She’s waiting for me

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Un lambeau de lumière éclaire la table du salon. J’y suis assis à tapoter sur le clavier de mon ordi un chapitre de plus de nos aventures irréelles. Sans être vraiment inspiré, un flux de mots s’échappe de mes doigts. Je ne pensais pas que cela reviendrait aussi vite après tous ces événements. À croire que je puise dans le feu et le sang de quoi me ressourcer. Mes bas instincts remontent à la surface. Ce soir, ils attisent la violence que j’exprime dans mes écrits. Un exutoire en quelque sorte. Un dégradé de brutalité manuscrite plutôt que physique. Mais ces quelques jours m’ont prouvé que je pouvais encore la déployer. Je la pensais enfouie au plus profond de mon être. Elle m’effraie autant qu’elle me fascine, mais j’ai appris à la juguler, à en faire une force. Je ne me détournerai pas du chemin que je m’impose, quitte à passer pour un pleutre. Aujourd’hui plus qu’hier. Un petit bonhomme a besoin de moi… de nous. Hors de question que je l’abandonne pour laisser parler mon agressivité. Jamais je ne me le pardonnerai.

Je regarde l’heure. 2.47. Je n’ai pas sommeil.


Depuis tout à l’heure, une enveloppe clignote dans le coin droit de mon écran. Un message. En passant la souris dessus, j’avais vu que c’était Les Yeux Bleus qui me l’avait envoyé. Je ne l’ai pas encore ouvert. La peur de lire. La peur de la fin.

Je ne suis qu’un crétin. Je pensais qu’elle était enceinte… Moi qui croyais savoir. Un idiot. C’est elle qui a raison. Un enfant habite déjà la maison et bouleverse nos habitudes. Pourtant, la vie est merveilleuse avec le petit. Il est adorable et sa capacité d’adaptation à son nouveau rythme est incroyable. Même Les Yeux Bleus l’a adopté. En deux coups de cuillères à pot, il l’a conquise. Quand je vois le temps qu’il m’a fallu ! Un deuxième serait prématuré et ne collerait pas avec ses ambitions.

Quelle sacrée bout de femme quand même. Négocier les droits pour la télévision ! Une aventure de plus. Que de chemin parcouru depuis le Roy’s Motel et cette rencontre arrangée. Une histoire à l’américaine, bourrée d’invraisemblances, de road movie, de paysages incroyables, d’amour. Un gigolo et une tueuse à gages devenus écrivains à succès. Une gageure. À n’en pas douter, ça va cartonner. Comme nos bouquins.

Mais tout cela me fait peur. L’exposition médiatique va doubler d’intensité et déjà les individus de notre passé ressurgissent. D’abord Clara, puis les contacts avec l’ancienne agence de Les Yeux Bleus. Nos problèmes ne sont pas finis. Tony les bras longs ne va pas attendre la fin de l’enquête officielle pour mener la sienne. Sa fille nous a trouvés, il ne lui faudra pas longtemps pour en faire de même. Je peux parier qu’il va s’occuper dans un premier temps des tueurs de Clara, mais il voudra récupérer Roberto. Les prochaines semaines vont être difficiles, il nous faudra surveiller nos arrières sans arrêt. Je ne suis pas sûr d’y arriver sans dévoiler une partie du passé caché derrière l’apparence que je renvoie.

Un petit cri me parvient de la chambre de Roberto. Sans bruit je m’approche et constate qu’il fait un cauchemar. Il remue comme un ver, son front est en sueur. Je l’enveloppe de mes mains pour le calmer et il se réveille. Il me tend les bras. Je l’attrape, l’emmène au salon. Ses petits doigts frottent ses yeux. Un instant j’ai l’impression qu’il va se rendormir sur mes genoux, mais non, au contraire.

– Qu’est-ce que tu fais, papa ?

– J’écris un chapitre pour un nouveau roman. Demain, Les Yeux Bleus écrira le sien. Chaque jour ou presque nous faisons ça. C’est notre métier maintenant.

– Pourquoi tu l’appelles comme ça, Les Œufs Bleus ?

Je rigole doucement.

– C’est une longue histoire, bonhomme. Un jour, je te la raconterai.

– Demain ?

– Demain, si tu veux.

– Moi, je l’appelle Blue… J’ai rêvé de maman tout à l’heure. Je sais qu’elle est morte, que je ne la reverrai plus jamais.

– Oui, Roberto. Mais tu es un petit garçon fort et plein de vie. Tu ne l’oublieras pas ta mère, son souvenir s’estompera petit à petit, mais elle restera toujours dans ton cœur.

– Tu crois que quand ce sera comme tu dis, je pourrais appeler Blue maman ?

– Bien sûr, bonhomme. Elle sera très contente ce jour-là.

– Et pourquoi j’ai pas un petit frère ou une petite sœur ?

Sa question me fait sourire. Je l’esquive.

– Allez, Roberto, c’est l’heure de retourner dormir.

Ses yeux se sont fermés avant que je ne le couvre. Billy, à côté de lui, n’a même pas bougé, tout juste a-t-il levé une paupière.

Je retourne m’asseoir et regarde cette enveloppe qui clignote. La souris se décale dessus… Je clique.

« Yep.

Pour ça et pour le reste.

Pour maintenant et peut-être pour toujours. »


Je regarde l’heure. 3.47.

Je n’ai pas sommeil, mais quelqu’un m’attend. Elle a les yeux noisette pistache et des cheveux noirs.

Je ne suis qu’un crétin, un idiot.

Elle m’attend. Elle n’attend que moi.

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