3 - "Douce vérité"

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« Douce vérité ». Son cœur battait la chamade, chaque pulsation était pour lui une nouvelle décharge d'adrénaline, adrénaline le rendant plus fort, plus rapide, plus intelligent, adrénaline qui le préparait à un combat intense que personne n'avait mené auparavant. Loin, très loin, tout avait changé : le sol, l'air, et même le ciel, tout n'était maintenant que désert et souffrance, autrefois peut-être, s'il osait encore espérer, était plein d'espoir. Tout son instinct lui indiquait maintenant que cette planète signifiait la fin de toute chose. Elle était trop vaste, l'univers était trop grand. Plus rien ne respirerait l'air, plus rien ne pourrait être contemplé. Jusqu'à ce qu'il comprenne.

Ce qui paraissait une éternité plus tard, après que les rides eurent parus et qu'aller aux toilettes semblait la plus grande aventure, le vieil homme se leva. L'heure venue, sa fin approchant, il avait choisi, afin que la douleur s'en aille, une fois pour toutes, de prêcher la vérité.

- Dans ce monde, ce n'est plus l'homme qui compte, mais ce qu'il possède, déclara le mourant, pour rendre l'avenir plus doux, on achète tout ce qu'on peut, ce qui est à la mode, le dernier cri d'une technologie qui nous paraît si grande alors qu'elle n'est rien. Pour nous endormir, on achète, on vend, on recèle, chaque smartphone acheté est une nouvelle dose d'héroïne, pour atteindre un bonheur éphémère qui lui aussi n'est qu'une merveilleuse illusion. Grâce à votre foi, toutes vos peines et vos inquiétudes sont annihilées, c'est facile, avec Dieu. Dieu a toutes vos réponses… Dieu vous permet de vous endormir. Dieu est votre drogue. Inexorablement, nous nous battons pour conserver une société imbécile et faible, l'on place la Terre au centre du vaste univers. Je l'ai vu, cet univers. Oh… Si grand… Chaque lumière provenait d'une immense étoile, si belle… Il n'avait aucun sens compréhensible par de faibles esprits comme les nôtres. Chacune des pierres avaient des formes inconnues jusqu'alors, j'ai même fait une crise cardiaque en voyant une sorte de château aux proportions si hideuses que mon esprit tentait de me le faire oublier, refusant l'inévitable. Ce château… Comment pouvait-il être si grand ? Oh. J'étais sur le bord d'un gouffre profond qui m'emmènerait dans les plus bas recoins de l'âme humaine. Écoutez moi parler, il n'y a même pas d'âme.Votre attention, enfants, vos chiens ne sont ni dans une ferme, ni au paradis des chiens, ni dans un quelconque lieu où ils vivraient heureux pour une trop longue éternité. Ils sont morts. Leurs corps sont actuellement en décomposition, rongé par les vers, ils ne sont nul part. Là aussi, c'est une douce berceuse qu'on se dit pour se rassurer. Vous vous tenez là, attendant votre pilule miracle, attendant que je vous conforte dans votre vision mièvre de la vie. C'est rassurant, hein, de savoir que quelqu'un nous observe, nous protège, rassurant de savoir qu'il exaucera tous nos souhaits, que nous vivrons éternellement au paradis pour chiens ? Vous êtes là, maintenant, devant moi, vous vous tenez droit, vous pensez mériter cette vérité ? Vous pensez être capable de l'encaisser ? Chaque dieu jamais crée, chaque perte, chaque guerre menée, chaque deuil, chaque amour, le paradis, l'enfer, le pardon, l'art, rien n'a d'importance, tout cela ne sert à rien. Je l'ai vu, moi, l'univers. Il était si vaste, oh, si vaste, peuplé de milliards de planètes, de milliards d'étoiles, et nous ne sommes que dans le coin d'un système solaire, qui est dans le coin d'une galaxie, qui est dans le coin le plus éloigné de l'univers, et je ne parle même pas de ce qui n'a jamais été vu. Et tout ça pour quoi, hein ?! L'exploration, ça sert à quoi ?! On repousse des limites qui ne devraient pas être repoussées, nous traquons un fantôme de vérité et cela mène à quoi ? Nous pensons avoir fait le tour de la Terre, qu'elle n'a plus rien à offrir, et nous, dans notre narcissisme nous pensons que l'univers nous doit quelque chose, que nous, grands Seigneurs et Maîtres de l'univers, nous méritons mieux qu'une seule planète. J'ai repoussé les limites. J'ai vu des mondes brûler, des terres se geler, et il n'y avait que moi, uniquement moi pour observer. J'ai vu des mondes mourir, je me souviens encore. Oh, oui… J'étais comme vous, je voulais découvrir la vérité, explorer un univers que je pensais beau et sincère, je pensais devoir aller la chercher très loin, alors que, hé, devinez… Il-n'y-a-rien. Le glas de l'humanité sonnera un jour et l'univers se portera très bien sans nos vieilles carcasses. Nous allons mourir. Puis les plus belles étoiles vont s'éteindre et leur faible lumière causera la perte d'autres mondes, qui eux mêmes n'auront aucune importance, d'autres mondes naîtront, et mourront à leur tour, et il ne restera plus rien sinon le glacial silence, la douleur mourra, la mort aura achevé son œuvre, la vie ne reprendra pas et l'univers restera là, aussi vide de raison que nous le sommes. Vos guerres n'ont aucun sens, vous n'avez aucun sens, vous pleurez lorsqu'un de vos proches meurt, vous pensez que l'univers vous doit quelque chose, que Dieu lui même, et vous acceptez d'y croire pour pouvoir lui demander une faveur, est obligé de vous obéir, alors vous hurlez à la mort, et vous comprenez, vous comprenez qu'il n'y a personne pour écouter, rien ne touche l'univers. Vous voulez une vérité ? La vie d'un homme se résume à naître, remplir son cerveau de choses inutiles, s'intégrer socialement, se marier, avoir de l'argent, des enfants et puis attendre de mourir. Ses enfants naissent, remplissent leur cerveau de choses inutiles, s'intègrent socialement, se marient, essaient d'obtenir de l'argent pour un bonheur d'un jour, puis ont des enfants et attendent de mourir. Voilà à quoi se résume « la plus belle espèce de tous les temps ». Le truc c'est que l'univers est tellement plus vaste, plus étrange, plus sombre, plus grandiose que ça. Nous sommes là, à nous tenir, essayer de faire le bien, mais quel bien ? Lorsque quelqu'un vous dit que vous êtes mauvais, dixit qui et quel savoir divin ? Le mal, le bien, l'amour, l'espoir, la bravoure, la foi… Tout cela ne sont que des concepts inventés pour nous dominer, le mal n'est alors là que pour révéler le fond de notre âme : l'égoïsme. Le mal devient donc notre seul outil pour atteindre un bonheur fugace que nous rongeons chaque jour comme des chiens effrayés, jusqu'à ce qu'il n'en reste rien, tout cela aux dépends de gens exactement du même gabarit. Si, alors, nous réussissons à être heureux, nous attendons de mourir, comme du bétail, et nous ne méritons pas mieux. Regardez moi, dans l'enfer de mon éternité, je me libère des chaînes que j'avais confectionné lorsque je n'étais qu'un affreux petit enfant, et non, vos enfants ne sont pas féeriques, ce ne sont pas des anges. Je pensais découvrir la vérité. La vérité est qu'il n'y a pas de vérité. Elle n'est pas ailleurs, la vérité n'est qu'une berceuse, une douce couette dans laquelle se fourrer la nuit, lorsque l'on a peur de mourir, peur de ne pas avoir assez vécu, de nous réveiller juste avant notre dernier souffle et de penser que l'on n'a pas vécu. Ces couettes transparentes délimitent le connu et l'inconnu, ce qui nous permet de voir au travers avec une vision biaisée d'une réalité absurde, ce sont nos chaînes. Nous pensons tout savoir, et nous ne devrions pas, parce que nous ne pouvons pas et ne pourrons jamais savoir. Il est trop tard, il a toujours été trop tard et il sera toujours trop tard. Marcher vers les étoiles, ce n'est pas pour nous, mon père avait tort. Nous ne devons pas savoir : nous sommes humains. L'exploration n'a aucun sens, autant attendre de mourir…

Deux mains l'encerclèrent, impossible de bouger, il devenait paralysé. Il prit la dernière taffe, de la main droite, son regard était plein de soulagement, son corps entier était calme alors même qu'il s'étouffait, trop vieux pour vivre, trop jeune pour mourir, son esprit devenait un infini paradoxe, si jeune, si passionné, il se savait condamné. Pourtant, aucune trace de débat, il était calme, apaisé, il savait qu'au final, tandis qu'une valse meurtrière s'engagerait entre le rationnel et l'irrationnel, une valse qui engagerait la Terre entière, une guerre de meutes de masse, des milliers de vies brisées, des familles séparées, du sang versé, il aurait le dernier mot, parce qu'il n'y avait pour lui plus aucun moyen de perdre. A l'autre bout de l'univers, le silence maintiendrait son autorité, sa dictature prendrait de l'ampleur alors que les humains mourraient petit à petit, et l'univers sombrerait dans un néant glacis, immobile, pas un cheveux ne bougerait, le vent ne se manifesterait pas, les branches ne bougeront pas. Lentement, les planètes avanceront dans leur trajectoire, années après années, sans que cela n'ait une quelconque importance, doucement, ils se dissocieront dans l'espace et chacun de leurs atomes seront progressivement détruits. Longtemps après, d'autres atomes apparaîtront et disparaîtront à leur tour, l'univers sera alors figé dans le marbre, l'histoire ne sera pas écrite sur une quelconque fresque de la vie, et tendrement, elle sera oublié. Un grand homme venait de mourir, et l'univers n'en avait strictement rien à faire. Que peut faire le plus grand des termites face à la gravité, le temps, l'espace ? La vérité n'est qu'un fantôme que l'on aime chasser, résultant de notre besoin de rationaliser, ranger dans des cases, notre envie de nous croire protégés, peut-être même qu'il y a un monde meilleur que le notre, qu'une meilleure vie nous attend de l'autre côté. Toutefois, il n'y a pas de rationnel, pas de lois absolues, pas de bien ni de mal, aucun paradis, pas d'enfer, ni dieu(x)… Le vieil homme se surprenait à penser, lorsqu'il n'était qu'un jeune passionné, que tout devait avoir un sens, qu'il avait un destin, que la mort puis l'oubli ne pouvait pas être la seule issue, qu'il restait un espoir. Et pourtant, le dernier regard qu'il lançait semblait vouloir hurler : « Le rêve est fini. Après des milliers d'années, il temps de se réveiller. Vous savez que j'ai raison vous là-bas ! »

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