Sunglasses in front on your blue eyes

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Je reste assis un long moment sur le king size le regard perdu dans le vide. Ça cogite sous ce qui me sert de cafetière, je me refais ce very bad trip en long en large et en travers. Je n’étais pas sûr de quoi que ce soit depuis plusieurs heures, et là encore moins. Par contre, ce que je sais, c’est qu’il ne faut pas que je cherche Les Yeux Bleus. Cette nana a du répondant. En un coup, elle m’a retourné comme une crêpe, m’a propulsé sur le lit et m’a mis en garde. J’ai pas intérêt à sortir le matos en sa présence, je ne voudrais pas recevoir un 38 fillette dans le bas-ventre. Rien que d’y penser, j’ai… J’ai cru aussi qu’elle allait m’embrasser, mais non, pas de bol.

En voyant son flingue tout à l’heure au Bellagio, j’ai tout de suite compris. Mon ange n’est là que pour m’envoyer au ciel. Remarque, pour un ange… Je dois être maso, revenir avec une machine à café alors qu’elle ne veut que me tuer. Cette fille est bizarre, me balancer comme ça à la figure ce qu’elle fait. Ouais, je suis une killeuse. Prends ça dans les ratiches, Marsh. À se demander si elle me dit la vérité, mais pour m’avoir envoyé valser si facilement, je me doute que oui. Et moi, je suis assez fada pour attendre qu’elle me colle une bastos. Remarque, ça mettrait fin à ma chienne de vie. Tchao baby, content de t’avoir connue, c’était pas terrible mais sans rancune.

Je me lève lorsqu’un autre truc me revient en mémoire. Elle m’a dit qu’elle était corse.

Qu’est-ce qu’elles ont toutes ces Corses à me courser ?

Je me tire à un bout de la terre pour en quitter une, et une autre apparaît pour me flinguer ! Faut avouer que c’est pas de chance. Je la plains, perdre son père dans un règlement de compte… Ça me fout les tripes à l’envers.

Elle engage la bestiole sur la route et me regarde dans le rétro. Elle doit réfléchir à une autre solution pour me refroidir. Mais là, elle est coincée, elle conduit. Pourtant, son regard est bizarre, comme si elle s’en voulait de son geste de tout à l’heure. Ou alors, elle regrette de ne pas m’avoir roulé une pelle. Nos lèvres étaient si proches.

Humm, me revoilà à mon point de départ, je ne suis sûr de rien.

Je prépare deux autres cafés. J’adore cette odeur, elle emplit le van, me donne une intuition.

Je pose son kawa dans le porte gobelet et m’installe sur le siège passager. On passe sur le pont enjambant le Colorado, le Mike O’Callaghan and Pat Tillman Bridge. Un truc à te donner le vertige tant il est haut. Sur la gauche, c’est d’abord une forêt de poteaux métalliques qui se dresse. Un condensé de ferrailles qui regroupe l’énergie du barrage à venir avant de la renvoyer à la gloutonne Las Vegas. Tout un pan de montagne cassé à la dynamite au nom de la fée électricité. Puis, le Hoover Dam se dévoile dans sa courbe de béton. Un monstre gris scellé aux parois et qui retient le lac Mead. Son ampleur est impressionnante, le niveau d’eau du lac aussi. Il est si bas qu’on ne le voit presque plus. Les rochers délimitant la retenue prouvent par leur blancheur l’assèchement inéluctable. Quelle tristesse.

– T’as vu, le Mead est vide, je lui dis.

Elle ne répond pas, attrape son café puis boit une gorgée.

– C’est désolant, finit-elle par répondre. On passe en Arizona, regarde, un panneau pour le Grand Canyon.

– T’as envie d’aller le voir ? Ses méandres sont…

– Tu crois que je suis là pour faire du tourisme ? qu’elle me balance.

– Non, t’es là pour me descendre après m’avoir fait baver.

– Écoute Marsh, pour moi, t’es qu’un numéro, rien de plus, alors n’en rajoute pas.

Elle dit ça et tourne la tête à mon opposé. Je la sens tiraillée, perdue… un truc ne tourne pas rond. Deux paumés dans un van sur une route américaine en plein désert de l’Arizona. Destination inconnue. Tout droit vers le néant, avec certainement un type aux crocs dorés à nos trousses.

Merde, moi aussi en pensant à ce type j’ai un coup de blues.

Le silence se fait pesant dans l’habitacle. Seuls les bruits de roulements de la bestiole perturbent notre mutisme. Le soleil cogne contre le pare-brise, elle baisse un rideau de protection et chausse une paire de lunettes foncées. Elles masquent une partie de son visage. On roule depuis un bon moment lorsque je brise le black-out.

– Tu sais Les Yeux Bleus, je connais le type qui a engagé ton agence. Il a raison, je ne vaux pas grand-chose, même pas un dollar. Tout juste un morceau de plomb. Pour tout te dire, j’ai laissé tomber sa fille qui était raide dingue de moi. Elle voulait m’épouser, mais moi j’ai eu la trouille. Elle était belle comme tout. Je suppose que mon refus l’a brisée. Pourtant, elle savait quel genre de type j’étais et ce que je faisais pour gagner ma croûte. Mais voilà, l’amour ça ne se commande pas sur internet. Elle a fini par en parler à son père, un caïd. Une vraie saloperie ce type, il voulait me marier de force parce que j’avais déshonoré sa fille. Mais merde, elle me payait pour ça ! J’me suis barré une nuit pour lui échapper. Ça n’a pas été facile de filer entre les doigts de cette famille, puis je me suis retrouvé ici. Je ne sais même plus comment. C’était il y a trois ans environ, et je trouve bizarre qu’il ne veuille me tuer que maintenant. Tu le connais peut-être, il est Corse lui aussi.

Les Yeux Bleus tourne d’un coup la tête dans ma direction. Elle me regarde un instant, puis fixe le ruban d’asphalte. Je ne vois pas son regard caché derrière ses lunettes, mais elle a réagi.

Je savais que mon intuition était la bonne.

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