Oser…

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Quelques mois plus tard…

Un rayon de soleil me caresse les paupières. J’ouvre un œil, il fait beau, un temps éclatant de fin d’automne. Je tends l’oreille, aucun bruit dans la maison. Je regarde l’heure, 10:33. Non, c’est impossible, je n’ai pas pu dormir aussi longtemps ! Je saute du lit, attrape un jean et un tee-shirt dans le dressing puis descends l’escalier en m’égosillant.

– Marsh ? Roberto ? Billy ? Alice ? Vous êtes où ?

Évidemment, comme d’habitude, personne ne répond. J’essaye de garder la tête froide et de ne pas m’imaginer le pire.

Récapitulons, nous n’avons plus aucun méchant bandit à nos trousses, Tony a cessé de nous harceler dès qu’on lui a permis de revoir Roberto. Nous avons envoyé à Fred le chapitre final du dernier tome des aventures de Marsh et LYB en début de semaine, lui non plus n’a pas de raison de nous mettre un couteau sous la gorge pour nous forcer à écrire. La série est en cours de tournage, tout se passe bien, diffusion prévue l’année prochaine. Donc, à part une invasion extraterrestre, rien ne peut nous menacer. Ils ont dû aller se promener, pour me laisser dormir, enfin…

Rassurée, je me permets de profiter de l’instant. En préparant un plateau pour mon petit-déjeuner, jus d’orange, café à réveiller un mort dans ma tasse en porcelaine préférée, tartine beurrée, je souris en lisant le mot laissé par Marsh :

« Ne t’inquiète pas, j’ai emmené la marmaille en balade. Profite de ta matinée sans nous. Je t’embrasse. »

Vingt mots qui me rassurent. Pour une fois, la première fois, tout va bien.


La terrasse me tend les bras, la vue improbable n’a pas changé, le Pacifique continue ses va-et-vient en écume, écrits et effacés à chaque instant. Permanence naturelle, le chaos succède au calme et inversement. Jamais, je ne m’en lasserai. J’attrape une clope, pour une fois que je peux fumer sans regard désapprobateur et courroucé, je ne vais pas m’en priver ! Un jour, promis, j’arrêterai. Un jour… Mais pas maintenant.

Puisque cette matinée est mienne, je vais en profiter. Longue douche, sans interruption, un vrai miracle, et puis, un tour dans la piscine, sans cris et éclaboussures, le rêve. J’apprécie chaque instant. La matinée s’étire en longueur de paresse. Finalement, être seule, ce n’est plus ce à quoi j’aspire. Je prends un livre, j’essaye de m’y plonger, rien n’y fait, son contenu reste hermétique.

Mais trêve de farniente, il y a du boulot. Demain soir, nous recevons toute la smala à la maison, pièces d’origine et rapportées. Les Corses arrivent en jet, Rosa, Émilie, Tony et ses gros bras Tic & Tac. Le pilote fait un arrêt à Toulouse pour embarquer les parents de Marsh. Ils arriveront en début d’après-midi. Lars débarquera directement de New York ou de Bretagne, je ne sais pas, mais il sera là. Il me reste encore une chose à faire et c’est important. J’espère réussir.

J’attrape mon téléphone, cherche les coordonnées d’un cabinet vétérinaire. Ça sonne. Ce n’est pas simple d’expliquer ma demande, mais la personne au bout de la ligne est compréhensive et me fournit les infos dont j’ai besoin. Pourvu que mon plan fonctionne. Je prends du temps à rédiger mon message, je croise les doigts en l’envoyant. Quelques secondes plus tard, j’ai le « oui » que j’attendais.

Enfin, j’entends des petits cris et des bavardages dans l’entrée. Ils sont rentrés.

Le plus rapide me saute dessus, le plus câlin se jette dans mes bras, le plus grand laisse la place aux plus pressés et embrasse ma nuque dès que je peux me relever. La dernière attend sagement dans sa poussette qu’on vienne la chercher. En la détachant et en la prenant contre moi, je ne peux m’empêcher d’être surprise, comme à chaque fois, par la splendide dissymétrie de la couleur de ses pupilles. Une bleue comme son père et une pistache-noisette comme sa mère. La dernière production des deux auteurs est sans conteste un merveilleux chef-d’œuvre.


C’est l’effervescence le lendemain, entre les coups de sonnettes du traiteur, du fleuriste, du caviste et je ne sais plus encore quels corps de métiers de bouche et de décoration, nous ne voyons pas le temps filer. La maison s’apprête et se transforme pour la grande soirée. Les enfants et Billy restent sages dans ce remue-ménage, ils sont vraiment extras tous les trois.

Et puis, c’est l’heure. La famiglia débarque. Au grand complet. Des grands-parents à n’en plus finir, une tante, des parrains à la pelle… Encore un coup de sonnette, c’est Lars, qui après les présentations d’usage, trouve naturellement sa place à côté de Rosa.

J’attends encore quelqu’un, j’espère qu’il viendra. L’interphone tintinnabule enfin. Je regarde la caméra. J’appelle Émilie et lui demande d’aller ouvrir, en prétextant une urgence avec Alice. Elle sort en grommelant, mes yeux restent rivés sur le film en train de s’écrire en contrebas. Sur le seuil, un homme souriant avec un magnifique bouquet de pivoines entre les mains.

– Hey, Les Yeux Bleus, comment va votre coyote ?

Silence, le regard de ma sœur scanne de haut en bas ce charmant inconnu qui connaît Billy.

En souriant, elle lui répond :

– Il va bien, je vous remercie. Mais vous vous êtes trompé, je ne suis pas Lilas, je m’appelle Émilie.

– Alors, c’est encore mieux. Enchanté, Émilie. Je pourrais me noyer dans vos yeux.

La soirée est une réussite. Tous ces gens qui ne se connaissaient pas sont liés par des fils harmonieux.

Jolie toile d’araignée qui scintille dans la nuit.

Marsh me rejoint à l’intérieur et dans le reflet du gigantesque miroir du salon, nous contemplons l’image inversée du spectacle de la terrasse. Roberto, en tailleur à côté du couffin d’Alice. Les grands-parents paternels les regardent d’un air attendri. Lars et Rosa trinquent en se mangeant des yeux. Émilie et le sauveur de coyote ne se quittent pas du regard. Marco/Polo pillent le buffet. Tony est assis sur un transat au bord de la piscine, Billy arrive et se couche à ses pieds. Tout va par paire, l’histoire est bouclée. Nous sommes une famille, nous sommes réunis et nous sommes heureux.


Le lendemain matin, alors que la maison dort, Marsh me réveille doucement.

– Habille-toi et prends un maillot. Ça fait longtemps que je veux t’emmener quelque part.

Je lui réponds par un clin d’œil et on part en catimini. Je ne reconnais pas la route, ça monte et serpente dans des lacets de plus en plus serrés. On s’approche de l’océan, les odeurs de sable chaud et de végétation sèche et piquante envahissent l’habitacle du Mitsu. Marsh s’arrête dans un lieu désert, il descend, fait le tour, ouvre ma portière et me prend par la main. Je le suis sans parler. Nos pas nous amènent au bord d’une falaise, un à-pic vertigineux devant nous, devant moi… Je recule de trois pas, tétanisée par le vide.

Marsh ne s’en rend pas compte et me dit :

– Depuis notre première rencontre, nous avons laissé faire le hasard. Nous nous sommes abandonnés à cette rencontre, à nos destinées, petits fétus ballottés par les vents contraires. Je voudrais qu’on décide pour une fois de quelque chose, un acte symbolique dépendant de notre seule volonté. Je souhaiterais que l’on saute ensemble de cette falaise. On ne risque rien, je te le promets. Je ne te mettrai jamais en danger, tu le sais. Mais, je voudrais me jeter dans le vide, avec toi, juste là. S’il te plaît.

Je me décompose en l’écoutant parler. Ce qu’il me demande, c’est l’impossible. J’ai le vertige, la phobie de l’air. Je pourrais mourir de peur en montant sur une échelle ou même un tabouret. Je ne prends l’avion que sous forte dose d’antidépresseurs. Il ne l’a jamais vu. Il ne s’en est jamais aperçu.

Je recule encore de quelques pas, prête à m’évanouir si je regarde vers le bas. Il m’attend, me crie de lui faire confiance, que ça va aller, que je peux le faire, que j’en suis capable.

Encore trois pas en arrière.

Puis, je prends mon élan, franchis en courant la distance qui nous sépare, attrape sa main…

Ensemble, comme des anges, nous prenons notre envol au-dessus de l’océan…   



THE END

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