Chapitre 11.3 - Le garçon qui ne voulait pas devenir roi

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Le regard noir de Khoufou se durcit encore.

– Les chimères sacrées sont de retour.

L'homme au pied du trône s'inclina dans un froissement de soieries précieuses. Khoufou vit le sourire qui étirait son visage froid et buriné. De nouvelles âmes à sacrifier aux dieux, cela ne pouvait que plaire à ce pilier religieux sans cœur et sans morale.

– Ai-je ta permission pour envoyer les chasseurs, Pharaon ?

– Tu l'as, dit Khoufou comme il aurait craché dans le vin de cet homme détesté.

– Dieu vivant, lorsque ta pyramide ébranlera les cieux, alors tu seras heureux d'avoir mis l'Egypte au service de sa construction.

Ainsi se retira le vizir, ses bracelets d'or et d'argent cliquetant à ses poignets.

Sitôt qu'il eut quitté la salle immense, Néfermaât, jusque-là caché sous un rideau, bondit aux pieds de son maître.

– Que les dieux me punissent, Néfer… dit celui-ci en caressant doucement sa longue tête de chacal. Tout cela partait d'une bonne intention… Unir l'Egypte dans un seul chantier titanesque, attirer la bénédiction de Khnoum mon protecteur. Apporter paix et prospérité sur nos terres…

Mais rien ne se passait jamais comme prévu. Et grâce aux mille oreilles de son vizir, Khoufou savait ce qu'on disait de lui tout au bord de l'Egypte, et surtout ce qu'on disait de cette pyramide gigantesque qu'il faisait construire.

Le chien lui lécha la main – elle sentait le sel, comme ses larmes – comme pour le réconforter.

– Néfer, tu n'es qu'un pauvre bâtard ramassé dans les rues de la ville aux rois… Que donnerais-je pour avoir d'autres fidèles amis dans cette cour ! Je n'ai qu'un vizir, que cinq concubines – et encore ! Il voudrait que j'en prenne d'autres ! – mais je n'en peux déjà plus de côtoyer tous ces gens. Cinq femmes et déjà le harem bruisse de conspirations… Il est heureux que les vingt femmes de mon frère aient été envoyées bien loin à sa mort… Qu'aurais-je fait avec tant de vipères sur le dos ?

Un brouhaha retentit à l'autre bout des colonnades, mêlant mille timbres de voix aux couleurs éclatantes des carreaux de céramique. La cour était de retour. En quatre ans, Khoufou était presque parvenu à faire de sa salle du trône une oasis de calme dédiée à la tranquillité du dieu Pharaon. Presque. Mais les mauvaises manières de la cour, complaisantes, jacassantes, finissaient toujours par reprendre le dessus.

– Va, Néfer !

Le chien se sauva derrière le trône, la queue basse. Son maître raffermit son assise sur le trône éclatant, carrant ses maigres épaules sous sa coiffe trop lourde.

Pourvu qu'il n'y ait pas l'une de ses maîtresses – ou pire ! les cinq ensemble ! – dans la foule venue assister aux jugements.

– Il est l'heure pour Pharaon de rendre la justice…

***

– Et je chante ! Comme un oiseau posé sur une braaanche ! Avec ses deux gros yeux qui me regaaardent… Sa voix sublime rappelle la mienneuh… La la la la…

– Mon dieu, Néfermaât, chuchota Khoufou en bouchant les oreilles du chien. Elle chante encore plus faux que la dernière fois.

Pharaon et son fidèle vizir à quatre pattes se tenaient cachés dans un petit coin du harem, un petit coin discret que Khoufou avait beaucoup exploité étant enfant. Bien sûr, le chien n'était pas censé entrer dans le harem – si la mère de Pharaon n'avait pas été déplacée à l'autre bout de l'Empire avec les autres anciennes concubines, elle se serait très vite mise à tempêter face à ce "parasite ambulant fourré de larves et d'insectes en tous genres".

Le déménagement des précédentes concubines n'avait pas que des mauvais côtés. Parfois, Khoufou pouvait se permettre d'être à nouveau cet adolescent qu'il n'était plus ; cet adolescent que le ka d'Horus avait chassé de lui lorsqu'il s'était engouffré à l'intérieur de son corps. Il avait suffi d'une couronne de bois et d'une cérémonie religieuse, pour que le dieu fasse de lui l'égérie d'une nation entière.

– Et je chante ! Comme un oiseau en caaaageuh ! Une vilaine cage qui pue, parce qu'elle n'est jamais changée ! Parce que…

– C'est plus que je ne peux en supporter, Néfer, murmura le jeune homme avant de sortir de sa cachette, comme un esprit surgi d'un mur.

Face à lui se déployaient les kilomètres de cheveux d'une toute jeune fille, actuellement en train de singer bêtement les danses rituelles des cérémonies.

– Parce que… continua-t-elle à chanter d'une voix de crécelle qui hérissa les petits cheveux dans la nuque de Khoufou.

– Parce que cette fameuse cage, dans ta chanson stupide, s'apparente à tes toilettes ? compléta-t-il d'une voix légère qui fit un bien fou à sa gorge – celle-ci en avait assez de forcer dans les graves, plus adaptés à Pharaon.

L'échevelée eut un sursaut tout bonnement gigantesque ; elle virevolta sur ses chevilles fines et posa les mains sur les hanches en faisant face à son roi.

– Par Sobek ! éructa-t-elle de sa voix disgracieuse. Non seulement tu m'espionnes, espèce de sale crotte de chacal, mais en plus tu viens discréditer les paroles de ma chanson !

Un sourire illumina le visage de Khoufou ; ses traits durs et racés perdirent immédiatement leurs marques, retrouvant toute sa jeunesse. Face à lui, Apouit – même son nom était ridicule, elle-même l'admettait volontiers – était l'une des innombrables petites princesses du deuxième harem, celui qui abritait les mères, les soeurs et cousines de Pharaon depuis la naissance de son Empire. Il était heureux que les deux harems fussent séparés de deux cours et de plusieurs murs, sans quoi Apouit et ses sœurs auraient probablement fini par dépecer les concubines de Khoufou, avant de leur faire manger leurs entrailles et de les brûler vives en dansant nues autour de leur bûcher.

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