Champagne !
J’avais quatre heures pour me préparer. J’ai confortablement installé Billy sur l’immense lit, me suis couchée à ses côtés en le couvrant de caresses et de mots tendres. Il s’est endormi. J’étais sur le point de le rejoindre au pays de mes cauchemars quand une idée m’a traversé l’esprit. Marsh… La Corse… Tony avait lancé un contrat sur lui pour venger sa fille, tombée amoureuse du gigolo qu’il était à l’époque… Comment s’appelait-elle déjà ? Chiara ? Non, Clara. J’étais sûre que son nom était Clara. J’ai attrapé mon téléphone. Aucune nouvelle de Marsh, je m’en doutais. J’ai tapoté rapidement : « Il faut enquêter sur la fille de Tony, elle s’appelle Clara », et l’ai envoyé à mes gars.
Je ne sais toujours pas ce qui a provoqué le départ de Marsh. Plus je cogite, moins je comprends. Tout était pourtant si merveilleux. Harmonieux, lumineux, essentiel. Pas besoin de se parler tout le temps, ça m’arrangeait bien, je ne suis pas trop causante. Un regard, un clin d’œil, un OK Baby et on se comprenait.
C’était le seul qui avait réussi à franchir les pièges à loups, les herses et les barricades érigés tout au long de ma vie. Un chevalier, MON chevalier.
Je me suis noyée dans un bain brûlant, emmitouflée dans un peignoir en sortant. J’ai grignoté un sandwich club en le partageant avec Billy. Il était l’heure de m’habiller pour la soirée dont j’étais la vedette J’avais acheté à LA une très jolie robe un peu décolletée qui allait parfaitement avec le smoking de Marsh. Sans lui, j’allais faire simple. Un jeans et un pull noir. Et puis, non, pas de raison… J’ai enfilé ma petite robe sexy, me suis discrètement maquillée et coiffée d’un chignon fait à la va-vite.
Au moment de partir, j’ai murmuré à Billy que je ne pouvais pas l’emmener, il était encore trop fragile. J’ai claqué la porte après une dernière caresse. Je n’avais pas fait trois pas qu’il hurlait et glapissait. Si je ne voulais pas qu’on se fasse virer de ce palace, je devais l’emmener. Il m’attendait, assis, en souriant, la laisse dans la gueule. Quelle idiote, j’allais partir sans la star de la soirée… Allez, Billy, go !
Il y a du monde devant la librairie. Nos bouquins se vendent par palettes, je l’oublie à chaque fois. La portière s’ouvre et nous sortons. Un corridor se forme, nous le traversons comme des vedettes. Les flashs crépitent, les carnets se tendent pour obtenir des autographes. Nos fans sont surpris, nous ne sommes que deux. J’entends des bribes de phrases dans lesquelles je comprends : « Marsh n’est pas là ! Il a dû la plaquer. Il paraît qu’elle est invivable. Il a bien fait… »
Je me promets que si je le retrouve, je lui ferai la peau.
Je signe des piles de livres à des Jim, des Samantha, des Robert et des Tsakuma… Billy fait des selfies, donne la patte, sourit de tous ses crocs. Chaque fois qu’on me demande où est l’homme de ma vie, mon double littéraire, mon coauteur, je fais la même réponse : « Il est en repérages pour notre prochain roman, il aurait adoré être avec nous, il est désolé. »
Je mens. Je ne sais pas où il est. Je ne sais plus si c’est encore mon boy-friend. Je suis perdue et je fais semblant. Pourtant, les bulles de champagne aidant, le sourire factice collé sur mon visage, dernier accessoire de mon déguisement, commence à disparaître. Je ris pour de vrai, je me laisse aller, un peu, un tout petit peu. Les gens, attirés comme par un aimant m’admirent et me trouvent brillante. Je me sens jolie. La vie est courte, il est temps d’en profiter… Alors, l’éclat devient plus franc et mes yeux noisette-pistache se remettent à briller.
La file des acheteurs de dédicaces s’amenuise. Il ne reste plus que trois personnes, deux, et enfin le dernier ! Je lève les yeux et reconnais l’homme qui nous a sauvés ce matin. Il me sourit. Il a un exemplaire de notre roman dans la main.
– Hey… Merci d’être venu !
– Je ne résiste jamais à une invitation lancée par une fille et un coyote. Vous écrivez ? Je ne savais pas que vous étiez célèbre ! Comment va Billy ?
– Il va mieux, sans vous, je ne sais pas ce que j’aurais fait… Oh, n’achetez pas votre exemplaire, je me fais une joie de vous l’offrir. À quel nom souhaitez-vous que je le dédicace ?
– Je vous laisse écrire ce que vous voulez, mais ce qui me ferait vraiment plaisir, c’est que vous me notiez votre numéro de téléphone… Je pourrai prendre des nouvelles de votre animal blessé… De vous aussi.
Il emballe son compliment d’un immense sourire éclatant. Carrément ! Il est cash, lui ! Mais finalement, pourquoi pas…
J’écris un truc sur la page et lui tends le livre fermé.
– Vous voulez partager un verre avec moi ? Le champagne est délicieux !
– Avec grand plaisir ! me répond-il en souriant.
Nous avons papoté toute la soirée, je m’enivre. Est-ce une bonne idée ? Mon charmant inconnu n’est jamais loin de moi pendant que je discute avec mes admirateurs. Nous nous sommes retrouvés seuls, à un moment de la soirée. Il est vraiment très près. Il a un joli regard, il sent bon. Il me suffit d’avancer d’un pas pour poser ma main sur son avant-bras.
Dans la pochette pendue à mon épaule, j’entends mon téléphone vibrer. Deux fois.
Le premier message dit : « On a retrouvé la fille, ça craint pour ton gigolo. Rappelle vite. »
En cliquant sur le deuxième, je lis : « Je t’aime. Pardonne-moi. »
Mon cœur s’arrête de battre un instant. Marsh est en danger et il m’aime. J’attrape Billy par son collier, traverse en courant la librairie et saute dans un taxi, sans me retourner.
Lorsque j’ai dédicacé notre roman à cet inconnu si charmant, je ne savais pas si mon histoire avec Marsh était finie. À l’intérieur de son livre, je n’ai pas écrit mon numéro, seulement : « Merci. Signé Billy. »
Un simple coup d’éponge, même avec des yeux brillants et un sourire éclatant, n’est pas suffisant pour effacer la décalcomanie que Marsh a dessinée sur ma peau. Si toutefois quelqu’un en doute…
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