Partie III

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 De ce qui aurait pu être son dernier souffle, Nièmer éructa mon nom, ancrant par ce son rauque mon esprit dans la réalité. Sans évoquer cette transe, j’effectuai mon devoir de serviteur, l’automatique de mon corps aidé par l’automatisme de l’habitude. Des pressions précises sur ces veines lui insufflèrent la force qui lui faisait défaut. Le corps de mon geôlier s’offrait à la liberté, sa vie se débattant pour ne pas le quitter, à cette tâche mon alerte tutelle veillait. Un soubresaut l’agita, le contrôle de son corps et de son existence lui revenait. Il me regarda, avisant en silence les conséquences de la crise qui l’avait agité. Sa chair faiblissait, vaincu par la course maline de l’âge, croulant sous le fardeau du souvenir. Sa fin approchait, accompagné par l’écho railleur de son échec, il ne lui restait qu’un coup, l’ultime esbroufe, trop gros pour être ignoré, soulageant son roi, sacrifiant la reine pour libérer le jeu. Digne, il se releva, ignorant ostensiblement mon aide, puis se dirigea vers le laboratoire prêt à accueillir le pion qui digérerait sa pièce maitresse. Le duel avec la nature se jouerait sur l’équilibre d’une falaise, étreignant l’idée d’un nul pour redémarrer une nouvelle partie.

 C’est alors que la carlingue se mit à grommeler, maugréant sous l’assaut d’un amant inconnu, incongru. Dans des hurlements d’acier, des pleurs de vapeur, des silences d’effroi un vaisseau s’arrimait, livrant à la lumière le jeu d’osselets côtoyant les échecs. L’aléatoire qui embrassait la stratégie calculée. Nièmer frémit, de rage ou de peur, qu’en sais-je. Le temps jouait contre lui, et son aura, déjà, s’estompait pour qu’ils osent l’attaquer. D’un réflexe mécanique, je me plaçai devant alors qu’il s’arrêtait. Le silence, sanglotant, annonçait qu’ils étaient entrés. Un souvenir de cœur serré m’assailli, la suite n’était guère dure a prophétiser. Durant cinq minutes, nous attendîmes, bercé par la triste mélodie du métal, les rires hystériques des rouages, leur pas régulier se rapprochant. Le carrefour ou nous étions étincelait dans un jeu d’ombre, jamais il ne fut plus effrayant, le visage fermé à l’instar de ses automates, l’expression balancé entre résignation et détermination. Derrière nous se tenait la bibliothèque d’où nous parvenait l’écho lointain de l’horloge qui martelait les secondes, il lui tournait le dos, sans un regard, il quittait son unique ami, son attention était rivée sur le virage qui nous faisait face, le laboratoire nous attendait, la pièce virevoltante oscillait entre pile et face, cinq respirations vinrent alors de notre droite pour la faire chuter.

 Cinq hommes resplendissaient dans un uniforme brasillant, leur démarche mût par la conviction, ils avaient l’attitude sévère des juges qui devaient châtier sans attendre, le regard triste de ceux que la mort ne quitte jamais, le port princier de ceux que la justice borde, borne sans autre considération qu’elle-même. Face à nous, ils s’arrêtèrent, placés pour exécuter la sentence qui jaillira de leur procès déjà imaginé. L’un deux, énonça d’une voix de stentor son autorité, me sommant au passage de m’écarter. Ni moi ni Nièmer ne bougeâmes. Leurs regards étonnés, quand à mon état statique arracha un sourire au ride du vieil homme. Leurs yeux se teintèrent alors d’horreur quand la compréhension vient les visiter. L’un deux rugit :

« C’est un homme ! Vous avez fait l’abominable ! Ceint les privilèges d’un dieu, sans honneur ni scrupule ! »

_ Tu m’aurais salué autrement que par cette mascarade mon fils, je t’aurais prévenu. Lui répondit-il, d’une fatigue sans âge »

 Un malaise parcouru leur assistance, la lumière mesquine et capricieuse offrait à la pénombre le secret maintenant bramé par leur trait si semblable. Le bicentenaire parla alors.

« Faites demi-tour. En souvenir de ta chair Œdipe, je t’épargne toi et tes amis aujourd’hui, te pardonne pour être venu alors que je te l’avais interdit.

 L’un d’eux railla

_ Sinon quoi, vous allez nous laver la bouche au savon pour ne pas vous avoir respectez ?

_ Comment voulez-vous qu’un vieillard au souffle court vous fasse grand mal. En revanche, l’avantage de mon ami ici présent, c’est que l’homme n’est pas concerné par les lois d’Asimov. »

 L’un d’eux mourut, l’incompréhension encore luisante dans son iris. D’un revers, un second fit jongler son pistolet tout juste dégainé dans la main du diable. Ils réagirent, parsemant mon squelette de trous fumant, un mur résonna quand l’un lui offrit une accolade, et l’écho joyeux de la fonte accompagna le quatrième au sol. Mon esprit ruait, déchainé par la rumeur de sa mémoire, les souvenir de ses émotions. Je n’avais aucun choix, et je me débattais contre mon carcan, cherchant une faille tandis que j’accomplissais ma sinistre besogne. Il ne restait plus qu’Œdipe quand son géniteur me retint. Son visage déformé dans un rictus haineux

« J’ai toujours voulu réécrire cette histoire » Mon bras s’abattit tandis que Nièmer se détournait.

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