Vert et bleu, avec du blanc

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Il doit encore y avoir quelque chose de pas clair. De nouveau, obligés de nous barrer en courant, j’ai comme l’impression d’avoir déjà vécu cela… J’étais en plein sommeil, abrutie par le décalage horaire, et vu comme la chambre était moche, il valait mieux fermer les yeux. J’ai bien senti que Marsh essayait de me réveiller, mais je crois que j’ai fait exprès de ne pas émerger. Et me voilà portée comme un ballot et balancée dans le Mitsu. Finalement, rien ne change quand je retrouve ce gars.

Jusqu’à cet instant, j’étais encore en pétard après lui. Nos retrouvailles bien ratées, je les avais en travers de la gorge. Et ce réveil en fanfare n’arrangeait pas non plus en sa faveur. Alors quand je lui ai demandé ce qui se passait et qu’il m’a raconté n’importe quoi, ça m’a énervée. Mais il a fini, la bouche en cœur, en me parlant de mes yeux et j’ai un peu fondu, je le reconnais.

Néanmoins, il me fallait des explications sur ce nouveau départ en trombe.

– C’est quoi encore le souci, Marsh ? Je traverse l’Atlantique et la moitié des States pour te retrouver, on foire totalement le truc. Et tu me réponds n’importe quoi quand je te demande où on va. Juste pour info, je ne suis ni une dinde ni un ange, tu vois des ailes dans mon dos ? Ben non, il n’y en a pas. Et n’essaye pas de me faire gober un truc débile. On est encore dans les emmerdes ?

– Oui, me dit-il d’un air un peu piteux. Je crois que j’ai été balancé. Tu te souviens de ce qui s’est passé à la station-service avec le mec aux dents dorées ? Je pense que les flics ont fait le lien avec moi. Au motel, tout à l’heure, j’ai vu leur 4×4 arriver. On a le FBI aux fesses. Je ne veux pas te mettre en danger. Je peux te laisser au prochain aéroport si tu préfères. Je ne veux pas te mettre en danger.

– J’avais capté ce qui se passait, pas tous les détails, mais le sens général. Ce doit être écrit quelque part que c’est toujours un peu dangerous quand on est ensemble. Te laisser ? T’es dingo ! Tu viens ENFIN de me dire que tu aimes la couleur de mes yeux…

Je le vois soupirer et presque se trémousser de contentement sur son siège. Il faut que je fasse gaffe quand même, tant que je ne sais pas ce que je veux. Si j’y vais trop fort, je vais briser en mille morceaux son petit cœur. Ce serait dommage, après tout le fric claqué à l’hosto pour le garder en vie.

– Bon, résumons, nous sommes en route vers le nord, sans café… J’ai du blé, toi, je ne pense pas, on ne serait pas dans cette poubelle sinon. Tu parles anglais, moi à peine. Avec notre expérience et mon CV, on devrait réussir à gérer le FBI. On peut donc réfléchir à des projets. T’en penses quoi ?

– Yep. Si on fait un peu gaffe, ça devrait passer, me répond-il.

– Hey Marsh, question existentielle : qu’est-ce que tu as toujours rêvé de faire ?

– C’est encore un piège, ta question ? De toute manière, tu vas encore dire non.

– En effet, je vais dire non. Sérieusement, on fait quoi maintenant ? Il faudrait qu’on se trouve un boulot, une baraque, un chien… J’ai toujours voulu avoir un chien. Ou, second choix, on voyage tout le temps, en bossant si on en a besoin, on laisse la vie couler comme ça, tranquillement. Tu préfères quoi ?

– Je ne sais pas. Qu’est-ce que j’ai envie de faire de ma vie ? Je n’y ai jamais vraiment réfléchi J’ai eu des opportunités et je les ai saisies. Des fois, ça a bien tourné et souvent, très mal. C’est comme ça.

– Ok. Mais, là, on peut vraiment se projeter et se donner les moyens de réussir. Creuse-toi la tête ! On peut s’occuper d’un hôtel, ouvrir une librairie, tenir un stand de sapins de Noël, je fais du super bon chocolat chaud, on pourrait tenir un salon de thé, j’en sais rien, moi !

– On a qu’à se dire, d’abord holiday et ensuite, on voit.

– Ton esprit entrepreneurial me sidère.

Il m’agace à n’avoir envie de rien, celui-là. Changeons de sujet, je n’en tirerai rien de bon.

– On peut écouter de la musique au moins dans ta bagnole grand luxe ?

– Ouais, la radio, mais y a pas d’antenne !

On se tape donc des heures de country… Pire musique du monde. C’est chiant… Je finis par l’éteindre quand, dans ma tête, je maîtrise toutes les chorégraphies des différents quadrilles.


Les paysages défilent. On n’a même pas visité Albuquerque… Santa Fé, juste vu les pancartes. On trace vers le nord. On quitte le beige et l’ocre du désert. Plus de monochrome. Seulement, du vert, puissant, du blanc, éblouissant, du bleu, étincelant. Forêts, montagnes, ciel. J’adore cette vision. On s’écarte de la grande route et on prend la direction de Carson National Forest. Je sors un bouquin de mon sac, m’installe confortablement dans le fond du siège et je commence à lui lire à voix haute le début d’une histoire.

Cela fait des heures que je raconte, qu’il m’écoute. Parfois il pose des questions. Des fois, je réponds, des fois, pas. Je n’ai presque plus de voix. Je suis dans la bulle d’une histoire, bien loin du monde des vivants, et il y a quelqu’un pour la partager avec moi.

En levant la tête pour boire une gorgée de flotte, je vois une ombre surgir de la forêt. Marsh, d’un coup de volant, essaye de l’éviter.

On vient de se taper un animal. Un coyote. J’ai vu un coyote pour de vrai. Et on vient de le buter.

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