Café, route rectiligne, paysages identiques de sable et de Joshua trees. Café. On longe un massif montagneux. Tout comme en anglais, je suis nulle en géographie. J’imagine que c’est un endroit touristique. Sûrement le Grand Canyon. Ou pas. Tons monochromes. Beige sur doré. Moi, je n’aime que la mer et l’océan, quand ça bouge, que c’est bleu, quand ça remue et que ce n’est jamais pareil. Ici, tout semble figé. Mort. Désertique et fantomatique. En passant sur un immense barrage, je vois un peu d’eau, de transparent. Mon élément réapparaît. Je revis un peu.

Marsh me réveille de ma somnolence en me proposant de faire du tourisme. Mais il n’a rien compris, ce type. Comme si je pouvais avoir la tête à profiter des paysages… J’hésite entre sacrifier sa vie ou la mienne et il me demande de plonger dans la légèreté. N’importe quoi.

Un peu plus tard, il m’indique qui, à son avis, est à l’origine du contrat qui a été déposé sur sa gueule d’ange. Un père qui veut venger l’honneur de sa fille adorée. Un mec qui fait un job, une femme qui y croit. Tout ça pour ça ! Vouloir éliminer un homme pour une méprise, quelle connerie ! Mais, encore une fois, ce n’est pas mon problème, moi, je suis juste là pour faire le sale boulot. C’est comme ça.

Et pourtant, sans réfléchir, comme si les mots sortaient tout seul de ma bouche, comme si c’étaient mes émotions qui parlaient et plus mon cerveau reptilien, je m’entends lui dire :

– Hey Marsh, je te propose une trêve. On se dit que pendant 48 heures, on oublie tout ce que l’on sait l’un de l’autre. On range les armes. Tu es un type que j’ai ramassé au Roy's, je suis une fille avec une vie normale avec un job clean et on décide d’aller voir la beauté du monde, ça te va ?

– Et après ces 48 heures ?

– Tu réfléchis trop, mec. Si tu veux, on va jouer à pile ou face. Tu as une pièce ? Pile, on joue les touristes et face, tu restes ma cible.

– Ok, ok, j’ai compris. Inutile de me refaire le film. Ma vie tient à un dollar, t’as raison, elle ne vaut pas plus, crois-moi…

Il fouille ses poches. Ne trouve rien. Et finit par me dire :

– Attends, je n’ai plus de dollar. Je t’ai filé le dernier au Roy’s pour le Juke-box.

– Mais si, cherche bien. Tu as celui du lézard ! Tu ne l’as pas perdu, j’espère ?

Il cherche une nouvelle fois et trouve enfin la rondelle argentée dans la poche de sa chemise au niveau du cœur. Il lance la pièce.

Pile.

Je lui jette un regard en coin et lui dis :

– Le hasard vient de décider pour nous, on dirait. C’est toi le guide, on commence par quoi ? Et maintenant, partenaire de road trip, s’il te plaît, vire ta tronche de déterré et souris-moi !

Mes désirs sont des ordres. Il me fait un clin d’œil et ses lèvres s’étirent en un immense rayon lumineux.

– On débute par le Grand Canyon. Ensuite, on verra, me dit-il.

L’atmosphère s’allège d’un coup dans la cabine, ses muscles se détendent, son visage est moins fermé, ses yeux recommencent à pétiller. Il attrape son téléphone, connecte sa musique. Placebo. Pas mal. Je me trémousse sur mon siège. J’ai comme une envie de danser et d’envoyer valser tout ce qui m’emmerde. On est là pour profiter, alors, profitons.

– Il n’y a pas un endroit pour se baigner par ici ? je lui demande.

– Si ! J’avais la même idée. On y est presque, on va faire une halte à Willow beach. Tu verras, c’est magique !

Cette flaque translucide dans cette verticalité rocheuse me donne des frissons d’envie. Je sors en courant et me déshabille en même temps. Je me fous que ce soit autorisé ou non, que la flotte soit froide ou pas, je plonge. Dans le Paradis.

Je n’imaginais quand même pas que l’eau serait si glaciale. Je sors en grelottant. Il m’attend sur le bord, avec une serviette, il m’enveloppe dedans. Lui, il est habillé. Il savait que ce n’était pas une bonne idée… Je m’en fous, aujourd’hui, je n’écoute que mes envies.