Clef rouillée
Une nouvelle dispute. Des mots qui dépassent la pensée. Les gestes qui les accompagnent. Le bruit d’une main venues frapper contre une joue nue. Les bras qui tirent. Ceux qui repoussent. Les mots de nouveau. Des cris. Des objets jetés à travers la pièce. Les escaliers dévalés quatre à quatre pour la dernière fois. Puis les larmes dans la voiture sur le chemin du retour. La musique qui apaise. Un peu.
Peut être qu’il avait raison ? C’est vrai qu’elle travaillait beaucoup. C’est vrai qu’elle était de moins en moins présente le soir, qu’elle le trouvait régulièrement endormi quand elle rentrait. Les premiers temps dans le canapé du salon. Puis rapidement dans le lit. Parfois avec la lumière allumée, un livre posé sous son visage paisible. Le plus souvent dans le noir. Elle était absente c’est vrai, mais après tout il fallait bien qu’elle travaille, non ? Qu’y pouvait-elle si son boulot était si prenant ?
Prenant, vraiment ? Non. D’autres s’en sortaient mieux qu’elle. Ils ne rentraient pas tous à des heures si tardives. Mais ils savaient dire non, eux ! Elle, elle en était bien incapable. Elle était trop gentille ? Peut être…non ! Elle aimait simplement son travail ! Et elle avait des ambitions ! Elle devait prouver sa valeur, se rendre indispensable !
Fuyait-elle un peu son appartement ? Mais pour quelle raison ? La routine ? Henri était adorable, vraiment. Un amour. Mais il était tellement…plan-plan ! Il l’était devenu du moins. Elle ne comptait plus les soirées Netflix qu’elle avait fini par détester. Les mêmes plateaux repas, les mêmes conversations, le même sexe sans saveur, la même rengaine. Encore et encore. L’ennui.
Qu'en était-il pour Henri ? Peut être avait-il gardé ces soirées parce qu’elles étaient un moyen de l’avoir un peu pour lui ? Elle n’arrêtait pas de dire qu’elle était fatiguée. Si fatiguée. Sans jamais avoir manifesté l’envie de sortir. De changer les choses. Il aurait quand même pu essayer de la bousculer un peu, non ? Sortir de la routine merde !
Parce qu’il ne s’était pas privé pour le faire avec sa blondasse! Il était culotté de lui coller la responsabilité de ses tromperies ! Comme si on pouvait imputer la faute aux victimes ! N’importe quoi ! Elle avait peut être ses torts, mais absolument aucune une responsabilité dans cette trahison qui ne concernait que lui. C’était lui qui était allé voir ailleurs. Lui qui avait caché, menti. Le salaud, c’était lui ! Alors pourquoi s’en voulait-elle malgré tout ? Pourquoi ne pouvait-elle pas s’empêcher de penser qu’elle aurait pu éviter tout cela ? Parce qu’elle avait le sentiment d’avoir laissé rouiller la clef de leur amour, d’avoir fermé à tout jamais le coffre contenant ce qui constituait le sel de leur union.
Les larmes avaient séché. Le moteur s’était coupé. Elle s’était allumé une cigarette. La première depuis deux ans, laissée dans un paquet oublié dans la boite à gant. Ou plutôt consciemment oublié. La portière s’était ouverte. L’air frais de la nuit caressait son visage nu. Un léger sourire s’était dessiné au coin de ses lèvres qui s’étaient tout à coup ouvertes :
« Connard ! »
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