False start

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Dans la voiture, je fais le mariole pour donner le change en racontant l’altercation avec Marco et Fat Pool. Des rires s’échappent, alors j’en rajoute chaque fois un peu. Puis, la pression de notre départ précipité retombant, je plonge dans ce présumé exploit que je viens de réaliser. Un dilemme pour moi, mais je n’avais pas d’autre choix que celui d’utiliser la violence afin de pouvoir nous échapper. J’espérais ne pas avoir à trahir un serment fait des années auparavant, cependant, la vie de Roberto, de Les Yeux Bleus et du bébé qu’elle attend sont bien plus importantes que la promesse que je me suis faite. Sans eux je ne suis rien, encore moins que ça.


Adolescent, je traînais mes guêtres dans une cité sans lendemain, préférant les menus larcins plutôt que d’aller user mes pantalons sur les bancs d’une école. Certains me disaient que j’apprendrais la vie dans la rue, qu’elle seule saurait me nourrir si je savais l’apprivoiser.

Quel idiot !

À vouloir les croire, je me suis perdu. Je dépensais mon temps en bastons et en trafics en tous genres au lieu de l’utiliser à m’instruire. Cela a duré plusieurs années, puis, comme tous les couillons de mon âge, je me suis fait choper par les flics. Ils rigolaient de ma capture ces enfoirés. « Regardez, on a serré Marsh la belle gueule, l’insaisissable. »

Marsh la belle gueule. Je sais pas si je dois en rire.

J’ai pris quelques mois de frigo au grand soulagement de mon avocat et de mes parents. Au mien aussi, parce que je savais ce qui m’attendait à la maison. En prison, j’ai fait la connaissance d’un ancien légionnaire. Léo. On s’est bien entendus. En même temps, quand tu partages un espace réduit avec six gars, vaut mieux réfléchir avant de se prendre le bec. Il m’a vanté les bienfaits que la légion lui avait apportés. Discipline, rigueur, exemplarité. Mouais… Ça ne l’a pas empêché de planter un mec et de finir au trou.

J’ai quand même écouté ses conseils et à ma sortie, je suis allé directement à Calvi pour m’engager. J’en ai chié des ronds de chapeaux et usé ma transpiration un peu partout sur le globe. Puis, il y a eu cette ultime mission en Serbie, à trois semaines de la fin de mon engagement. Sans rentrer dans les détails, l’opération a mal tourné. Jusqu’à ce jour, je n’avais pas eu besoin d’utiliser mon arme, mais face à ce jeune homme qui me braquait avec une Kalach, je n’ai pas eu le choix. Enfin, c’est ce que je me suis forcé à croire jusqu’à m’en rendre malade, jusqu’à me jurer que plus jamais je n’utiliserai une arme ou mes poings.

Mon retour à la vie civile n’a pas été simple. Je suis resté en Corse, mais sans aucun bagage, je n’ai pas trouvé de boulot stable. Je ne survivais que grâce à ma belle gueule et aux femmes qu’elle attirait. J’en ai fait un job. Pas bien glorieux, je sais. Jusqu’au jour où Clara a croisé mon chemin.

Aujourd’hui, je me suis battu, j’ai retrouvé les réflexes qui faisaient de moi un soldat. Marco et Fat Pool, malgré ce qu’ils croyaient, n’avaient aucune chance. Un coup à la glotte, un autre au menton… radical.

Les Yeux Bleus a-t-elle noté ma façon de me battre ?

Je suis sûr que oui. Une professionnelle de sa trempe remarque ce genre de chose et je ne pourrai pas me défiler quand elle me demandera des explications. Je lui raconterai, je sais que nous avons chacun nos petits secrets.


Un coup de klaxon m’oblige à me concentrer sur la route. Un dernier nœud et le Mitsu s’engage sur la 405. La circulation se densifie d’un coup, toutes les voies se gonflent d’innombrables véhicules. Je file sur la car pool et enfonce l’accélérateur. Encore une demi-heure et nous arriverons à l’aéroport où nous attend notre jet.

La Corse… Une île, un pays. L’idée de Les Yeux Bleus est bonne et elle me présentera sa mère. Je suppose qu’il lui tarde de la revoir, de la serrer dans ses bras. Elle ne m’en a jamais parlé, chacun ses petits secrets.

Moi, je ne pensais pas y remettre un jour les pieds, mes mauvais souvenirs y sont légion.

Mais n’y a-t-il pas meilleur endroit pour se cacher que là où on ne te cherche pas ?

Peut-être.

Un aller sans retour. Je ne l’espère pas. Les grands espaces américains vont me manquer. Je m’y étais habitué. Ils m’ont amené leur lot de surprises. La plus belle est à mes côtés. Son regard ne rit plus. Elle aussi, en prenant cette décision, sait ce que nous laissons derrière nous. Mais le plus important n’est pas matériel, il ne se quantifie pas et n’a pas de limite. Il nous relie en fils invisibles, en contacts, en clins d’œil, en doigts qui s’entremêlent… en futur chantant partagé à quatre.

Comme si elle devinait mes pensées.

– Tu crois qu’on prévient Lars ? m’interroge-t-elle.

Je secoue négativement.

– Pas pour l’instant. Je crois qu’il est encore en France et ne pourra rien faire.

– Et les tournages ?

– Ils n’ont pas commencé. Nous serons de retour très vite, ne t’inquiète pas.

Je dis ça, mais n’en crois pas un mot. Elle non plus, j’en suis sûr.


LAX se profile au bout d’un échangeur interminable. Un fichu imbroglio de voies d’accès qui partent dans tous les sens. Ne pas se tromper relève de la gageure, mais je commence à connaître. J’enclenche mon cligno pour me rabattre lorsque mes sens se mettent en alerte. Dans mon rétro, apparaît un gros SUV sombre. Je le connais. Il stationnait sur l’allée de ma baraque depuis quatre mois. Les Blues Brothers nous ont retrouvés, ça va être rock’n roll.

– Roberto, serre Billy dans tes bras, dis-je d’une voix forte.

Les Yeux Bleus a compris. Sa main droite serre la poignée de la portière, alors que l’autre attrape sa ceinture de sécurité.

D’un mouvement brusque je change de voie et accélère. Le vieux pick-up crache une fumée bleue et réagit en se cabrant. Dans son sillage, le Suburban suit. Le vacarme du moteur résonne contre les murs des parkings à étages et des différents terminaux. Je me fraye un chemin à coups de klaxon, plus loin, j’enquille en dérapant la Center way. The Theme Building se découpe en soucoupe volante quand le SUV se porte à ma hauteur. Fat Pool baisse la vitre passager et me fait signe de m’arrêter en me montrant son flingue. Gros naze. Si tu crois que je vais t’obéir. Je gueule :

– Accrochez-vous.

Puis, je donne un coup de volant à ma gauche. Mon Mitsu cogne l’avant du Suburban. La manœuvre surprend Marco et envoie bouler le SUV dans les jardins entourant le bâtiment. Je le regarde dans mon rétro passer par-dessus un parterre de fleurs puis s’emplâtrer un arbre. Le temps qu’ils s’extraient de là, je serai loin.

Derrière, Billy est toujours entre les bras de Roberto. Le petit a les yeux fermés.

– Tu peux lâcher le coyote, maintenant.

Son regard croise le mien dans le rétro central. Il n’est pas effrayé, je le trouve même lucide.

– Papa, on va pas prendre l’avion.

Sa voix n’interroge pas.

– Non, dis-je. C’est foutu pour le jet.

Les Yeux Bleus me regarde alors que le pick-up accroche la route parallèle à la 405. Je file plein sud sans savoir vraiment où aller.

– Arrête-toi un peu plus loin, dit-elle. Nous devons réfléchir.


J’enfile le Mitsu à l’abri d’une haie et nous descendons tous de la bagnole. Billy vient se réfugier contre les jambes de Les Yeux Bleus et Roberto finit dans mes bras. Nous voilà tous les quatre adossés contre la carrosserie alors que nous devrions nous envoler pour la Corse. Je cogite au moyen de prendre un avion rapidement, mais n’en trouve pas. Puis, je pense aller jusqu’à San Diego, dormir sur place et le lendemain passer au Mexique. Là-bas, les hommes de Tony les bras longs ne nous attendront pas. Peut-être qu’à Tijuana nous trouverons un jet. Dans l’immédiat, je ne vois pas d’autres solutions.

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