Six heures sonnaient, quand Olivia frappa à la porte de la chambre de Mike. Il était réveillé depuis un bon quart d’heure, avait pris sa douche, et enfilé un survêtement. Pourtant il ne lui répondit pas, et lui laissa poursuivre la comptine avec ses doigts. Il l’écoutait avec attention rythmer et chantonner « Knock at the door, keep in, lift the latch » en souvenir de ces matins, où petit, elle l’emmenait à la découverte des landes sauvages. Il lui répondit à son tour « wipe your fee, and walk in ». Coiffée d’un béret vert avec ses lunettes rondes sur ses yeux, Olivia apparut dans l’entrebâillement de la porte.

– Bonjour, Micky.

– Bonjour, Mummy.

– Bien dormi ?

– Comme un bébé !

– Je descends, tu me rejoins.

À peine la porte fermée, que Mike avait enfilé ses baskets et attrapé son blouson. Il dévala les escaliers et arriva sur les talons de Grandma.

– Me voilà, prêt à partir au bout du monde.

Joseph n’en revenait pas et lança :

– Il fait bon être jeune.

Il leur tendit le panier qu’il venait de préparer, et dans lequel il avait glissé une thermos de thé à la cannelle, des scones et ses excellents rowies tout chauds.

– Hâtez-vous, le soleil ne va pas vous attendre. Oly, tu peux me déposer au port, William doit y être.

– Bien sûr. Mike on est parti !

Olivia et Joseph grimpèrent dans la coccinelle de Grandma. Hugh plongea à l’arrière et colla son museau sur les genoux de Mike.

– Toi, tu sais que tu vas nous accompagner, lui dit-il tout en le caressant.

– Si ça ne vous dérange pas, le bateau a tendance à le contrarier ces derniers temps, ajouta Joseph.

La voiture filait dans les rues de Stornoway. La ville s’éveillait et les pêcheurs se préparaient à prendre le large ainsi que le premier ferry. Olivia s’arrêta devant l’embarcadère, au loin William lui fit un petit signe pour la saluer. Joseph sauta de la voiture après avoir posé un dernier baiser sur la joue d’Olivia.

– Au fait Jo, ne nous attends pas pour manger ce soir.

– Ok, de toute façon, je dois récupérer la voiture de Mike. Arthur déposera la mienne. Puis nous rejoindrons Harry qui nous a invités à manger.

Olivia démarra. Tous les deux saluèrent Joseph qui venait d’embarquer sur l’Amati de William. Hugh de son côté avait pris ses aises sur le siège arrière. La coccinelle prit la direction de Gary Beach, pour une heure de route, leur permettant d’arriver juste à temps pour admirer le lever du soleil. Vu l’heure matinale et la saison, ils croiseraient peu de monde. À peine sorti de la ville, Mike s’assoupit.

– Hugh, je pense que notre grand Miky a besoin d’un sommeil en plus.

Elle eut pour seule réponse, un second ronflement venant de l’arrière. Olivia alluma la radio. « Let it be » passait sur les ondes, agrémentant le début du voyage. La route qui menait à Gary Beach était surprenante, elle s’arrêtait à ce que les habitants du coin appelaient "The Bridge to nowhere. Ce morceau de route avait été construit à la hauteur de la plage et n’avait étrangement jamais été terminé. Grandma se gara sur le parking, juste en bord de mer.

Des touristes avaient passé la nuit au chaud dans leur camping-car, seuls au monde au plus près de la nature. Sur la plage, des dizaines de rochers sculptaient le paysage. Ce lieu était captivant. Gary Beach était réputé pour ses rouleaux, attirant des surfeurs du monde entier. Le moteur s’arrêta, réveillant en sursaut Mike, Hugh émit quant à lui un léger grognement.

– Oh Mummy pardon, je me suis endormi.

– Tu en avais besoin.

– Où veux-tu aller ? demanda Mike.

– Le soleil ne va pas tarder à apparaître. Je vais m’installer sur le pont pour avoir une belle vue d’ensemble. J’ai besoin d’une heure.

– Parfait, en attendant un peu d’exercice me fera le plus grand bien.

Olivia attrapa son calepin et ses pastels, Mike se saisit de la couverture et du panier. Ils longèrent silencieusement le camping-car, essayant de ne pas perturber les occupants. Ils avancèrent en direction du pont pour savourer leur thé encore chaud, en attendant le soleil. Mike avala un scone et deux rowies, puis s’éclipsa pour laisser Grandma dessiner paisiblement.

Elle avait déjà esquissé l’astre de lumière, le spectacle qui s’offrait à eux était somptueux. La boule orange semblait sortir de l’océan donnant au ciel des teintes violettes et vertes. La nature s’éveillait avec sérénité. Au loin, Mike avançait sur la plage de sable fin, ses baskets à la main. Il commençait à trottiner les pieds dans l’eau, Hugh à ses côtés. Olivia profitait du film qui se jouait face à elle, le soleil avait recouvert l’océan de teintes douces. Cette lumière apportait un certain charme à la scène. Elle avait dessiné les nuances de couleurs qui avaient évolué au fil des minutes. Elle était seule au monde, lovée dans son tartan. Hugh extirpa Olivia de son rêve éveillé, puis Mike vint se placer dans son dos, la prenant dans ses bras. Dans cette position, il pouvait au mieux admirer les premiers traits.

– C’est étonnant Mummy !

– Qu’est-ce que tu veux dire ?

– J’ai l’impression que si je passe mes doigts sur la toile, je pourrai sentir la chaleur qui s’en dégage.

Mike avait aussi vu qu’avec Hugh, ils étaient au centre de la toile, pataugeant dans l’océan. Il sourit.

– Je vais finir par te demander des royalties.

– Tu peux, tu es ma source d’inspiration.

Mike assis à côté d’Olivia, lui servit une tasse de thé et reprit un scone. Le petit footing dans l'océan lui avait à nouveau ouvert l’appétit. Il regardait l’horizon sans fin, c’était une agréable parenthèse. Olivia avait su trouver une façon de lui offrir une bouffée d’oxygène.