Chapitre 3.3 - La petite fille qui embrassait les statues

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– Diogon ! cria Lumi en agitant les bras en contrebas. Arrête de marcher ! T'es tout cassé ! T'es tout cassé !

La bête s'immobilisa un instant, oscillant sur ses jarrets musculeux comme un arbre millénaire devient fragile au vent ; elle pencha la tête vers la fillette, puis les épaules, puis le dos entier, ployant sa grande carcasse silencieuse. Un spectre courbé vers le sol.

Lumi ouvrit les bras à nouveau, un grand sourire sur le visage, les mains tendues vers la grosse tête de la statue. Elle recueillit son mufle de lion dans ses paumes, puis l'abaissa encore, jusqu'à se retrouver nez à nez avec elle. Elle la regarda dans ses yeux fendus, dont la glace scintillait sous la lumière du soleil ; elle la regarda avec cet air timide des enfants aux anges. Puis elle déposa un baiser sur son museau, caressa ses joues glacées qui fondaient sous ses doigts ; la statue se redressa sans mot dire, déployant toute sa taille vers le ciel.

Lumi s'écarta de son chemin. Elle la regarda reprendre sa marche lourde et cadencée, la marche d'un robot brisé qui a appris à bouger. Son ombre immense l'engloutit, l'envoyant aux ténèbres, avant de la rendre au soleil.

Le géant s'éloignait, dans le silence le plus parfait.

Seuls retentissaient, de temps en temps, les bris de glace qui étoilaient sa carcasse.

Lumi le regardait partir, bouche bée ; elle sentait qu'il fallait dire quelque chose, mais elle ne savait pas quoi.

– Au revoir, Diogon ! cria-t-elle finalement. Suis les autres statues ! Fais un beau voyage !

L'être de glace disparut, comme un fantôme dans le vent et la neige. Sans laisser d'autres traces que celles qui se déployaient sur le sol.

Lumi sautilla hors de l'empreinte de l'hydre, quitta son cercle enchanté. Elle rejoignit les maisons du village, toutes recroquevillées sous le froid.

Elle avait vu tout ce qu'elle voulait voir, et bien plus encore.

Dans sa petite tête d'enfant, elle comptait se glisser dans sa chambre, discrètement, sans que ses parents ne s'en rendent compte, sans réaliser qu'ils devaient la chercher depuis la veille ; mais cela ne se passa pas ainsi.

Parce que sur le chemin, au pied d'une grande maison – celle de Diogon et ses parents –, s'était formé un attroupement.

Une femme hurlait sans discontinuer, agrippant sa tête dans ses mains ; soudain paralysée, toute petite au milieu de la neige, Lumi reconnut la mère de Diogon. Son sang se figea dans ses veines. Les hommes et les femmes criaient, s'interpellaient, pleuraient ; et par-dessus tout ce vacarme, un chat miaulait, miaulait désespérément sans s'arrêter.

– Matar ? chuchota Lumi.

La bouche tordue par la terreur, elle recula lentement, s'éloignant de la scène pleine de cris et de rage, jusqu'à ce que son dos heurte la façade de la maison voisine.

Cette maison en construction depuis des semaines, et dont les énormes blocs de taille, massifs et prêts à l'emploi, surplombaient le vide. Des dragons grimaçaient déjà sur leur face pré-sculptée.

Epouvantée par les adultes qui, à vingt mètres d'elle, sanglotaient et hurlaient, ces adultes toujours si calmes d'habitude, Lumi se mit à pleurer.

– LUMI !

C'était la voix de sa mère. Sa silhouette échevelée traversa l'attroupement ; elle courut vers Lumi, le visage tordu par l'angoisse, tendant les bras vers elle.

– Mais où étais-tu ! Qu'est-ce que tu…

Elle était encore à quinze mètres.

Trop loin pour arracher la fillette à la pierre de taille, monstrueuse, qui venait de basculer du troisième étage de la maison au dessus d'elle.

Lumi leva les yeux au moment où sa mère se mit à hurler.

Juste avant l'impact, à cet instant où la tonne de granit occulta son ciel bleu, les brisures de la statue de glace lui revinrent en mémoire.

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