Chapitre 11.8 - Le garçon qui ne voulait pas devenir roi

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– Je suis Diogon.

Sa voix était sèche et n'appelait pas de réponse. Ils comprirent qu'ils n'en sauraient pas plus. Un nom, c'était déjà bien assez. Les noms étaient puissants. Ils définissaient le ka et le reste. L'être tout entier. Diogon leur livrait un peu de son âme en le leur offrant.

Il leva sa grande patte d'ours et attrapa quelque chose par-derrière ses épaules, avant de poser une étrange sculpture à ses côtés. Tout à leur frayeur, Apouit et Khoufou n'avaient pas remarqué jusqu'à présent ce poids bien calé sur sa nuque. C'était un petit djinn magnifique, figé dans le métal. Des plumes chatoyantes ondulaient sur son échine, comme des ailerons de saphir ; une gueule de fennec roux était posée sur son crâne, disséminant son pelage de feu jusqu'à ses pattes ; deux longues oreilles d'âne gris se dressaient vers le ciel à partir de ses tempes. Sur son front, comme un petit diamant taillé, reposait le bec d'un oiseau.

C'était un artefact divin, sans aucun doute, une étrange sorcellerie investie du ka d'un mort, ou peut-être du d'un dieu. Apouit serra plus fort le bras de Khoufou, et il comprit qu'elle partageait ses pensées. Derrière ces prunelles de métal et cette tête de petit âne rond, aux paupières arquées empreintes de tristesse, Horus ou Osiris les observait peut-être.

– Qu'est-ce que c'est ? demanda enfin Khoufou, yeux plissés.

Le regard souverain de Diogon s'abaissa sur lui. Il posa une main sur le dos froid de l'objet.

– C'est... une amie.

Tous deux avaient noté l'hésitation presque invisible du géant ; mais alors que Khoufou s'apprêtait à passer outre et à poser enfin la question qui lui brûlait les lèvres, à savoir que comptait faire Diogon de ses deux otages, Apouit, avec une sensibilité toute féminine, sauta sur l'occasion.

– Une amie ? Elle est vivante ? Comment s'appelle-t-elle ?

Diogon laissa échapper un soupir face à toutes ces questions ; mais il consentit à y répondre.

– Je ne sais pas si c'est mon amie. Je crois qu'elle ne m'aime pas. Mais elle aimait mon créateur, et celui-ci lui a demandé de veiller sur moi.

– Ton créateur ? coupa Apouit alors qu'il continuait :

– Mais moi, j'aimerais la considérer comme une amie. Je n'en ai pas d'autres. Je ne peux en avoir.

– Hein ? Mais pourquoi ?

– Oui, mon créateur. Il est mort après m'avoir donné la vie.

– Pourquoi, pas d'amis ?

– Arrête de poser autant de questions, c'est humainement impossible d'y répondre, enfin ! lâcha Khoufou, exaspéré, mais le coeur attendri devant son amie emplie de tristesse face à cet être étrange.

– Je suis maudit. Je ne peux pas être aimé. Ceux qui m'approchent… ils finissent tous… Ils meurent. Les bêtes comme les hommes. Je suis seul. Et je le resterai.

Un cri d'alarme se mit à retentir sous le crâne de Khoufou, celui du ka de Pharaon qui s'agitait en lui, toujours plus prompt à analyser les dires et les situations. Il le chassa sans même y réfléchir. Pharaon était loin, seul restait le garçon fasciné.

– Tout le monde a le droit d'être aimé, réagit Apouit, son petit visage froncé de colère. Toi comme les autres ! Est-ce là ta malédiction ?

Une tristesse insondable se lisait soudain dans les grandes prunelles de Diogon.

– Tu n'as pas compris. Ce n'est pas grave.

Il y eut un silence.

– Et donc, comment s'appelle-t-elle ? reprit Apouit en désignant la créature de métal du menton.

– Elle s'appelle Peau d'Âne, mais je crois qu'elle n'aime pas ce nom.

– Pourquoi ?

– Je ne sais pas. Elle n'en parle pas. Mais je crois qu'il s'est passé quelque chose.

– Quoi donc ?

– Je ne sais pas ! rugit soudain Diogon, les yeux emplis de désespoir à présent. JE NE SAIS PAS ! Elle n'aime pas me parler ! Elle ne se confie pas ! Nous voyageons ensemble depuis plusieurs jours et nous avons dû échanger trois mots !

Il prit sa tête entre ses mains, gueule entrouverte sur sa respiration saccadée.

Khoufou mit une main sur la bouche d'Apouit, espérant la faire taire, mais c'était trop tard, elle avait ferré le poisson.

– Et elle, tu peux l'aimer ?

– Je… Elle ne peut pas mourir. Est-ce que cela veut dire oui ? répondit doucement Diogon d'une voix d'enfant perdu.

– Oui ! répondit l'adolescente, plus convaincue que jamais. Tu as le droit d'aimer qui tu veux !

Khoufou pensa brièvement qu'ils nageaient en plein délire. Ils dissertaient de la relation d'une statue et d'un monstre. Perchés à la pointe de sa pyramide en construction.

Il allait se réveiller dans très peu de temps, c'était certain.

– Mais ceux que j'aime, ils meurent ! Le corbeau ! La petite fille ! Le chien ! Tous ! Sauf Baba la sorcière…

Khoufou savait qu'Apouit ne comprenait rien à ses mots, mais qu'importe, elle ne lâcherait pas le morceau. Elle était comme ça. Et il l'aimait comme ça. Il l'aimait tellement comme ça…

– Peu importe ! Aime-les ! Tu as le droit ! Et elle, elle qui ne peut pas mourir, encore plus.

– Tu es sûre ? souffla le géant.

– Certaine ! J'ai grandi dans un harem plein de filles, crois-moi, je m'y connais en désordres d'amour !

Il y eut un instant de silence, où le regard plein de colère et d'espoir de la jeune fille s'accrocha à celui de Diogon. Puis celui-ci baissa à nouveau les yeux vers le plumage scintillant de la créature immobile, vers ses côtes de métal et sa crinière de petit âne.

– Diogon, cette… cette dénommée Peau d'Âne, est-ce que tu l'aimes ? insista Apouit.

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