Je t’expliquerai…

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Après une analyse rapide de la situation, cela semble périlleux de miser plus d’un dollar sur nos chances de sortir vivants de la mélasse qui nous englue. À nos trousses, d’un côté, l’équipe de bras cassés du grand-père prête à tout pour ramener Roberto au pays. De l’autre, le clan inconnu, corse ou sicilien, qui veut dominer le marché black et sale du banditisme de la Côte Ouest. Et dont le second objectif est d’éliminer tous les membres de la famille adverse. Pour Clara, le boulot est déjà fait. Il leur reste à éliminer Tony, Marsh et le petit. Joyeuses perspectives. Ils ne vont pas nous lâcher, ces fils de chiens, c’est la seule chose dont on est sûrs. Il faut vite élaborer un plan B pour planquer nos miches et regagner la Corse.

En réfléchissant aux issues possibles, une pensée fugitive traverse mon esprit. Je repense à la bagarre de Marsh avec Tic&Tac et il y a un détail qui me perturbe. Il était à l’aise, bien trop à l’aise… Comme si ce n’était pas la première fois qu’il pratiquait les sports de combat. On n’acquiert pas de tels réflexes après seulement quelques cours à la salle. Bizarre…

En fait, je me rends compte que je ne connais presque rien de lui. Il a été gigolo, a fait tomber en amour la belle Clara. Il a refusé de l’épouser et s’est barré aux States. Il vivait d’expédients jusqu’à ce que j’arrive dans sa vie pour le buter. Je ne sais rien de plus. Son enfance, ses parents, ses études, son parcours, tout est mystérieux. D’ailleurs, est-ce vraiment son nom, Marsh… ? Mais ai-je envie de creuser, de le questionner, de lire son CV ? Pas sûr. Il a eu un passé avant moi, c’est certain. Moi, je n’aime que le présent. Alors… Je ne lui demanderai pas de m’expliquer, mais si un jour il veut le faire, je l’écouterai.  

On reprend la route tous les quatre sans trop savoir où on va. Marsh veut qu’on descende jusqu’à Tijuana, au Mexique pour trouver un vol et rejoindre l’île de Beauté. Bonne idée ou pas ? Je suis fatiguée. Roberto et Billy ont eux aussi besoin de se remettre de ce qui s’est passé. Les départs sur les chapeaux de roues, dans la violence et la furie, c’est bon pour des adultes aventuriers, mais nous avons la charge d’une famille maintenant.

À Oceanside, je demande à faire une pause. On se gare le long de l’avenue qui borde la plage, on s’installe sur la banquette arrière du Mitsu pour dormir, enchevêtrés les uns dans les autres. Mes hommes s’endorment avec une faculté surprenante. Ils sont pareils tous les deux, comme des poupées, leurs yeux se ferment dès qu’ils sont couchés. Billy et moi, on veille, toujours aux aguets.

                

La lumière du soleil apparaît au petit matin derrière les hauteurs d’Hidden Meadows, les rayons découvrent progressivement l’immense digue qui se perd dans la mer. Pas une âme qui vive sur la jetée, c’est magnifique. Je sors sans bruit de la voiture, le coyote m’accompagne. Nous foulons les planches. 400 mètres de chemin avec comme seule vue l’eau, les vagues, à l’infini.

À l’extrémité d’Oceanside Pier, un restaurant déploie sa terrasse. J’attrape mon téléphone, appelle Marsh. Il me rejoint quelques minutes plus tard, portant un Roberto encore endormi. Le serveur arrive avec des assiettes remplies, j’ai commandé un brunch monstrueux. Il y a de tout, du salé, du sucré, des œufs, des pancakes, des saucisses, du bacon, du chocolat et du café.

Installés au bout du monde, les pieds au-dessus du Pacifique, nous sommes une famille et nous sommes toujours en vie.

J’ai décidé qu’aujourd’hui, ce serait relâche dans notre parcours de fugitifs. À quelques kilomètres, il y a Legoland California. Personne ne nous cherchera dans ce parc. Roberto va adorer. Je lui fais la surprise de me garer juste devant. Ses yeux papillonnent de joie, il est prêt à jaillir de la voiture. Je propose à Marsh de passer une partie de la journée avec lui, dans le pays merveilleux des briquettes colorées. Billy n’a pas le droit d’entrer et il faut que je règle certains détails de notre avenir. Il me regarde l’air un peu soupçonneux se demandant ce que je mijote, mais finit par accepter. Je leur donne rendez-vous au même endroit. Ils ont quatre heures pour faire le tour du monde.

J’ai pas mal de choses à régler pendant ce temps. Nous avons besoin d’une base arrière, une maison pour nous mettre à l’abri. En trois coups d’internet, je trouve un ranch à Escondido, le réserve pour deux semaines. Perdu au milieu de nulle part, perché sur une colline avec vue sur un lac et des montagnes, cela ressemble au paradis. Un havre de paix pour quinze jours, je l’espère.

Je file ensuite au supermarché, j’achète des vêtements pour nous trois, de la nourriture en quantité, des bouquins. J’ajoute au caddie qui déborde déjà des téléphones prépayés. Je règle le tout en liquide. Ne pas laisser de traces, pas encore, pas maintenant. La benne du Mitsu est pleine. Comme à Noël.

Il me reste encore deux trucs à faire. Et pas des plus simples.

Je m’installe dans un café sympa, au soleil pour écrire la suite des aventures de nos héros pour notre prochain bouquin. Marsh ne m’a pas fait de cadeau dans son dernier chapitre, je me creuse la cervelle pour imaginer une suite au chausse-trappe qu’il a inventé. Ce type est démoniaque, ce ne va pas être facile, il a flingué ma seule idée en donnant une orientation inédite au récit. Je le déteste, mais je vais trouver une nouvelle péripétie. Comme toujours. Je lui envoie le premier jet, on relira et on corrigera ensemble.

Enfin, dernière mission. Celle que je n’espérais jamais avoir à réaliser. Il va falloir entendre de nouveau cette voix. Et cette fois-ci, c’est moi qui vais devoir faire le premier pas.

Je cherche dans mes contacts, sans savoir si le numéro est toujours bon. J’hésite.

Je n’ai pas le choix. J’appuie sur Appel.

Quelques sonneries…

Quelqu’un décroche.

Je me liquéfie.

– Allô ? C’est moi.

Je n’entends qu’un souffle, rien de plus.

– Je sais que tu es sur la Côte Ouest. Ça m’arrache les tripes de te le dire mais… j’ai besoin de toi. Je t’envoie l’adresse, tu peux venir me retrouver ? Je t’expliquerai.

– Demain, me répond la voix.

– OK. Et… Merci.

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