La vengeance
M!chel ne voulait pas rentrer. Il avait traîné dans le quartier, le regard rivé au sol, la démarche décidée, et s'était peu à peu éloigné vers la falaise. Il finit par escalader la crête et se retrouva sur le rocher de la Pointe Noire, le point le plus au nord et le plus haut de la ville.
Une fois là-haut, il s'arrêta et embrassa le paysage du regard. Il avait beau passer par là régulièrement, il en avait toujours le souffle coupé. Derrière lui : l'océan. Devant lui, les trois quartiers qui composaient la cité. En premier, il vit le sien. Le quartier nord. On l'avait surnommé le Lavabo depuis longtemps, car il se trouvait dans une fosse surplombée par un rocher long dont la forme évoquait une vasque et un robinet et à cause de l'odeur qui remontait des canalisations vétustes. Les blocs de béton noircis par la pollution et les immeubles délabrés se disputaient la place. Les habitants se déplaçaient rapidement, par petits groupes et les esclandres se réglaient par les bandes dirigeantes. Il y avait plus de cinq ans qu'on avait pas vu un flic par ici, ni un bénévole de la soupe populaire.
Derrière le Lavabo se trouvait le quartier de l'Arc. Des maisons propres, des petits jardins, moins de chômage et un énorme mur en construction pour empêcher la racaille du Nord de venir foutre la merde chez eux. Quel ennui !
Enfin, le quartier innaccessible à tous les jeunes gens du Lavabo : la Goutte d'eau. Il y avait là-bas tout ce qu'il manquait ici : la beauté, la richesse, la joie. M!chel le regardait avec envie et amertume : il savait bien que jamais de sa vie il n'y mettrait les pieds. Mais que c'était-il passé ?
Aujourd'hui, c'était l'anniversaire de l'indépendance du quartier Nord : sur l'impulsion d'une bande d'anarchistes révolutionnaires, ses habitants s'étaient révoltés. M!chel s'en souvenait comme si c'était d'hier : il venait d'avoir dix-sept ans, il faisait partie des plus enthousiastes. Il y avait eu des émeutes pendant des semaines, des manifestations, des grêves pour revendiquer plus de justice. Ils en avaient ras-le-bol : cela faisait des générations que leurs familles étaient livrées à elles-même dans cette cuvette puante à flan de falaise. Des années qu'ils demandaient de l'aide qui ne venait jamais. Qu'ils étaient nourris, vêtus, logés par des associations. Ils voulaient être libres. Mais plus encore, ils voulaient être dignes.
Ils ont eu l'indépendance demandée, la Goutte et l'Arc trop heureux d'amputer ce membre gangrainé. Mais alors, ceux qui avaient mené la lutte se sont volatilisés, les promesses, les projets et l'argent qu'ils avaient difficilement réunis aussi. Et les habitants se sont retrouvés seuls. Quelques mois plus tard, on vit aux infos d'une télé volée l'un des leaders de la liberté se présenter pour des élections municipales dans la Goutte, avec pour argument principal d'avoir débarasser la ville de la pauvreté.
M!chel et ses potes en étaient restés sans voix. Avoir été manipulé si facilement les avait laissé sous le choc. Mais une fois ce choc passé, il avait bien fallu envisager le futur. Le construire, le préparer.
Aujourd'hui c'était jour de fête. L'Anniversaire. M!chel avait été rejoint par des amis en haut de la Pointe Noire. Ensemble, ils regardaient la Goutte d'eau qui flambait. Ils avaient mis cinq ans pour se venger. Aujourd'hui, ils savouraient la destruction de leurs ennemis. Demain, le monde connaîtrait leur déclaration de guerre.
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