Partie 4 Life ! Like a grain of sand

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La plage de Redondo Beach crisse sous mes pieds. Langue jaune qui s’étend et dont je perds la finalité. Mes pas longent la promenade sur deux kilomètres puis, je fais demi-tour jusqu’à une cabine de Lifeguard. Je m’assieds sur les marches, contemple l’infini. Aujourd’hui, l’azur se mélange en horizon improbable avec l’océan. Une ligne horizontale, l’épaisseur d’un miroir imaginaire. Elle me semble si proche que je pourrais la toucher, je la sais inaccessible. Un coup de vent soulève une volute de sable. Un instant elle tournoie puis s’écrase en poussières d’étoiles un peu plus loin. L’air est encore frais en ce début de mois de mai. Je relève le col de mon blouson, me lève et m’approche de l’eau. Les vagues laissent une auréole blanchâtre en se retirant. J’y aventure un pied ou plus souvent une main. L’eau est glacée.

J’ai pris l’habitude de venir ici très tôt chaque matin depuis plusieurs semaines. En fait, depuis que la maison s’est transformée en forteresse, je devrais dire en prison. Les hommes de main de Tony les bras longs veillent sur nous. Jour et nuit. D’ailleurs, dix mètres derrière moi, Polo me fait signe que c’est l’heure de rentrer. Un mastodonte de deux mètres de haut sur presque deux de large. À lui seul, il encombre la benne de mon Mitsu. Je l’appelle Fat Pool pour me foutre de sa gueule, mais il pipe que dalle en anglais, alors… Il n’est bon qu’à s’enfiler des burgers dégoulinants de graisse. Sa consommation frise l’indécence, ce type est insatiable. Je crois que le food-truck qui les prépare a élu domicile devant ma maison. Sont pas couillons ces Américains. Dès qu’un filon pointe le bout de son nez, ils s’engouffrent dedans.


Avec son pote Marco, ils ont pris leur fonction au lendemain du deal que notre cher Lars Freden a négocié avec Tony. Ils se sont pointés un matin en rigolant et en exhibant leur artillerie à la caméra du portail. En m’approchant, j’ai cru voir les Blues Brothers déguisés en croque-morts. Le Marco, un type pas plus gros qu’un fil électrique, contrastait avec la largeur de son pote Polo. Sur la bascule, Elwood devait rendre deux quintaux à Jake. Après m’avoir dévisagé de bas en haut, le grand maigre m’a balancé avec un accent corse à couper au couteau :

– Tony nous envoie pour veiller sur Roberto toi et ta greluche, afin d’honorer le contrat passé avec ton agent.

En disant ça, il a craché une glaire sur le sol.

– Il paraît qu’on devait se montrer discrets, reprend-il, que vous ne deviez pas savoir qu’on était là, à veiller sur vos miches. T’es au jus… Français ?

Dans sa bouche, le mot « français » a claqué comme une injure. Je me suis approché à lui toucher le visage.

– Qu’est-ce que tu fous là, alors ?

– T’excite pas. Tony il en a rien à foutre de ton impresario et du fric qu’il lui donne. Lui, ce qu’il veut c’est que le petit Roberto soit en sécurité. Toi et ta pouffe, il en a rien à cirer. Le temps qu’il trouve ceux qui ont tué Clara et il vient le récupérer. Son pays à ce gosse, c’est la Corse, c’est là-bas qu’il est né, c’est là-bas qu’il grandira.

– Retourne d’où tu viens rigolo, et dis à ton patron que mon fils restera avec moi.

Il a ricané cet enfoiré.

– Tu crois que c’est un type qui pense avec sa bite qui va me donner des ordres ? T’es qu’une raclure de gigolo, à se demander comment la belle Clara a pu s’amouracher de toi.

J’ai soutenu son regard un long moment, jusqu’à ce que Roberto arrive et le reconnaisse.

– Papa, je le connais, c’est Marco. Il est méchant.

Je l’ai attrapé dans mes bras puis soulevé. M’adressant à l’homme de main :

– T’approche pas de lui, ni ton copain, sinon, vous apprendrez à me connaître vraiment.

Un rictus a déformé sa bouche. Sa main s’est approchée de la crosse de son arme.

– Laisse-nous entrer. On a un job à faire. Tu ne voudrais pas que Tony te prenne encore un peu plus en grippe ?

Je connais ce genre de porte-flingues. Des gars loyaux jusqu’au bout des ongles. Je sais qu’ils feront tout pour sauver Roberto en cas de coup dur. Je sais aussi que la vie de Les Yeux Bleus et la mienne ne valent pas tripette pour eux, mais qu’ils assumeront leur job quoi qu’il leur en coûte. Polo et Marco ne nous nuiront pas. Tony a passé un deal et même si avec lui ce n’est jamais un bon arrangement, dans les affaires, le respect du contrat est important.


Polo s’extirpe comme il peut de la benne du pick-up avant de descendre au food-truck. Moi, je rejoins Les Yeux Bleus et Roberto dans la cuisine. Alors que le petit mange des pancakes avec de la confiture, elle le regarde d’un air attendri. Ses lèvres se tendent à mon approche. J’y dépose un baiser.

Elle a changé. Une grande douceur habille toutes ses décisions et tous ses mouvements. La tendresse incarnée. Ses seins se sont arrondis, sont devenus plus lourds. Pas son ventre encore. Bientôt. Je sais que ça lui ira bien.

– Tu as faim ? me demande-t-elle.

– Non, j’ai mangé avant de sortir. De toute façon, l’odeur de Fat Pool me coupe l’appétit. Ce type renifle le burger à trois bornes. Et toi ?

– Je ne peux rien avaler. Je me sens nauséeuse depuis hier. Si j’avais su…

Elle me dit ça en rigolant. Je la serre dans mes bras.

– Marco est dans le coin ? je demande.

– Dehors, du côté de la piscine. Ça fait une demi-heure qu’il est au téléphone avec son patron. J’ai l’impression que leurs recherches ne se déroulent pas comme ils veulent. J’ai… j’avais l’habitude des plans foireux et rien qu’à voir sa tronche, je parierais qu’ils sont dans la merde. Je n’aime pas ça. Je pense qu’on n’est pas près de ne plus voir ces deux zigotos.

– Merde ! J’en ai ras la casquette.

Je sors par la porte qui donne sur la terrasse. Derrière moi, j’entends Les Yeux Bleus qui me parle, mais je ne l’écoute pas. Marco, en me voyant arriver, abrège sa discussion avec Tony. Son visage, affûté comme une lame, semble avoir perdu de son tranchant, ses yeux me fuient. Les Yeux Bleus a raison, quelque chose ne tourne pas rond.

– Tu étais au téléphone avec Tony ?

– Qu’est-ce que ça peut te foutre, Marsh ?

– Marco, arrête de me prendre pour un con. Ça fait quatre mois que tu crèches dans ma maison et je connais toutes les expressions de ton visage. En le voyant, je sens les emmerdes arriver. La pêche aux tueurs de Clara ne se passe pas comme prévu ?

Le grand maigre se tourne vers l’horizon. Il enfile ses mains dans ses poches, puis son regard décrit un demi-cercle. Il embrasse le Pacifique et LA. Ses épaules se lèvent sur une inspiration. Je me porte à son niveau. Après de longues secondes, il parle.

– On a encore perdu des hommes avant-hier dans une nouvelle attaque à Dallas. Même mode opératoire qu’à San Francisco. La seule différence, c’est qu’on a attrapé un des attaquants. Tony s’est occupé de le faire parler, ne me demande pas comment. Apparemment, l’intention de leur boss est de déboulonner le business de Tony et de le liquider. Lui, et toute sa famille… si tu vois ce que je veux dire.

– Clara, Tony… Roberto. Le petit n’a que cinq ans.

– Toute la famille. Sans le vouloir, t’en fais partie, mon pote. Bienvenue.

– Hmm… On sait de qui il s’agit ?

– La concurrence corse, mais le gars est mort avant de dire le nom de la famille.

Merde ! Ça expliquerait en partie comment ils savaient que Clara était à San Fran.

– Dis donc, Marsh, t’as un cerveau en fait ! Tony soupçonne une fuite dans nos rangs… Une dernière chose, le type qu’il a torturé lui a dit qu’il savait où trouver Roberto.

– Faut le mettre à l’abri, rapidement.

– On attend du renfort, deux gars seront là demain dans l’après-midi. On avise quand ils arrivent.

– Rêve, Marco. Le petit est en danger et Les Yeux Bleus est enceinte. Tu crois vraiment que je vais attendre pour me tirer ?

– Ne cherche pas à nous fausser compagnie, Marsh. Avec Polo, on te surveille et on n’hésitera pas à te cogner. Je te l’ai déjà dit, seul Roberto est important pour nous.

Sans répondre je retourne à la cuisine. Porte fermée, je dis à Les Yeux Bleus :

– Prépare discrètement un sac avec des affaires pour nous trois. Ce soir, on prend la route.

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