Se barrer

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Les gros bras de Tony les bras longs ont envahi la maison, comme des punaises de lit dans un hôtel de passes. Une baleine et une orphie. Laurel et Hardy. Je les déteste. Je fais le maximum pour ne jamais les croiser mais impossible de les louper. Je vois leurs sales tronches au coin du bar en buvant un café, près de la piscine quand je veux bouquiner, presque dans la salle de bains quand je me douche. Je les hais. Marsh essaye de me raisonner en m’expliquant qu’ils sont là pour la sécurité de Roberto, pour la nôtre. Il se trompe. Cette famille de mafieux va mettre tout en œuvre pour me retirer le petit… nous retirer le petit.

Je n’imaginais pas m’attacher si vite et si fort à lui. Ce môme est un rayon de miel, joyeux, câlin, intelligent et sensible. Il s’est adapté à nous avec un naturel déconcertant même si je sais intimement que la mort de sa mère le hantera bien longtemps. Son père et moi, nous l’entourons et lui donnons tout l’amour qu’il mérite mais c’est Billy le meilleur dans cet exercice de résilience. Mon coyote vit dans l’ombre du rayon, j’en suis presque jalouse !

Le seul souci qu’on rencontre Roberto et moi, c’est qu’on ne sait pas comment il doit m’appeler. Maman, impossible, pas encore. Marsh m’appelle Les Yeux Bleus, mais c’est le seul, ce n’est ni facile à dire ni à accorder. Alors, on a décidé avec le petit que, pour lui, je serai Blue. Un nom de plus, je ne suis plus à cela près, autant de patronymes que de personnalités…

En essayant d’éviter les brutes, on arrive donc à être heureux tous les quatre, non… bientôt tous les cinq. Marsh et moi avons mis en route un nouveau projet. Il est aux anges, deux enfants en un an… Mon amoureux est mignon dans ses rêves de famille parfaite à la Ralph Lauren mais ce n’est pas lui qui passe ses matinées à dégobiller.

Ce matin, dans la cohabitation non désirée avec nos gardiens, j’ai senti le vent tourner. Il y a un truc pas clair dans la bande des Sopranos. Marco, le requin tout en longueur a passé un long moment à discutailler au téléphone avec son boss. Ça puait le règlement de comptes, les affaires battaient de l’aile. Je n’ai pas compris l’intégralité de leurs échanges mais le marché de la team Tony, dope, mort, pokers clandestins subissait de fortes pressions à la baisse. Un plus gros poisson voulait la meilleure place dans le banc. J’avais beau, aujourd’hui, être très éloignée du milieu de la pègre, mes antennes s’agitaient. Tout cela allait nous retomber sur la tronche, c’était écrit. Quand Marsh m’a glissé « On se barre cette nuit », j’étais d’accord, on sera plus efficaces sans eux pour assurer notre défense.

On a discrètement préparé nos affaires, un sac, c’est tout. Nos papiers, quelques fringues, un doudou de secours pour Roberto et la balle préférée de Billy. Le reste, on l’achètera sur place. Ce n’était pas facile de mettre un plan au point avec Marsh avec les deux sangsues. Alors, on fait semblant de bosser, chacun sur notre ordi.

– Hey Marsh, on fait comment pour Tic&Tac ?

– Je vais gérer, hors de question que tu t’en occupe, tu attends mon enfant.

Je pouffe.

– T’es pas bien ! Tu sais à peine te battre ! Ils vont t’exploser en deux.

– Mais non, je vais à la salle de sports depuis quelques semaines, je prends des cours de Krav Maga.

– Ne me fais pas rire, je vais encore vomir. Laisse. Je vais m’en occuper sans me mettre en danger. Au fait, on va où une fois qu’on se sera barrés ?

– Je ne sais pas, je crois que ça craint aux States pour nous.

– Tu as raison. Allons là où personne ne nous cherchera. Au milieu du panier de crabes. Direction la Corse, chez ma mère.

– Tu as encore ta mère ? Tu ne me l’a jamais dit.

– Si tu savais tout ce que tu ignores encore de moi… Réserve le jet, pour cet après-midi, please.


Il fallait que j’arrive à tenir à distance les molosses en cette fin de journée. Je ne pouvais pas planquer des somnifères dans leur cheese burgers, ils n’étaient quand même pas si idiots. Mais j’étais sûre qu’il y avait un truc pour lequel ils se laisseraient tenter. Avec l’aide de Roberto, on avait préparé un dessert corse, la fameuse torta Castagnina. Mais revisitée façon Blue. Il y avait tellement de pruneaux à l’intérieur qu’aucun intestin n’y résisterait. J’avais ajouté un max d’huile de noix à la pâte. Le mélange était explosif.

L’odeur de la châtaigne embaumait la maison, l’anis déposait sa note de réglisse, on se serait cru en plein maquis. Le gâteau brillait et n’inspirait que gourmandise. J’avais prévenu Marsh et Roberto de ne surtout pas y toucher. Marco/ Polo attirés par les senteurs comme des taons par une peau mouillée, s’étaient pointés dans la cuisine. D’habitude, ils ne partageaient pas nos repas équilibrés, l’un ne se nourrissait que d’immondes sandwiches dégoulinants qui sentaient le cholestérol à mille pas et l’autre, mystère, je n’ai jamais su ce qu’il picorait. Je les avais hélés par la fenêtre de la cuisine :

– Les gars, on vient de faire la Torta, recette familiale. Ça vous dit de goûter ? Vous n’avez pas dû en manger depuis longtemps.

Ils ne s’étaient pas concertés – erreur de débutant – et m’avaient dit :

– C’est ça qui sent si bon ! OK, une petite part, pour goûter… Merci.

Ils étaient en train de finir le gâteau, on leur avait expliqué qu’ils pouvaient tout manger, qu’on l’avait fait pour tester une nouvelle recette quand Billy est arrivé, la queue battant un tempo joyeux et les babines en sourire. Il avait quémandé un morceau de biscuit avec son regard de coyote-cocker. Marco avait cédé. Pas le temps de réagir et de lui enlever les miettes de la gueule, il avait tout gobé.

Les premiers symptômes n’ont pas tardé à se manifester chez les deux nigauds. Ils se tortillaient, se tenaient le ventre et avaient fini par se ruer aux toilettes.

Des pruneaux dans le buffet, mon plan avait fonctionné.

C’est le moment idéal pour nous barrer. Je cours jusqu’au bureau pour récupérer les ordis et on file dans la bagnole. Alors qu’on démarre, je hurle « Stop, il nous manque Billy ». Plus rapide que moi, Marsh saute du Mitsu. Même en étant discret, le remue-ménage alerte un des deux véreux. Polo, à peine rhabillé, surgit dans le jardin et s’approche de Marsh pour lui coller une manchette.

Oups. Le débutant Krav Maga ne fera pas le poids, ça va être une boucherie. Et pourtant, en le regardant son adversaire droit dans les yeux, mon super-héros se sert de toute la puissance de son poing pour frapper en plein dans la pomme d’Adam. La force décuplée par la prise technique envoie Fat Pool directement au sol. Jolie prise. Un à zéro.

Le deuxième déboule, attrape Marsh par l’épaule, sa main est un grappin, une mâchoire de bull terrier. Je descends, prête à intervenir. Mais l’outsider, sans se démonter ni paniquer, réussit à balancer sa paluche, doigts déployés en battoir sur le menton de son adversaire. Sous la violence de l’impact, la tête du requin part en arrière. Déstabilisé, le mec lâche. Pour l’achever, un bon coup dans l’entrejambe suffit.

Marco, tchao. Marsh, vainqueur par KO. Deux à zéro.

Les cours de Krav maga, c’était une bonne idée, finalement.

Mon amoureux remonte dans la voiture avec Billy et on part. Enfin. Pendant le trajet jusqu’à l’aéroport, il nous raconte une bonne douzaine de fois ses exploits. Au début, Roberto et moi, on intervient dans la narration et on pose des questions. Puis un peu moins, puis plus du tout. Il me semble même que dans la dernière version, les assaillants sont cinq et armés. Je le laisse dire en souriant. Il est beau, mon héros.

Ah oui, une dernière chose, une information sans beaucoup d’importance, les coyotes sont totalement insensibles aux pruneaux…

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