Bad deal

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LAX se profilait à l’annonce de l’atterrissage imminent.

Lars Freden boucla la ceinture de son siège business et se passa les mains dans les cheveux. Enfin, pensa-t-il en s’étirant, ce voyage éreintant prend fin.

Après quinze jours passés à Ouessant dans sa petite maison de pêcheur, il arrivait au bout de son long voyage de retour. La fatigue décomposait ses yeux, balafrait son visage de striures dissymétriques et ralentissait tous ses mouvements. Dire que rien ne s’était passé comme prévu depuis son départ était un euphémisme.

D’abord cette abominable traversée à bord du bateau qui reliait l’île à Brest, et dans laquelle son estomac avait rendu l’âme à plusieurs reprises. Ensuite, le transfert en train et l’arrêt imprévu de deux heures au milieu de la pampa bretonne. Puis, cette attente interminable à l’aéroport Charles de Gaulle dans l’attente d’un nouvel avion dû au retard accumulé sur les rails.

Non, rien ne lui avait été épargné, et il se demandait quelles emmerdes l’attendaient dans la cité des anges. Car il ne pouvait en être autrement avec les deux zigotos qui l’avaient obligé à rentrer précipitamment. Avec eux les embrouilles allaient par paquet de douze. Il ne comptait plus les fois où il leur avait sorti une épine du pied, ni les demandes parfois farfelues auxquelles il avait accédé. Pour autant, hors de question de ne pas se plier en quatre pour ses auteurs. À eux seuls, ils représentaient plus des trois quarts de ses revenus et chaque fois qu’il les voyait, ses yeux additionnaient les dollars. Quel coup de génie le jour où il les avait signés, deux ans plus tôt.


C’était au lendemain d’un hiver doux passé dans cette ville de Los Angeles qui l’avait accueilli quelques années auparavant. Las de la France et de sa paperasse, il s’était installé comme agent d’écrivains mais raclait les fonds de tiroir afin de survivre dans ce milieu sans foi ni dieu. Les affaires ne marchaient pas et cela le désolait. Il était à deux doigts de poser la clé sous le paillasson lorsque ces deux-là avaient franchi le seuil de son petit bureau comme on passe un portique de sécurité, en espérant ne pas être refoulés. Son empressement à les recevoir s’était liquéfié à la vue du coyote, mais grâce à lui, il avait flairé tout de suite le filon. Le manuscrit, à part l’histoire qu’il contenait, ne valait pas grand-chose, par contre, la bête représentait l’atout majeur. Un animal sauvage héros d’un bouquin. Nul doute que ça allait cartonner. Les journalistes allaient affluer, après eux, viendraient les télévisions, les médias. Tous allaient relayer le phénomène. Une montagne de pognon se profilait, impossible de ne pas retenir le couple.

Depuis, le succès ne s’était pas démenti. Les bouquins s’écoulaient comme des petits pains, et les rendez-vous dans les talk show se succédaient, enclenchant la rotation rapide de la caisse enregistreuse.


Le choc des roues du zinc sur le tarmac le sortit de sa semi-léthargie, dix minutes plus tard, il déboula dans le hall d’arrivée et se dirigea d’un pas pressé vers les contrôles douaniers.

La chaleur et la foule oppressent sa nervosité, et ce n’est pas la lenteur de la vérification de son passeport qui la fait régresser. Un couloir, un dernier escalator…

Lilas et Marsh lui adressent un signe, il va à leur rencontre, fait plusieurs pas et stoppe brutalement. Ce qu’il voit le perturbe, il n’en croit pas ses yeux : un enfant enserre une jambe de l’homme qui tient la laisse de Billy.

Comment cela est-il possible, il n’est parti que quinze jours ?

La fatigue lui joue des tours, pense-t-il, cet enfant doit avoir plus de cinq ans. Impossible.

Où sont-ils allés pêcher ce gamin ? Dans quoi se sont encore fourrés ces deux olibrius ?

Il s’avance, serre dans ses bras Lilas puis Marsh.

– Salut les amis, vous allez bien ? demande-t-il en regardant le petit garçon.

– Ça peut aller, Lars, répond Marsh. T’en fais une drôle de tête !

– On a des trucs à te dire, embraye Lilas.

– Oui, j’en ai l’impression. On peut trouver un coin plus calme, parce que là, mon cerveau a du mal à absorber, et je ne sais pas pourquoi, mais je crois que je ne suis pas au bout de mes surprises. Je me trompe ?

– Non, Lars, dit laconiquement Lilas. Viens, on va au Mitsu.

– Je le savais ! Depuis qu’elle a commencé cette journée n’est qu’une embrouille, et au son de ta voix je… Non, pas ça ! Ne me dites pas que vous avez trouvé un autre agent ?

– T’inquiète, t’es plus qu’un agent, Lars, t’es un ami.

– Mouais… Ou alors, vous avez négocié d’autres contrats.

Une moue s’affiche sur le visage de la femme au coyote.

– J’en étais sûr ! Bloody Hell, je m’absente quelques jours afin de me reposer et vous…

– C’était une occasion en or, et tu n’étais pas là. J’ai négocié les droits télévisuels pour l’adaptation de notre premier bouquin, mais j’ai rien signé.

– Hein ! Mais t’es dingue ! Et ceux pour le second et le troisième… Sans parler des droits pour le câble, t’y a pensé ? Mais pourquoi croyez-vous que vous me payez ?

– On sait, Lars, interrompt Marsh. Les yeux Bleus n’a encore rien signé, et ce n’est pas pour ça qu’on t’a fait revenir. C’est pour Roberto, le petit qui s’accroche à ma jambe.

– Je ne fais pas dans le baby-sitting, guys.

– Il ne s’agit pas de ça.

Installés à bord du pick-up, ils racontent les jours passés. Des SMS reçus par Marsh au départ de Lilas à New-York pour la séance de signatures. De la mort de Clara, la fille de Tony les bras longs, au petit Roberto, le fils de Marsh. Pour finir, ils parlent du retour de San Francisco et de leurs certitudes que le mafieux Corse fera tout afin de récupérer le petit. Lars n’en revient pas.

– Si je ne vous connaissais pas, je dirais que vous êtes de sacrés affabulateurs. Incroyable. Un coyote, le petit fils de Tony… Même dans les films ça n’existe pas un truc comme pareil. Bon, je vais voir ce que je peux faire pour encore assurer vos arrières, mais je ne vous promets rien. Après, vous avez intérêt à me pondre un nouveau livre et à rester tranquilles chez vous pour l’écrire. On est d’accord ?

Les deux acquiescent d’un mouvement de tête.

La semaine suivante, Lars passe des heures pendu au téléphone avec Tony. Il négocie avec lui un revenu substantiel afin qu’il laisse tranquille Lilas, Marsh et Roberto. Le mafieux, tout au chagrin de la perte de sa fille ne fait pas trop de difficultés, du moins le laisse-t-il paraître.

Freden en informe ses auteurs et leur impose de rester chez eux afin de se consacrer au petit, et surtout à l’écriture. Ce qu’il ne leur dit pas, c’est que le deal comporte une clause non négociable : leur surveillance H24 à distance par les hommes de Tony.

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