La vie continue
La nuit avait été interminable. Marsh où es-tu ? Pourquoi me tiens-tu à l’écart ? Dans quels ennuis t’es-tu fourré ? As-tu trouvé d’autres bras pour t’enlacer et une autre bouche que tu embrasses ? Je ne sais pas si tu es en danger, je ne sais pas où te chercher, je ne sais pas si je dois te chercher.
Ma peur était devenue viscérale, un boa constrictor dans le ventre qui s’enroulait et serrait de plus en plus fort. À l’intérieur, ce n’était que torrents et geysers, flux tumultueux qui n’avait plus le sens de l’attraction terrestre. Je me noyais dans cette eau que nul ne voyait. Aucune larme dans mes yeux. Seul le coyote s’en était aperçu. Il s’était collé contre moi. Bienvenue dans mon monde de fantômes et d’ombres, Billy.
J’ai fait taire les jérémiades de la voix larmoyante en boucle dans ma tête. J’étais ici pour le boulot. C’était la seule chose importante. Le reste, basta.
La séance de signatures à la librairie était prévue en fin d’après-midi, j’avais du temps à tuer. Je me suis préparée pour une grande balade avec Billy à Central Park. La frénésie avait encore augmenté dans les rues de New York. On a pris les allées de traverse, les avenues sans boutiques. Il faisait froid, un froid sec qui pique les yeux, qui modifie la netteté des couleurs du paysage pour les rendre tranchantes. Les rares passants qui nous croisaient regardaient Billy avec curiosité ou inquiétude. Zut, j’avais oublié de déguiser ma sauvage bestiole. Je croisais les doigts pour ne pas me retrouver face à une patrouille de flics. Il fallait que Billy se dépense, je connaissais des endroits discrets dans le parc. Pour rentrer à l’hôtel, je trouverai une solution.
Enfin, nous sommes arrivés. Où est le sentier qui rejoint The Pool ? Là et bingo, il n’y a personne. Seulement du blanc, du noir, du gris, mat. Plus rien ne scintille ici, tout est franc, net, dessiné. Le lac est immobile dans son enveloppe de glace, les saules pleurent, les branches décharnées rayent le ciel blanc. Les gratte-ciel se devinent à quelques pas, accentuant encore l’ambiance mystérieuse de l’endroit.
Billy s’éloigne, attiré par les canards qui font des glissades sur le miroir. Je l’appelle. Il ne revient pas. Je siffle. Personne. Je ne peux m’empêcher de penser que tous ceux que j’aime se barrent en courant en ce moment. Hors de question de le perdre, lui aussi… Je continue à hurler son nom. Il est là, coincé dans un profond cours d’eau. Peu habitué aux hivers gelés en Californie, il s’est aventuré sur le parquet transparent et la glace s’est rompue. Une de ses pattes est bloquée, il gémit. J’essaye de le libérer, je n’y arrive pas. La panique me gagne.
Enfin, il réussit à se désengager de ce piège acéré, mais il est blessé. Une longue estafilade sanglante barre sa cuisse, il boite jusqu’au sentier mais ne peut pas aller plus loin. Je l’attache à un tronc d’arbre, l’emballe dans mon écharpe, lui chuchote que je vais revenir, qu’il doit m’attendre, que ça va aller et je cours chercher de l’aide.
Le premier type que je croise me prend pour une cinglée. C’est à ça que je dois ressembler, échevelée, trempée, hystérique, hurlant « My coyote is injured, help me, please. » Il ne m’est d’aucune aide et tourne vite les talons.
Je vois une silhouette plus loin, je cours vers elle en essayant de réfléchir à quoi dire pour ne pas l’effrayer. Je bredouille un truc, je ne sais même plus si je parle français ou anglais.
– Please, don't go ! Je suis désolée, ce que je vais vous dire va vous sembler foolish mais écoutez-moi, mon coyote est blessé, il ne peut pas… walk et il est trop heavy pour que je le porte… Can you help me, please ?
L’homme me regarde interloqué et finit par comprendre ce que je balbutie tout en pleurant.
– Ne vous inquiétez pas, j’ai compris et je vais vous aider. Où est votre animal ?
Je crois qu’il me raconte des trucs pendant qu’on rejoint Billy, mais je ne l’écoute pas, je ne pense qu’à mon coyote.
Avec beaucoup de précautions, mon sauveur regarde la blessure, détache la laisse et le prend dans ses bras. Billy se laisse faire. Le type me dit qu’il connaît un vétérinaire et qu’on va l’y emmener. On hèle un taxi, le chauffeur ne se rend même pas compte qu’il trimbale un loup à crinière emballé dans une écharpe. Le vétérinaire, prévenu de notre arrivée, me rassure. Il n’y a rien de grave, rien de cassé, il faut juste faire quelques points de suture. Billy boitera quelques jours, mais il n’y aura pas de séquelles.
Je suis tellement soulagée. L’inconnu m’accompagne, je lui propose de boire un verre pour le remercier. Il a des obligations professionnelles, ne peut pas rester à son grand regret. Il nous dépose à l’hôtel, je l’invite alors pour la séance de dédicaces à la librairie et lui donne l’adresse.
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