Mise à nu
La chaleur est insupportable ! Dans son petit studio, situé au cinquième étage, Clarisse se tourne et se retourne dans son lit, ballotée entre somnolence et sommeil. Son corps nu, moite de sueur, s'emberlificote dans les draps. Elle se détache, à regret, du corps de son amant tant le contact de sa peau la brûle. Lui, dort comme un bébé après leur nuit torride, nuit où ils avaient fait l'amour comme deux amants interdits, nuit où ils avaient usé et abusé de substances illicites. Sa respiration est calme et profonde, indifférente à cet air suffocant qui asphyxie Clarisse. De guerre lasse, après avoir tenté, en vain, de trouver un sommeil qui ne voulait pas d'elle, la jeune femme se lève, prenant soin de ne pas le réveiller.
A pas de velours, la tête embrumée, Clarisse se dirige au salon. Elle attrape le paquet de Philips Morris sur la table basse. Craquant une allumette, elle allume sa cibiche et ouvre la baie vitrée. Le bout grésillant, incandescent, éclaire sommairement, à chacune de ses bouffées, son visage d'albâtre au teint si parfait. Dans une volute de fumée recrachée, elle s'approche du balcon et s'accoude à la rambarde. La ville commence à s'éveiller, il est à peine six heures du matin. Les premières lumières des immeubles voisins apparaissent. Au loin, les premiers pots d'échappement se font entendre. Clarisse tire profondément sur sa cigarette puis fermant les yeux, rejette la fumée, tête en arrière. La caresse d'un vent léger fait frissonner son corps nu. Elle se redresse, mains serrées à la balustrade, silhouette rectiligne, seins dressés. Cette caresse veloutée d'air effleure sa peau moite. Elle se laisse envahir de ce doux picotement. Encore sous l'influence fallacieuse du cocktail explosif des amphétamines et du whisky, la tête lui tourne mais malgré son sentiment d'épuisement, elle se sent bien. Expulsant de ses poumons, une dernière bouffée de nicotine, elle écrase son mégot dans le cendrier. A l'horizon, les lumières du levant pigmentent la ville de sa teinte orangée. Clarisse se penche au dessus de la rambarde et observe la rue de son regard vitreux. En contrebas, la vie y est minuscule, minuscule comme des fourmis. Elle fait la grimace. Elle a toujours détesté les fourmis. Des fourmillements la font frissonner de dégoût. Ou alors, est-ce son profond dégoût d'elle-même qui la fait frissonner ? A vouloir tout dominer dans sa vie, à vouloir être brillante, à vouloir être la meilleure en tout, elle s'est perdue dans ce paradis artificiel… sans aucun retour possible. Son existence n'est basée que sur mensonges, sexe et drogue. Ce diktat de la réussite, elle pensait le dompter mais elle a toujours été faible. Sans ses drogues, elle ne vaut pas grand-chose !
« Junkie tu es, junkie tu resteras ! » se dit-elle en haussant les épaules, résignée. Dans un état second, Clarisse grimpe sur la table basse et, d'un pas de plus, se hisse sur le rebord du balcon. Les fourmis s'agitent en bas. Affolées, elles courent en tout sens, espérant échapper au destin funeste que semble leur réserver la jeune femme.
Elle les toise d'un sourire carnassier, savourant sa domination sur ce petit monde avant de mettre un pied dans le vide. Puis, dans un éclat de rire jouissif, Clarisse s'élance dans les airs tel un oiseau. L'effet du vent et de l'air étreint sa peau nue.
Sereine, elle ferme les yeux et s'endort enfin…
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