Crazy girl avec du soleil dans les yeux

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Le type m’a ordonné de le suivre et j’ai obéi. La tête et le cœur coupés en deux. J’abandonnais ma sœur. Avec son accord, sans savoir si je la reverrais. Elle m’a laissé sa place, le rôle de celle qui doit vivre et continuer à avancer. Partagée entre deux contradictions, j’ai fait un pas, puis un deuxième pour retrouver Marsh, Roberto et Billy. Ne pas se retourner. Encore une fois.

Ça cogne dur dans ma cervelle, des dizaines de questions s’empilent en une tour vacillante. Ces ordures seraient-elles capables de faire du mal à Émilie si on ne revenait pas ? Et si on cède, qu’on leur amène Roberto, que fera le loup de la bergerie ? Chantage cruel. Jeu de qui perd gagne. On aurait eu plus de chance en jouant à chifoumi. Ou en pariant avec notre dollar.

Marsh est là, il attend debout près de la porte. Un rayon de soleil surgit dans le ciel gris, sa silhouette se découpe en ombre chinoise. Le flash instantané m’éblouit, je ferme les yeux. En tournant la tête pour échapper à l’éclat, mon regard se pose sur Tony. Assis sur une chaise, les lunettes noires masquant une grande partie de son visage, il est droit comme un i. Il veut imposer l’image d’un homme fier et dur, intransigeant et violent, mais je ne vois que le reflet d’un vieux grand-père, rongé par le chagrin.

J’entends : « Émilie, on y va », et je quitte la maison.


Dans la voiture, je crois qu’il faut quelques minutes à Marsh pour se rendre compte de qui je suis vraiment. Le temps que l’odorat retrouve son chemin. Le temps que ma main se pose sur la sienne. Le temps que ses yeux croisent les miens.

Il hurle :

– Mais vous êtes cinglées ! Vous avez échangé vos rôles ? Si Tony s’en rend compte, on est foutus. Déjà qu’on est dans une belle merde…

Je rêve. Il est en train de m’enguirlander ! Hier, je me suis battue contre Tic&Tac, on m’a endormie de force, fait traverser l’Atlantique sur un sol d’avion gelé. Je viens de faire un choix cornélien pour sauver cette fichue famille. Le passager clandestin dont il est l’auteur me retourne l’estomac tous les matins et Marsh me fait des reproches ! Ce type est dingue.

Dans la famille couleur d’yeux, je pioche les noirs. L’air du pays m’emplit les poumons et je m’égosille en corse, lui balançant toute ma rancœur. Il hurle de son côté des tas de trucs en américain, je m’en fiche, je ne l’écoute pas. Et je continue à crier plus fort que lui.

Le truc impensable vient d’arriver, nous nous engueulons pour la première fois. Et on n’y va pas de main morte.

Prise dans cet échange musclé, je ne fais pas attention à la route qu’on prend. Et soudain, il s’arrête. Le moteur qui s’éteint coupe notre logorrhée hurlante et bilingue. Devant moi, une caserne. Mais qu’est-ce qu’on fait ici ?

Marsh sort et s’éloigne. Il revient quelques minutes après en portant Roberto, Billy trottine à ses côtés. Je saute de la voiture. Mon coyote arrive au galop et me couvre de léchouilles. Je m’accroupis pour le caresser et je vois le petit descendre des bras de son père et s’élancer. Il se jette sur moi et me dit, de sa toute petite voix :

– Tu es venue me chercher, maman. J’ai été sage, tu sais, j’ai joué aux Lego avec le copain de papa.

Je reste bouche bée. Que vient-il de me dire ? Je lui murmure à l’oreille :

– Roberto, tu m’as appelée comment ?

– Ben… maman. Tu veux bien ?

– Oui, mon ange. Oui. J’adore que tu m’appelles maman.

Je lève les yeux. Marsh a tout entendu. Il attend ma réaction. Il n’a pas à attendre bien longtemps. Je lui fais un signe de la main vers la voiture.

O baullò ! Grimpe dans la bagnole. On va sauver ma sœur. J’ai un plan B.

En démarrant, il me regarde en coin. Je lui glisse à l’oreille :

– C’est la première fois qu’on se dispute. Je te demande pardon pour toutes les horreurs que j’ai pu te dire.

– Pardon aussi. C’était nul. On ne recommencera plus, me dit-il en souriant.

– Yep. Promis. Je suis une crazy Girl et toi une Testa di cazzo, parfois… Mais j’ai quand même gagné !

Et je clos le débat en éclatant de rire.


En roulant, je lui explique mon plan. La solution, c’est d’aller chez ma mère, elle connaît Tony, elle va arranger les choses, ça sert à ça les mamans. J’ai son adresse, Lars m’avait tenue au courant de l’achat de ce bien, dans ce village perché.

C’est une charmante petite maison en pierres, avec un jardinet bien entretenu. Je toque à la porte, personne ne répond. Je pousse la poignée, c’est ouvert. J’appelle, elle n’est pas là. Nous décidons de nous installer à l’intérieur en attendant. Roberto attrape sa caisse de jouets et commence à construire une maison qui ressemble à celle de sa grand-mère.

Peu de temps après, deux portières claquent. Des pas crissent sur le gravier. La porte s’ouvre.

Maman et Émilie, ensemble, face à moi. Je me précipite et tombe dans leurs bras. Dans nos yeux, l’eau et le soleil se mélangent, sans gagnant.

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