Septième chapitre : Véra
J'ai dit à Steven, le jour où Ingrid nous a annoncé la nouvelle de sa grossesse :
- Voilà que je vais être une vieille femme, maintenant. Je vais être grand-mère !
Cela l'avait fait rire, comme souvent. Et il m'a répondu :
- Mais non ! Tu as toujours tes jolies joues de pomme rouge, sans aucune ride !
Même s'il ne me l'a pas dit, je sais que Steven espérait secrètement la venue d'un petit-fils. Ce fut cependant une petite-fille, et cela nous combla de joie.
J'ai passé plusieurs semaines à Glasgow, chez Henry et Ingrid durant sa grossesse, pour l'aider. Steven m'y rejoignait régulièrement. Je ne voulais pas que ma fille se fatigue, ayant de trop mauvais souvenirs personnels. Elle me disait souvent : "Mais, maman ! Je ne suis pas malade, je suis juste enceinte !"
Mais Henry me confia que ma présence le rassurait. Ingrid lui avait expliqué pourquoi elle était fille unique, alors que, dans la famille, chaque couple avait eu plusieurs enfants. Sans être autant angoissé que moi, il avait cependant la crainte qu'Ingrid ne soit aussi fragile que j'avais pu l'être. Ce petit séjour que j'ai fait chez eux nous a beaucoup rapprochés, Henry et moi. Nous nous entendions bien, déjà, avant, mais je peux affirmer que c'est de cette période que j'ai pu vraiment avoir le sentiment qu'il était comme un fils, et pas seulement un gendre. Sa sollicitude, son écoute, son empathie aussi, ont beaucoup compté quand d'autres moments difficiles sont survenus.
Car, quelques semaines après la naissance de Véra, j'apprenais le décès, brutal, de ma mère. A croire qu'une étoile s'en va quand une autre arrive… La venue du bébé m'a fait beaucoup de bien et m'a aidée à surmonter mon deuil. Ingrid a eu beaucoup de peine aussi, car elle aurait aimé amener sa fille à mes parents, comme moi-même avais pu le faire pour Ernestine. Maman est partie en ayant appris cependant la nouvelle qu'elle était arrière-grand-mère et en ayant vu quelques photos de Véra tout bébé.
Ainsi, à peine nous nous réjouissions de l'arrivée de Véra que nous quittions précipitamment Glasgow, par avion - c'était la première fois que nous prenions l'avion Steven et moi -, pour nous rendre aux obsèques de ma mère. Bien entendu, Ingrid a tenu à venir avec nous. Henry a donc gardé sa fille, Debbie s'étant proposée aussi pour s'en occuper. Mais Ingrid tenait vraiment à être présente pour l'enterrement, et à voir mon père.
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Je ne veux pas vous parler trop longtemps de ce deuil, ce n'était pas le premier que nous affrontions, ce ne serait pas le dernier. En quelques années, nous allions perdre nos parents, Steven et moi. Car à peine la terre s'était-elle refermée sur ma mère, que mon père la rejoignait. D'après Eric, il avait eu beaucoup de mal à affronter le deuil. Quatre ans plus tard, c'était Donan qui s'en allait. Nous avons heureusement gardé Finella plus longuement…
Mais c'est ainsi... la roue tourne.
La naissance de Véra nous a aussi amenés à faire souvent le trajet entre Fort William et Glasgow, quand nous n'étions pas trop occupés par les moutons. John, le fils aîné de Matthew, venait parfois nous aider un peu, quand nous devions nous absenter. Steven s'entendait bien avec son neveu qui était parvenu à faire évoluer son père, avec difficulté, mais il y avait bien été obligé.
Dire l'enchantement que je ressentais à chaque voyage en traversant ces paysages serait encore en-deçà de la réalité. Ingrid et Henry venaient toujours aussi souvent nous voir. Très vite, durant l'été, ils nous ont confié la pitchoune. J'étais ravie, et Steven aussi, d'avoir à m'en occuper. Elle a fait ses premiers pas toute seule, avec nous. J'étais un peu triste qu'Ingrid et Henry ne la voient pas, mais je me souviens très bien de ce jour ! Il faisait beau, je m'étais installée avec elle dans la cour, derrière la maison. Nous y avions fait, au cours des dernières années, des travaux importants. Donan avait un peu de mal à se déplacer, nous avons donc fait en sorte de lui rendre la vie plus facile, grâce à une chambre située à côté de la salle à manger, et une salle de bain voisine. Une aile a donc été ajoutée à la maison. De même, Steven a bitumé une partie de la cour, la rendant ainsi plus carrossable et, indirectement, cela me donnait moins de ménage à faire !
J'étais donc avec Finella et Véra dans la cour, assises sur le banc. Nous étions toutes les deux en train de faire de la couture, elle du crochet, et moi de repriser des vêtements de Steven. Donan faisait une petite sieste, Steven était occupé avec les moutons. Véra était assise par terre, sur une petite couverture, devant nous, et jouait. Steven est arrivé et, en le voyant, elle qui d'habitude trottait à quatre pattes, s'est levée en s'appuyant contre ma jambe, puis elle m'a lâchée et a fait ses premiers pas en direction de son grand-père. Nous avons retenu notre souffle… Je n'oublierai jamais le regard fier de Steven, qui s'est accroupi lentement pour tendre les bras vers la petite.
Il est une petite anecdote qui pourra vous faire sourire... Comme Véra était notre première petite-fille, c'est aussi elle qui a choisi nos petits noms de grands-parents. Elle a appelé Steven "pépé", utilisant ainsi un mot français, et moi, j'étais "mummy", mot à consonance anglaise. C'était drôle de se dire que moi, la Française, j'étais comme devenue écossaise, et que son grand-père, Ecossais, était devenu français.
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Je ne savais pas si Ingrid et Henry auraient d'autres enfants, je ne savais pas quelles étaient leurs intentions, mais j'avais bon espoir qu'ils nous donnent une petite descendance quand même. Néanmoins, je voulais profiter autant que possible de ma petite-fille et, bien vite, Steven m'encouragea à aller à Glasgow plus souvent, même quand lui-même ne pouvait s'absenter. Ainsi, au moins une fois par mois, quelle que soit la période de l'année, je prenais le train pour gagner la grande ville. Comme je vous l'ai déjà dit, j'aimais beaucoup ces voyages et je ne me lassais pas d'admirer les paysages qui défilaient devant mes yeux. Le voyage me paraissait toujours trop court, même si j'avais hâte d'arriver et de retrouver les enfants.
Véra affirma très vite son caractère. Sans être butée, elle était têtue. J'avais vu bien des enfants grandir dans la maison ou chez nos proches, et je savais que la période des deux ans pouvait être difficile. Aussi Ingrid n'était-elle pas mécontente de me voir arriver pour m'occuper un peu de la pitchoune, surtout quand elle se retrouva enceinte une deuxième fois. Sa grossesse se déroulait aussi bien que la première, mais elle eut une petite période de fatigue, vers le quatrième mois et je demeurai alors un peu plus longtemps avec eux, pour m'occuper de Véra. Cette dernière trottait bien et je l'emmenais souvent au parc de Kelvingrove. C'était au début du printemps, nous passions beaucoup de temps à admirer les fleurs qui s'ouvraient, les arbres qui se couvraient de feuilles. Un jour, au cours de notre promenade, nous vîmes un petit nid sur une branche basse. Je le montrai à Véra, lui expliquant qu'il ne fallait pas toucher le nid pour éviter que les parents ne l'abandonnent. Elle demanda alors à revenir, presque chaque jour, au parc, pour regarder le nid. A chaque fois, nous pouvions voir les oeufs grossir. Je la prenais alors dans mes bras pour la porter à hauteur et elle jetait un oeil curieux. Lors de nos dernières promenades, avant que je ne rentre à Fort William, elle put voir les petits qui étaient sortis de leurs coquilles.
Je compris cependant bien vite que, même si nous nous efforcions d'attirer l'attention de Véra sur les petits miracles de la nature, elle ne s'y intéressait que peu. Au cours de l'été qui suivit, elle alla d'abord un peu chez les parents d'Henry, à Doune, puis vint à Fort William avec Ingrid. Celle-ci avait prévu de ne repartir sur Glasgow que courant septembre et je l'accompagnerais, pour être là-bas pour son accouchement et m'occuper de la petite.
Véra s'était déjà fait des amies, à Fort William, parmi lesquelles plusieurs petites-filles de Mary ou des petites voisines. Je proposais alors souvent à Mary de laisser une ou deux des petites à la maison, pour jouer avec Véra. Mary ne disait pas non, car elle avait beaucoup de petits-enfants et était très sollicitée pour les garder, surtout en cette saison. Nous avons ainsi passé de bons moments, au cours de cet été-là, à nous voir très souvent, Mary, Dougal, Steven et moi, avec nos enfants et petits-enfants respectifs. Il y eut de nombreux repas de famille, beaucoup de rires et de chants. Finella et Donan étaient ravis de ces rassemblements familiaux et de pouvoir profiter eux aussi de leur descendance. J'étais admirative et heureuse aussi à l'idée qu'ils étaient arrières-grands-parents. Je me demandais si nous connaîtrions cette joie-là, un jour, Steven et moi. Mais dès que je reportais mon regard vers Véra, je me disais que nous avions bien le temps : notre pitchoune était encore si petite !
Au cours de cet été, je commençais aussi à tricoter pour ma petite-fille. Non à lui faire de petits pulls ou autres vêtements, ce que j'avais fait déjà depuis avant sa naissance, mais à le faire pour ses poupées. Elle en avait deux avec lesquelles elle jouait beaucoup, et elle trouvait toujours qu'elles n'avaient pas assez de vêtements. Elle leur changeait de tenues constamment ! Finella et moi avons alors commencé à coudre, à tricoter et même pour Finella, à broder, pour les poupées. Je dois avouer que cela nous a beaucoup amusé ! Mais je voulais aussi tricoter pour le futur enfant d'Ingrid, pour lui préparer un petit trousseau de naissance.
J'accompagnais à chaque fois ma fille pour les visites de suivi qu'elle eut à faire à l'hôpital. C'était bien différent de ce que j'avais connu ! C'était impressionnant aussi, mais cela attisait ma curiosité. On apprenait ainsi beaucoup de choses sur le développement du bébé. En revanche, et si Ingrid eut droit à deux échographies au cours de sa grossesse, elle refusa de connaître le sexe de son bébé en avance. Elle disait préférer avoir la surprise. Et puis, la technique n'était pas encore très au point et de nombreux parents avaient eu de sacrées surprises à la naissance, dans notre entourage ! Elle préférait éviter d'imaginer ce qui ne serait pas la réalité.
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