Douche écossaise

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Je suis seule sous la nuit étoilée. Les deux membres de la famille réunie dorment du sommeil des justes, comme des anges. Je profite du calme de la nuit. Le bruissement du vent dans les palmes, le jacassement discret des perruches sauvages apportent une douceur mélodieuse. Mais, il manque quelqu’un à mes côtés… Où est Billy ? Il est toujours là quand je m’installe sur la terrasse. C’est son moment préféré pour chasser les écureuils de Californie. Il ne les attrape jamais, ce chien sauvage a perdu son instinct primitif, c’est une évidence Je l’appelle doucement. Il ne vient pas. Je fais le tour de la maison sans le trouver. La porte de la chambre d’ami, bricolée en vitesse pour Roberto, est entrouverte. Mon coyote est couché à côté du petit garçon. Au moins sur ce point, j’avais raison.

Il me reste une décision à prendre. LA décision. Je ne peux plus reculer l’échéance.

Comme un éclair, je sais ce que je dois faire. J’attrape mon ordinateur et remplis un formulaire. Demain. Demain, je serai débarrassée.


La météo est étrange ce matin à Los Angeles. Le vent souffle, le ciel hésite entre son bleu artificiel habituel et une évanescence vaporeuse. En hiver, ici, il fait beau ou il y a du brouillard, rarement les deux en même temps. Drôle de temps.

C’est l’heure de me rendre à mon rendez-vous, je laisse un mot sur la table de la cuisine.

« Je reviens en fin de journée. Bises. »

Sept mots. Vont-ils changer le cours de notre vie ?


Je roule sur l’avenue qui longe la plage. Les joggeurs courent, les chiens galopent, les vieux et vieilles traînent leurs années, les patineurs dépassent les lambins et tout ce petit monde cohabite sans heurts. Belle harmonie, rejouée tous les matins. L’océan est agité, dans ma tête, ça secoue aussi.

En longeant Manhattan Beach, je me rends compte à quel point j’aime cet endroit et vivre dans cette ville, dans notre maison.

À Santa Monica, je tourne à droite, direction Beverly. Il y a une place juste devant le bâtiment totalement vitré où je vais être reçue dans quelques minutes… Maintenant.


Je suis fatiguée en sortant. Je prends la route la plus courte pour rentrer. Le temps a encore changé, il tourne à l’orage. Des éclairs rayent le ciel devenu noir, le tonnerre crache un vacarme qui résonne sur les façades d’acier, la lumière a quasiment disparu. Bienvenue en enfer. Plus personne à l’horizon, cette averse orageuse a lavé les avenues de tous ses passants et transformé la ville en un miroir géant. Arrêté au feu rouge, le conducteur de la voiture à côté me fait un geste de la main et écarquille les yeux, je devine qu’il me dit « tu as vu ce qu’il tombe ! » Je lui réponds avec un pouce levé qui veut dire « ça va aller. »

Pour arriver jusqu’à la maison, la route s’élève en grands virages qui alternativement découvrent l’océan et la végétation luxuriante des jardins des villas. Je connais ce chemin par cœur. La pluie ne me dérange plus, je suis en pilotage automatique.

Brusquement, une trouée dans la noirceur. La lumière du soleil m’aveugle. En regardant dans le rétro, je ne vois que du sombre, ténébreux et inquiétant. Devant moi, une étendue bleue nettoyée de tous nuages. Le mélange de ces atmosphères vient de créer un arc-en-ciel divisant l’azur en deux parties paradoxales.

Une urgence se dessine en moi, il faut que je rentre le plus vite possible. J’accélère, les roues patinent sur la couche d’eau que le bitume n’a pas encore absorbée. Je m’en moque. Je finis la route pied au plancher, gare la voiture n’importe comment, et saute, vole jusqu’à la maison.

– Marsh, Marsh, t’es où ? Il faut que je te parle maintenant !

Je le trouve devant la baie vitrée, un café à la main, contemplant l’étrange phénomène atmosphérique qui vient de se produire. Le panorama devait être sensationnel depuis ici.

– Il faut que je te dise un truc hyper-important. Je dois t’en parler depuis trois semaines, mais je n’ai pas eu l’occasion.

Il me regarde, la bouche en cœur et l’œil brillant.

– Enfin… J’ai cru que tu ne me le dirais jamais… Je crois que j’ai deviné…

– T’as rien pu deviner du tout… Tu ne peux pas être au courant, il n’y a que moi qui le sais, et peut-être notre agent, mais il n’est pas là. Je rentre d’un rendez-vous crucial, j’ai négocié les droits de notre premier roman pour la télévision ! Il fallait que je réponde avant la fin de l’année et comme tu n’étais pas là pour en parler, j’ai dû prendre la décision toute seule. Ça va changer notre vie, c’est sûr, on va devoir voyager tout le temps, on aura plein d’obligations, mais c’est une vraie chance et je ne voulais pas qu’on passe à côté. Tu es content ?

Il ne réagit pas et il a même l’air déçu… Décidément, je ne comprends plus rien à ce type, on n’est plus en phase lui et moi, ça devient criant de vérité.

– Hey, tu as entendu ? Pourquoi tu fais cette tête ? C’est une bonne nouvelle !

– Ouais… Mais je pensais que tu allais m’annoncer autre chose. J’espérais que tu allais me dire autre chose.

– Attends, je ne te comprends pas… Qu’est-ce que tu voulais que je te dise ?

Je m’arrête de parler. Je suis perdue. Non, ça ne peut pas être cela.

– Marsh ? Tu pensais que j’allais te dire que j’attendais un bébé ?

– Ben… Oui !

– Mais tu viens d’en avoir un de mioche, il y a trois jours ! Ta fibre paternelle vient de se débloquer d’un coup, tu veux des mômes toutes les semaines ? Et puis, tu ne me l’as jamais demandé.

Silence. Long, long silence. Et puis, cette réponse :

– J’ai juste envie d’avoir un enfant avec toi. Rien qu’avec toi.

Bam. Ça fait beaucoup d’informations en une seule fois.

Je n’y avais jamais vraiment pensé à fonder une famille, pas réellement en tout cas. Un bébé avec Marsh… En plus de Billy, Roberto. Tout tourbillonne dans mon esprit. Nous tous, dans un camping-car, une famille qui parcourt le monde pour signer des autographes et suivre les tournages des films qui racontent leur vie, deux enfants, un coyote, un Marsh et moi dans le même lit, ici dans cette maison, dans notre foyer.

Je quitte la pièce, m’installe dans mon bureau, ouvre l’ordinateur. Je tape à la va-vite quelques phrases sur mon clavier, me relis, plusieurs fois, hésite avant d’appuyer sur envoi.

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