A knife in my belt

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C’est Billy qui me réveille en grattant contre la porte de la chambre.

Mince, combien de temps ai-je dormi ?

Pratiquement deux heures !

Je jette un regard par la fenêtre. Dehors, le crépuscule gagne son éternel combat. J’ouvre la porte. Le coyote me saute dessus et me fait tomber. Il est seul. Je comprends qu’un truc ne tourne pas rond. Sans prendre de veste, je le suis. Il me conduit en galopant jusqu’au bord d’un lac. De loin, j’aperçois une masse sombre au sol, mon cœur s’emballe, j’accélère.

Les Yeux Bleus gît toute recroquevillée entre des branches et des cailloux. Elle ressemble à une pierre. Mais une pierre abîmée, couverte d’écorchures, maltraitée. Elle n’arrive pas à parler mais réussit à ouvrir les yeux. J’y lis toute sa détresse. Je la prends dans mes bras et aussi vite que je peux, je rentre à la chambre.

La lueur d’une lampe révèle les coups qu’elle a reçus au visage, dont un sur une joue. Du sang s’échappe de la commissure des lèvres. Sa veste déchirée me fait craindre le pire, son jeans aussi, mais les articulations rougies de ses poings me rassurent. Elle a dérouillé, mais s’est défendue. La connaissant, je n’aurais pas voulu me trouver en face d’elle. Je n’ai rien pour la soigner, la trousse de sécurité du Mitsu a servi pour le coyote, alors je demande à Billy de rester avec elle.

D’un coup de bagnole, je trouve un drugstore. Une demi-heure plus tard, c’est moi qui panse ses blessures. Elle gémit au désinfectant, montre les dents lorsque je lui enlève sa veste et ses vêtements. Seuls ses bras et ses jambes sont couverts d’ecchymoses, aucun coup n’a marqué le reste du corps. Elle a réussi à se protéger. Un moment elle ouvre les yeux, quand elle voit que c’est moi, des perles coulent sur ses joues.

Elle finit par s’endormir, les cachetons antidouleur sûrement. Pendant que Billy veille sur elle, je retourne au lac. Impossible de rester dans la chambre, je bous, ne suis que rage. Dans ma ceinture, je glisse mon couteau.


Difficile de décrire ce que je ressens. Je crois que je pourrais tuer. Comme ça, de sang-froid, sans me poser de question. Sans savoir si j’ai raison ou si l’autre a tort. Un coup, rien qu’un. Plein cœur et basta.

Pourtant, après une centaine de mètres, le froid calme mes ardeurs. Je me ressaisis alors que j’arrive au bord du lac. Mon regard se perd sur les reflets couleur mercure de l’étendue liquide. J’attrape un caillou, le fait rouler entre mes doigts. De toutes mes forces, je le balance le plus loin possible.

Tu n’es plus comme ça, Marsh. Tu n’es plus un guerrier. N’oublie pas ce que tu t’es promis ce jour maudit, n’oublie pas le visage de ce gamin. La machine que tu étais s’est grippée depuis longtemps, ne la laisse pas refaire surface, tu sais bien que la solution n’est pas dans la violence. Tu as perdu cet instinct, c’est bien mieux ainsi.

Et ce proverbe qui tourne en boucle dans ma tête. « Tu ne trouveras dans la vengeance que l’amertume de ton âme. » Je me souviens l’avoir dit à Les Yeux Bleus.

Saura-t-elle s’en souvenir à son tour lorsqu’elle se réveillera ?

Je l’aiderai, mais pourra-t-elle se prémunir du feu, qui lorsqu’elle ira mieux, sillonnera ses veines ?


Je fouille quand même la berge à la recherche de je ne sais quoi. Rien sûrement. Le faisceau de ma lampe précède mes pas. Je retourne là où je l’ai trouvée et essaye d’imaginer d’où venait le ou les agresseurs. Peut-être de là, derrière les fourrés. Je les contourne, reviens au lac. Il n’y a rien à part des traces de semelles. Plusieurs. De différentes tailles, de différentes formes. Ces gars étaient au moins trois. Je suis les empreintes… elles vont bien à l’endroit de l’agression. Ces enfoirés se sont mis à trois pour la cogner. Je me souviens de ses poings rougis. Elle aussi a distribué des coups et ils ont fait mouche. Peut-être qu’un des types s’est retrouvé sur le cul ou s’est cassé la gueule dans les branches. J’y vais. Je retourne des branchages, soulève de petits cailloux, racle le sable avec mes chaussures. Je ne trouve rien, puis je m’éloigne. Par habitude, je jette un dernier regard en me retournant. La lumière de ma lampe balaye une dernière fois la scène lorsque le faisceau capte un éclat. En deux pas je m’approche et découvre une médaille. Je m’en saisis, la porte à mes yeux. Gravé dessus, je lis : MIKE.


Le lendemain, je me lave les dents quand on frappe à la porte. Merde ! Les Yeux Bleus dort encore. Tant pis, j’y vais. C’est la proprio. Elle ouvre de grands yeux quand elle me voit à moitié à poil, puis esquisse un sourire. Sûr que son gars doit pas être gaulé comme moi. Elle est toute rouge lorsque je lui dis d’entrer. J’ai bien fait d’enfermer Billy dans la salle de bain.

Elle me demande si on compte rester encore une nuit, je lui dis oui et attrape un billet de cent dollars. Un sourire éclaire son visage à la vue de Benjamin Franklin, puis elle sort. Dans l’entrebâillement, elle me reluque comme si j’étais un sucre d’orge. Quand elle descend les escaliers, je pousse un ouf de soulagement.

Les Yeux Bleus se réveille alors que je prépare du café. Elle essaye de se redresser, y arrive difficilement. Son corps n’est que douleur. Je m’approche.

– Je vais t’emmener passer des radios, je dis.

– Non, arrive-t-elle à articuler.

– J’ai passé un peu de pommade sur les coups que tu as reçus. Qu’est-ce qui s’est passé ?

Elle ferme les yeux. Billy pose son museau contre elle, la pousse. Elle tourne la tête vers lui.

– Sans toi, je crois que j’étais cuite. Marsh, tu peux m’aider à m’asseoir contre l’oreiller ?

C’est ce que j’ai fait. Alors, elle a raconté.

– On était sur le chemin le long du lac avec Billy. J’ai entendu des types qui racontaient une histoire bizarre alors je me suis planquée pour les écouter. Billy a fait du bruit, les trois mecs ont arrêté de parler et sont venus vers moi. J’ai senti que ça craignait… J’ai joué la fille perdue et je leur ai demandé ma route. Il y en avait un avec une cicatrice, il s’est approché et a commencé à me tripoter. Bien sûr, je l’ai repoussé mais les deux autres ont rappliqué… Ils m’ont bousculée, ils étaient plus forts que moi. Ils ont voulu me faire tomber et… Je sais me battre, alors j’ai balancé un coup de poing dans la tronche du mec au blouson, je ne l’ai pas raté, il doit se payer un sacré cocard, il a valdingué dans les buissons. Le rouquin a pris un bon coup de pied dans la rotule, ça l’a couché au sol. Je pensais qu’ils allaient se barrer, mais le grand, le balafré, il en voulait plus, il me voulait moi. Quand je pense à ses mains sur mon corps, ça me donne la gerbe. J’ai cru que j’allais y passer. Sans les promeneurs qui marchaient sur le chemin plus haut, c’était sûr, ces types me violaient. Ils ont détalé, et tu m’as trouvée.

Le seul que je n’ai pas réussi à blesser, c’est ce mec-là, celui avec une grande cicatrice sur la joue.

Les trois, je les ai vus, distinctement. Je pourrais les reconnaître. Ils parlaient de meurtre et de viol si j’ai bien compris.

– Tu en es sûre ?

Murder en anglais, c’est bien meurtre ?

– Oui. Et viol c’est rape.

– Ah ! Non, je ne me rappelle pas ce mot.

Violence, violation, peut-être ?

– Je ne sais plus. Tout s’embrouille… Attends, je me souviens que sur la veste du grand, y avait écrit TAK. Ça te parle ?

– Non. Là, je ne vois pas ce que cela veut dire. Moi, j’ai trouvé cette médaille dans les fourrés. Regarde, le prénom marqué dessus.

– MIKE. Peut-être qu’un de ces gars s’appelle comme ça.

– Je vais aller voir les flics.

– T’es dingue, Marsh ! Ils vont te coller au trou ou te mettre une balle. Je vais m’en occuper de ces pourritures. Je vais leur faire la peau.

– Non, tu ne feras pas ça.

– C’est toi qui vas m’en empêcher, peut-être.

– … Tu n’es pas venue ici pour ça. Ton ancienne vie est derrière toi.

– Marsh, arrête. Tu vas me faire chialer.

– Et qu’est-ce que tu vas faire ? Te lancer à leur poursuite ? Tu ne sais pas qui ils sont ni où ils crèchent. Et si tu les trouves, tu vas leur dire quoi ? Hey, salut les gars. J’ai entendu que vous aviez tué une fille, vous pouvez me dire où elle est ?

Cette dernière phrase provoque un déclic. J’y réfléchis un instant et me dis que c’est peut-être une solution à notre fin de cavale. J’expose l’idée à Les Yeux Bleus.

– Tu vois quand tu réfléchis un peu, dit-elle en clignant douloureusement d’un œil.

Dix minutes plus tard, on roule en ville. On va d’abord ravitailler le Mitsu et acheter de quoi se nourrir. Je gare la bagnole sur le parking d’un supermarché. Les Yeux Bleus reste avec Billy dans la caisse, moi, j’entre.

Je remplis à la hâte un petit panier de provisions sans oublier de prendre un sac de croquettes pour le coyote. Ce clebs bouffe autant qu’un ours. Je me dirige vers les caisses quand je remarque un sigle sur un comptoir : TAK. Des articles de pêche. J’approche. Un homme bedonnant sert un client. Lorsqu’il me voit, il se retourne et dit :

Mike, can you come ? There's a client for you.

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