Chapitre 6 : Remise de diplôme - Partie 1 : Les faits. (nouvelle version)
Assis à son bureau, Harold buvait son café, ouvert devant lui "The Herald" à la page des résultats sportifs. Céléna l’observait avec tendresse, il avait de beaux yeux bleus. Son père était un homme d'affaires audacieux et respecté de tous, et avant tout un papa formidable. Aujourd’hui, elle était fière d’être là à ses côtés, et de pouvoir recevoir son diplôme sur les terres de ses ancêtres. La vie lui avait offert ce qu’elle désirait le plus, une famille, et celle-ci l’accompagnait jour après jour.
– Bonjour. Viens t’asseoir un moment, proposa Harold en montrant le sofa. Nous avons encore un peu de temps avant l’effervescence de la journée.
Père et fille s’installèrent sur le canapé, proche de la cheminée. Céléna, calée contre lui, posa sa tête sur son épaule. Elle appréciait ce moment de partage, soulagée de retrouver les êtres chers qui lui avaient tant manqué.
– Céléna, maman m’a parlé de votre conversation d’hier.
Ces quelques mots balayèrent la douceur de l’instant. Céléna se redressa d’un coup, s’arrachant de l’étreinte de son père. Elle se doutait que sa mère lui en aurait parlé, ils ne se cachaient rien. Cette complicité faisait la force de leur couple. Puis, elle ne lui avait pas demandé de ne rien dire, au fond d’elle elle l’avait même espéré. Mais là maintenant, elle ne s’attendait pas à discuter de ce sujet avec son père.
– Tu aurais dû venir me voir. Pourquoi ne m’en as-tu pas parlé ? Tu as dû vivre un enfer !
Céléna s’effondra en larmes. Courageuse, elle ne se laissait pas démonter quelles que soient les tempêtes et pourtant elle céda d’un coup d’un seul, sa carapace s’écroula à ses pieds.
– Oh, mon ange, je ne voulais pas. Pardon, viens là, s’excusa Harold en attrapant sa fille pour la serrer fort dans ses bras.
Céléna s'écroula la tête enfouie dans le torse de son père, elle ne voulait plus lâcher sa bouée de sauvetage et commença à se livrer :
– Martin, n’est pas le gentleman que tu as rencontré à Noël et encore moins celui que l’on m’a présenté il y a un an.
Les mots coulaient. Le barrage, qu’elle s’était imposé, cédait peu à peu. Dans chaque parole, elle trouva le courage de débuter le fil de l’histoire et déversa sa peine sur l’épaule solide de son père.
Elle lui raconta qu’au cours de la soirée d’admission des premières années, elle et ses collègues de deuxième année étaient chargés des préparatifs. Les festivités se divisaient en trois étapes : un test de dégustation de grands crus, un buffet et pour clôturer, un bal. Chaque promu était confié à un tuteur afin qu’il puisse l’aider dans l’apprentissage des us et coutumes.
Céléna, seule fille de la promotion et de la suivante, avait eu la possibilité de choisir. Mais le directeur lui avait alors suggéré Martin, son protégé, un fils d’un riche donateur de l’école. Elle n’avait pas pu refuser, même si elle n’appréciait guère le fait que l’on offre des privilèges au fils de …avec le temps Martin se rapprocha d’elle, la comblant de cadeaux futiles. Il s’agissait d’attentions que l’on ne pouvait refuser de son petit ami. Dans la suite logique s’il pouvait y en avoir, le jeune homme lui avait présenté son père mais refusa et déclina les différentes invitations qui suivirent. Elle partageait son temps entre ses études passionnantes et Martin. Lui de son côté ne faisait pas grand chose, il profitait des capacités de sa compagne.
Elle avait accepté la chose en tant que sa tutrice. Alexandre et Betty, ses amis et colocataires, ne cessaient de la mettre en garde. La jeune femme ferma les yeux, persuadée qu’ils se trompaient. À la fin de l’année, elle aurait son diplôme, lui entamerait sa deuxième année et se mettrait au boulot. Martin avait souvent été là pour calmer certains de ses camarades de promos qui avaient tendance à lui chercher des noises. Elle avait trouvé cela mignon, bien qu’elle eût déjà ses preuves l’année précédente avec ses propres camarades qui lui avaient mené la vie dure.Elle avait su gagner leur respect et avait trouvé quelques amis sur qui elle pouvait compter.
À Noël, pour les vacances, elle voulut à son tour présenter Martin à ses parents, et l’invita à passer quelques jours en Ecosse. Le jeune homme avait joué au futur gendre idéal, flattant la galerie. Céléna y avait cru. Elle avait même pensé que qui sait peut-être il envisagerait un peu plus.
– Et puis la suite tu la connais, je pense que maman t’a tout raconté, lâcha-t-elle avec un pointe d'amertume.
– Céléna, que veux-tu que je fasse maintenant ? demanda son père inquiet.
– Je ne sais pas, je voudrais juste oublier.
– Est-ce que tu l’as revu depuis ?
– Non et j’espère que je ne croiserai plus sa route.
– Tu ne m’as pas dit, ce qui s'était passé avec l’école. Comme le directeur arrive dans la matinée, je voudrais en savoir plus au cas où.
– Les mois qui ont suivi furent compliqués. Nous étions dans la même école, donc susceptibles de nous voir. J’étais toujours sa tutrice. Je suis allée expliquer la situation au directeur. Je ne voulais plus être son maître de stage. J’avais vu avec Christophe un de mes amis pour que nous échangions nos stagiaires. Le principal n’a rien voulu entendre, il m’a dit que cela ne se faisait pas et sous-entendu que c’était le risque quand on mélangeait plaisir et travail. Quelque part, il n’avait pas totalement tort. Alexandre et Betty m’avaient eux aussi prévenu. Je n’avais pas voulu les croire. Je n’avais qu’à m’en prendre à moi-même. C’est aussi pour ça que je ne vous en ai pas parlé, j’avais tellement honte et peur de vous décevoir.
Céléna raconta ensuite, qu’heureusement Martin était parti en stage et qu’elle de son côté avait été envoyée en immersion chez un des plus grands châteaux de Bordeaux pendant un mois. Elle avait espéré que tout se calmerait, qu’il serait passé à autre chose.
– Hélas à mon retour, ajouta-t-elle, il a fait circuler des images de moi, a insinué que j’étais une femme facile, il est allé voir le directeur en sous-entendant que je ne l’aidais plus dans son rapport de stage et bien pire encore. J’ai été convoquée par le conseil d’administration pour donner ma version. Ils m’ont écoutée, dans un premier temps ils n’ont rien dit, puis la sanction est tombée. Le fait d’être la meilleure élève ne me donnait aucun droit et que j’aurais un avertissement sur mon dossier.
Céléna n’osait plus regarder son père, elle fixait ses genoux, ses mains à plat sur ses cuisses. Elle hésitait à aller plus loin dans son récit. Il prit son menton, le souleva afin qu’il puisse la voir dans les yeux.
– Mon ange, poursuis, j’ai besoin de savoir. Je me demande si je ne vais pas conseiller à ce malotru de retourner en France. Quel culot de se présenter ici pour te remettre ton diplôme !
Céléna sentait la colère de son père, surprise de le voir dans cet état. Lui si calme, si doux semblait se transformer en un de ses ancêtres Highlanders prêts à chasser l’Anglais de ses terres. Là, c'était un Français qui allait passer un mauvais quart d’heure. Heureusement, les épées étaient rangées dans les armoires d’expositions fermées à clé pour éviter que les petits y touchent pour jouer. Elle poursuivit alors ses explications.
– Les examens approchaient et je n’avais plus le choix. L’avertissement tombé, je ne pouvais plus rien y faire. Finalement, cela m’a ouvert les yeux. Même si rien ne fut aisé par la suite, même si on a continué à me tester, j’ai redoublé d’efforts et tout fait pour obtenir mon diplôme avec les félicitations du jury et la mention très bien.
– Est-ce que les choses se sont quand même un peu calmées ? Martin t’a laissé tranquille ?
– Je lui ai écrit son rapport de stage sans en connaître tous les éléments, j’ai brodé sans trop en faire, juste pour que cela lui valide sa première année. Une fois que ce fut fait, on ne pouvait plus rien me reprocher. J’ai appris par l’intermédiaire de mon ami Christophe, que le propriétaire de la cave où Martin se trouvait, était venu se plaindre auprès du directeur. Il avait dénoncé son attitude frivole, il avait fait des avances plus que douteuses à sa cadette. Devant les faits et ne pouvant se fâcher avec un des cavistes qui accueillait régulièrement des stagiaires, il a mis de l’eau dans son vin c’est le cas de la dire et ils m’ont fiché la paix.
– Et par la suite, il t’a donc cru ?
– Pas plus que ça, mais au moins on ne m’embêtait plus. Puis le propriétaire Monsieur Garnier chez qui j’ai réalisé mon stage a fait un retour élogieux sur mon travail. Il m’a proposé un poste dans son domaine à la sortie de mon diplôme. Ce mois en immersion m’a fait un bien fou et m’a permis de me ressourcer dans une famille bienveillante. Ils m’ont reçu comme un membre à part entière. J’étais enfin dans un lieu ressourçant, où je pouvais exprimer mes passions et profiter de grands espaces loin des murs de l’école semblables à une prison. Monsieur Garnier et son fils m’ont tout de suite fait confiance et m’ont laissé prendre des initiatives. À mon retour, Christophe et mes camarades de promotion avaient mis les choses au point avec Martin et les premières années qui le suivaient bêtement. J’ai appris plus tard qu’ils l’avaient attrapé et mis les points sur les « i » dans tous les sens du terme et lui avaient clairement fait comprendre qu’il fallait mieux qu’il se tienne loin de moi.
– Je vois que malgré tout, tu as réussi à te faire de nombreux amis sur qui tu pouvais compter. Rien de surprenant, comment pourrait-on te résister ?
– Tu sais, je ne regrette rien et s’il fallait le refaire, ce serait sans hésiter. J’en sors plus forte. Papa merci à toi d’être toujours là pour moi, de m’écouter et de me soutenir.
– Non, c’est moi qui dois te remercier d’être entrée dans notre vie et de la combler depuis vingt ans. Tu es notre plus belle réussite.
Céléna se blottit dans les bras de son père, ferma les yeux. Elle avait enfin réussi à vider son sac, devenu bien trop lourd à porter. Être à la maison, à l'abri, était tout ce dont elle avait besoin aujourd’hui. Maintenant, elle pouvait regarder au loin et suivre son propre chemin se laissant guider par son cœur.
– Papa, je dois te laisser, j’ai promis à Lily que j’emmènerai les enfants à l’école ce matin.
– Vas-y de mon côté, je dois rejoindre Rory à la distillerie.
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