi ?

Réagis mon gars, même si t’as la tête qui fume !

Si, c’est vraiment étrange. Surtout que je ne vivais de rien jusqu’à maintenant et surtout quand on sait pourquoi je suis venu me perdre dans l’Ouest.

Une partie de ma vie d’avant, je l’ai construite sur un des seuls atouts que j’ai, et il n’est pas dans mon cerveau. Plutôt entre mes cuisses. J’étais gigolo. Pas très glorieux comme job, mais je n’avais trouvé que ça à la suite d’une période de ma vie sur laquelle je ne m’étendrai pas. Les femmes virevoltaient dans mes bras, je leur donnais ce que d’autres leur promettaient, j’assouvissais leurs désirs cachés alors que j’enterrais les miens. Mes tarifs à la semaine n’étaient pas prohibitifs, ils attiraient néanmoins une clientèle relativement aisée, même si j’opérais une sélection. Puis un jour, une fille est venue me trouver à la terrasse d’un café de Bonifacio.

Elle s’appelait Clara. Une crinière de feu, des yeux d’un noir si profond que je n’en distinguais pas la fin, une poitrine à damner un saint, des jambes si longues que, même là, rien que d’y penser, j’ai… Nous avions passé sept jours inoubliables sur la presqu’île de la Rondinara, jusqu’à ce qu’elle m’apprenne qu’elle était la fille d’un mafieux du coin. Tony, dit Tony les bras longs, parrain d’une famille corse réputée pour sa sensibilité au niveau du doigt qui appuie sur la détente.

Clara avait insisté pour que je l’accompagne chez son père. Malgré mes principes j’avais cédé. En chemin, elle m’avait dit qu’elle était amoureuse de moi et qu’elle voulait m’épouser. La tuile. Je crois que je n’ai pas ouvert la bouche de tout le reste du trajet. On est arrivés devant une bergerie retapée en maison d’habitation, trois bâtiments entourés de hauts murets de pierres sèches, mais aussi de gardes armés jusqu’aux dents.

Son père nous attendait sur la terrasse, il m’a serré dans ses bras comme si je faisais déjà partie de la famille. À la fin du dîner, il m’a attiré dehors pour me parler de l’organisation de mon alliance avec sa fille. Droit dans les yeux, je lui ai dit que je ne voulais pas me marier. Autant dire qu’il ne l’a pas entendu de cette oreille, la droite, parce qu’il n’avait plus la gauche. Arrachée lors d’un règlement de compte à couteaux tirés. Je me rappelle encore sa colère, j’en menais pas large, surtout quand deux molosses sont venus m’entourer et m’ont enfermé dans une piaule. J’entendais Tony gueuler dans toute la maison. Il disait que les Français étaient tous les mêmes, des lopettes, mais que, comme j’avais déshonoré sa fille, je me marierais de gré ou de force. À l’évidence, ça sentait le roussi pour mon derche. Alors…

J’ai attendu la nuit puis j’ai ouvert la fenêtre. La chambre n’avait pas de barreaux, comme toutes les chambres. Je ne sais pas pourquoi Tony m’avait fait enfermé là. J’ai sauté. Le premier bateau que j’ai trouvé m’a ramené sur le continent et le premier avion m’a expédié dans l’Ouest sauvage des States.

Depuis, je vis comme je peux, mais j’ai laissé tomber mon ancien job. Enfin, quand je dis laisser tomber…

Mon mal de tête s’estompe maintenant que je me rends compte que je me fais mener par le bout du nez. Tout cela est trop beau pour être vrai. Mon ange… Tu parles, je suis tombé dans le panneau.

Elles sont où ses affaires à l’ange ?

Je fouille un placard, un autre. Tombe sur un sac… Je l’ouvre, soulève des vêtements… Merde, j’ai raison… Un flingue. Vite, je le referme et me redresse lorsque dans mon dos :

– T’es réveillé Marsh ? me demande Les Yeux Bleus.

– Ah, c’est toi !

J’espère qu’elle n’a pas capté ce que je faisais. Je reprends.

– Alors, t’as bien dormi ?

– Nickel. Le plumard est confortable et grand.

– Mouaip… Dis-moi, tous les deux on a… ?

– Dans tes rêves… Dis, tu voudrais pas enfiler un caleçon, parce que là…

– Mince ! Je vais prendre une douche… froide.

On sort du Bellagio, sans oublier de passer à la caisse centrale pour récupérer le chèque dont je tairais le montant. Puis, on a rejoint la bestiole. Elle nous attend bien sagement sur sa place de parking. J’avoue, je ne suis pas serein. Je me demande comment je vais me sortir de ce merdier et je ne connais pas la solution. D’abord se barrer de la ville, après j’aviserai.

Mais c’est sans compter sur les imprévus. Ceux-là, ils te tombent sur le coin de la gueule quand tu t’y attends le moins. Sinon, ce n’est pas rigolo.

Et là, l’imprévu il a la bobine de Dents dorées. À voir son sourire et le flingue qu’il pointe sur moi, j’suis pas sûr de finir la journée. Croiser deux calibres en même pas deux heures, c’est pas top pour ma pomme.

Dents dorées s’approche à un mètre de moi.

– Salut mec. Comme on se retrouve. Tu fais moins le malin maintenant. Donne-moi le chèque ou je te fume.

Son haleine renâcle le poisson pourri. Ce gars n’a pas dû se laver les crocs depuis trois semaines. Mais il me fout quand même la trouille. J’me tirerai volontiers en courant avec mes grandes jambes… Grandes jambes… Les Yeux Bleus râlait hier lorsqu’elle réglait le siège du van. Ça me donne une idée, pourtant, je pourrais me débarrasser de lui différemment.

Le coup part. Fulgurant. Dents dorées ne voit rien, mais ressent. Ses baloches, dans un souffle puissant, remontent à la place de ses amygdales. Il en crache une ratiche, puis s’effondre les mains sur ses parties.

En courant, j’attrape Les Yeux Bleus, et ensemble, on file au van.

Elle prend le volant et tchao Las Vegas.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Marsh walk ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0