Changée en pierre

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Une fois de plus, nous étions repartis sur les routes, comme des fugitifs, avec un passager de plus cette fois, Billy était du voyage.

Marsh m’avait donné la destination Kanab et l’itinéraire. Je ne connaissais pas, je lui faisais confiance. Confiance… Je crois que c’était la première fois que j’acceptais de me reposer sur quelqu’un d’autre. Étrange sensation. Malgré tous les ennuis qui nous poursuivaient et nous attendaient probablement, j’étais sereine. Quel paradoxe !

On s’est arrêtés pour acheter de quoi survivre pour les prochains jours, du chaud, du confortable, du chocolat et des bouquins. Et on a roulé, roulé, roulé.

Une sorte de routine s’installait dans notre périple, je lisais à voix haute des histoires pour Marsh, on faisait des arrêts pour se dégourdir les jambes et sortir Billy. On trouvait des coins perdus dans des paysages de cartes postales, on admirait, on s’embrassait et parfois plus. On avait 17 ans et le cœur qui battait avec ce tempo-là.

En roulant toujours sur la 285, on a vu des panneaux pour le parc de Great Sand Dunes, du sable, de nouveau, comme au début. On s’est regardé. Il fallait qu’on y aille.

On s’est retrouvés dans un endroit impensable, improbable, le Sahara au milieu de nulle part. La dune du Pyla au milieu des montagnes corses. Des lacs, de la neige, de la toundra et des arbres immenses. Du sec et de l’humide. Le calme plat des étangs et la furie des ruisseaux. Encore des paradoxes empilés au même endroit. Il n’y avait pas grand monde, heureusement, on ne passait pas inaperçus avec notre coyote. On l’a quadrillé dans tous les sens ce paradis, les pieds dans le sable, les mains dans l’eau. Couchés dans l’herbe et au sommet des crêtes de sable. On a couru, marché, fait des roulades tous les trois. On en a pris plein les yeux, plein le cœur. Des souvenirs pour l’éternité.

Et on a continué à tailler la route. On voulait rejoindre Denver dans un premier temps, et ensuite, j’avais oublié et je crois bien que je m’en moquais où on allait ! Marsh, Billy et moi mettions en action le plan numéro un de notre projet : des vacances pendant très longtemps. Pour le moment, personne à nos trousses mais pour combien de temps ?

J’en avais ras le bol de dormir dans la bagnole. Il me fallait un vrai lit. Quand on est arrivés à Fairplay, j’ai demandé à Marsh de s’arrêter devant une pension de famille qui avait l’air propre et correcte. Lui et Billy sont restés planqués dans le Mitsu. La propriétaire, stéréotype de la ménagère américaine, m’a donné les clés en me disant que les animaux étaient interdits. J’ai dit “Yes, of course” avec un grand sourire. J’ai rejoint la chambre, en ouvrant la fenêtre, j’ai sifflé un coup bref. Marsh et le coyote sont montés en douce par les escaliers de secours. Pendant quelques heures, nous étions à l’abri. Enfin…

Prendre un bain, retrouver la chaleur et le confort d’un King Size, ça m’avait manqué ! Marsh s’est endormi, alors Billy et moi, on est partis se balader. Il y avait un chemin qui longeait le lac, je voyais presque les truites sauter hors de l’eau, je n’avais pas l’impression d’être dans la réalité tellement c’était beau. On a marché longtemps. Il n’y avait aucun bruit, à part ceux de la nature et la musique de l’eau.

Puis, j’ai entendu des voix d’hommes, ils étaient trois et pêchaient. Le peu que je comprenais de leur conversation m’a intriguée alors je me suis approchée discrètement. Je n’aimais pas beaucoup ce qu’ils se racontaient en riant. Une histoire de meurtre de femme, de viol, ils avaient l’air d’être fiers d’eux.

Qu’est-ce que je devais faire ? Impossible d’intervenir, j’étais seule. Je ne pouvais pas aller voir la police, on était des fugitifs. Je les ai observés en bouillant de rage. L’un avait une cicatrice qui lui barrait le visage, le second, un brun grand et carré portait un blouson avec un emblème TAK et le dernier, plus frêle, avait les cheveux d’un roux flamboyant. J’enregistrais tous ces détails, polaroïd de la mémoire. Et c’est là que Billy a senti du gibier, il est parti en galopant et le bruit a alerté les trois gars. Mince, je suis repérée. Je ne pouvais pas m’enfuir, ils courent plus vite que moi, j’allais jouer la fille perdue. J’espérais que ça suffirait.

Ils sont partis et je me suis recroquevillée sur moi-même. Une pierre, je voulais devenir une pierre, une branche, une feuille, n’importe quoi. Juste quelque chose qui ne ressentait plus rien, allait disparaître et pourrir. Avec des vieux réflexes que je pensais oubliés, je venais de fermer hermétiquement les écoutilles.

Je ne sais pas combien de temps je suis restée sans bouger. Billy a fini par revenir, il s’est couché à mes côtés en gémissant. Il me poussait avec son museau, se levait, me montrait le chemin pour rentrer, et comme je ne bougeais pas, il recommençait. Puis, il a filé comme une flèche. Il avait sûrement encore senti une bête, son instinct animal m’arrangeait. C’était mieux comme ça, la pierre n’avait plus envie de vie à ses côtés.

J’ouvre les yeux, Marsh est devant moi avec Billy.

Ne me demande rien, je ne pourrais pas te parler.

Il comprend, et doucement me prend dans ses bras pour me ramener avec lui.

Sur tout le chemin, je n’entends que le son de sa voix qui psalmodie : “Chut, ça va aller, je suis là.”

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