Chapitre 2
Mon rire, initialement dédaigneux, se transforma bientôt en un silence chargé d'incrédulité. C'était une blague, non ? Les yeux sérieux et imperturbables de son père et du mien me donnèrent la réponse, écrasant mes espoirs d'un simple coup d’œil.
— C’est une plaisanterie ? insistais-je, espérant une rétractation rapide.
— Non. La crise économique touche tous les secteurs, et de plus en plus de nouvelles entreprises émergent avec un fort potentiel. L'empire Castez représente l'avenir, quoi qu'il arrive, car le divertissement reste une valeur sûre, mais l’arrivée de nouveaux concurrents fragilise notre position de leader. Quant à notre entreprise, Glamour, on bénéficie d'une meilleure image et attire la sympathie des actionnaires. En nous associant, nous serions intouchables. Le mariage assurait notre capital et permettrait le développement de l'entreprise en tirant parti des avantages que vous possédez tous les deux. Sans compter que les actionnaires sont plus en confiance lorsque les PDG ont une famille. Cela donne une image de fiabilité, une certaine légitimité, expliqua Tobias d'une voix monotone.
Le choc m'envahit. D'un côté, l'illusion que notre entreprise était à l'abri des tempêtes économiques s'évaporait brutalement. De l'autre, la nouvelle de devoir me marier jetait un voile d'incompréhension sur mon existence déjà secouée par l’annonce de la situation de l’entreprise.
Génial… Cette soirée est vraiment une catastrophe.
— Bien que la crise du Covid soit passée depuis plusieurs années maintenant, elle a laissé un impact important sur de nombreuses entreprises. Nous devons anticiper les bouleversements du marché. En unissant nos forces, nous espérons surmonter ces défis et maintenir notre position de leader, reprenais mon père.
Lourd de signification, son discours résonna dans la salle du restaurant, amplifiant le poids des décisions prises à notre insu.
Tout mon être refusait d'accepter la réalité brutale qui m'était présentée.
Tobias et Jeff Castez semblaient déterminés à mettre de côté nos considérations personnelles au profit de leurs intérêts économiques. Ce n’était pas le cas de Victoria.
— Je ne me marierai pas avec lui, c’est hors de question. Il faisait toutes les semaines la une des magazines people avec ses conquêtes. Qui plus est, je suis désolée Monsieur Castez, mais c’est un crétin arrogant, prétentieux et insupportable.
Victoria réussit à me faire sortir de l’état de choc que cette annonce avait provoqué pour me plonger dans une colère noire. Cette femme et ses airs parfaits m'horripilaient.
Un mariage ? Hors de question. Mais avec elle ? Encore moins.
— Parce que tu te crois mieux, toi, peut-être ? répliquai-je, un frisson de colère électrisant chaque mot.
Je ne pouvais déjà pas la supporter en temps normal, mais avec cette nouvelle, je voyais rouge.
— Bien sûr que oui.
— Redescends de ton trône, princesse, tu es superficielle, faussement parfaite, tu n’es rien du tout.
— Il suffit, Thomas. Si tu ouvres encore la bouche, tu le regretteras aussitôt. On dirait que vous avez quatorze ans tous les deux. Vous occupez des postes de directeurs généraux, mais si vous avez l'intention de prendre la relève de l'entreprise familiale, il faudrait grandir un peu. Sur le papier, vous êtes extrêmement qualifiés, en plus d'être nos enfants, mais dans la vie réelle, particulièrement toi, Thomas, vous manquez de maturité. C’est en partie ta faute le mariage, si tu n’avais pas une attitude aussi volage, les actions en bourse n'auraient pas été aussi impactées tout comme notre image. J'espère sincèrement que ce mariage vous aidera à évoluer.
— Mais papa…
— Stop, j’ai dit.
A son regard, je compris que je ne devais pas insister. Si je continuais, je savais très bien ce qui m'attendait. Je soupirai profondément, laissant échapper un mélange de frustration et de résignation. Je détestais être ainsi rabroué, me sentant relégué au rang d'enfant désobéissant. Je suis Thomas Castez tout de même. La situation me semblait à la fois absurde et désespérante.
Mais, cela ne m’empêchait pas de lancer un regard mauvais à l’autre dinde qui se prenait pour la femme du siècle.
— Victoria, Thomas, vous comprendrez que dans le monde des affaires, certains sacrifices personnels devaient être faits pour garantir la pérennité de nos entreprises et la sécurité des futurs générations. La fusion de Castez et Glamous créerait une entité encore plus puissante, capable de faire face aux défis qui se présenteraient. Et le mariage entre vous deux serait un moyen d'assurer cette alliance solide, expliqua Tobias d'un ton plus compatissant.
— Vous allez vous marier, que vous le vouliez ou non, reprit mon père. Nous annoncerons d’ailleurs vos fiançailles dans deux semaines lors du gala pour l’ouverture de la nouvelle galerie d’art.
Je détestais déjà mon père mais avec ce qu’il voulait m’obliger a faire, ce n’était pas prêt de s’arranger. J’aurais aimé pouvoir lui dire clairement ce que je pensais, mais je ne pouvais me contenter que de serrer les poings. Il serait capable de me faire virer de l’entreprise. A ses yeux, il n’y avait que ça qui comptait.
Tout reposait donc sur Victoria.
— Papa, s’il te plaît, ne fais pas ça, supplia Victoria.
— Vic, j’aimerais te laisser le choix, mais tu ne trouveras pas meilleur parti que lui et pense au bien de l’entreprise.
— Mais…
— Vic… ne me déçois pas s'il te plaît et accepte ce mariage.
— Très bien, se résigna Victoria.
Non, c'était impossible, si elle acceptait, cela voulait dire qu’il n’y avait que moi que cela dérangeait. Pourquoi abandonnait-elle aussi facilement ? Après tout, ce n’était pas étonnant venant d’elle. Non seulement c’était une fille à papa, mais en plus, qui dirait non à se marier avec moi ?
— Papa, je ne peux pas me marier avec elle. Je devais me concentrer sur l’entreprise, tentais-je.
— Thomas, écoute-moi bien, si tu continues à contester mon ordre, je désignerais quelqu’un d’autre comme légitime successeur à la place de PDG. Me suis-je bien fait comprendre ? Tu sais très bien que je n’attends que ça. Qui plus est, avec un peu de chance, ton image de playboy changera pour une d’un peu plus professionnelle. Maintenant, tu fermes ta bouche et tu obéis, sinon tu sais ce qui t’attend.
J’étais vaincu. Si je m’obstinais, je perdrais tout et c’était hors de question.Je peux supporter sa colère mais pas de devoir renoncer à mon héritage. Surtout si c’était à cause de Victoria, elle ne le méritait pas. Je devais trouver un autre moyen d’annuler ce mariage. Si je le demandais à mon père, le connaissant, il me le ferait payer à coup sûr, comme à chaque fois que j’avais osé, un peu trop, lui tenir tête.
— On annoncera vos fiançailles dans deux semaines et dans un an jour pour jour, on célébrera votre mariage, reprit Tobias. Bien sûr, il faudra que vous emménagiez ensemble pour éviter toute rumeur.
— Et donc quoi ? Il faudra qu’on fasse semblant de s’aimer et qu’on fasse beaucoup de bébés ? répondis-je de plus en plus irrité.
— Pour les enfants, nous verrions ça en temps et en heure. Mais, oui, il faudrait, au moins, que vous vous affichiez en public de manière amoureuse. Cela doit être crédible.
— Pourquoi aussi vite ?
— La crise économique n’attend pas. Plus vite c’est fait et moins ça vous laisse le temps d’essayer de trouver une parade. Vous avez beau avoir vingt-huit ans, vous vous comportez encore comme des adolescents.
— J’ai une condition.
Victoria, plongée dans ses pensées depuis sa dernière intervention, ralluma l’espoir en moi. Elle arriverait peut-être à les faire changer d’avis. Je devais bien reconnaître qu’elle avait toujours été douée pour négocier. La plupart des clients qu’elle convoitait finissaient toujours par lui manger dans la main. Que ce soit dans l’aile de son entreprise dédiée à la mode, à l’automobile ou à l’hôtellerie, peu importe le sujet qui les amenait à la voir, elle réussissait toujours à leur vendre quelque chose ou à les avoir comme actionnaires.
— On t’écoute.
— On accepte le mariage, on se pliera à toutes vos règles, mais, si un an après le mariage, on ne s’apprécie toujours pas, vous nous autorisez à divorcer.
— Autant ne pas se marier.
— Ferme-la, Thomas, répondit Victoria. Vous avez connu le grand amour et vous vous êtes mariés. Je comprends parfaitement que nous devions protéger l’entreprise, mais n’avons-nous pas le droit d’être heureux ? Ne pourrions-nous pas être mariés que temporairement ?
— Qu’en penses-tu Jeff ? questionna Tobias. Cela pourrait être une idée. Elle a raison, on ne peut pas leur demander un aussi gros sacrifice. Je n’avais pas pensé à cette option. Avec un peu de chance, la situation économique s’améliorera. Le divorce impactera un peu les chiffres, mais si Victoria et Thomas continuent de collaborer après, les pertes seront minimes. Puis qui sait ? Ils finiront peut-être par tomber amoureux. Je veux bien concéder à cette condition. C’est toi qui vois.
— Je ne suis pas du même avis, rétorqua mon père, anéantissant tous nos espoirs. Même si pour nous le divorce ne coûtera que très peu, cela entachera notre image de marque. La bourse chutera et nous passerons pour une entreprise instable, et je ne sais quoi d’autre. Les chiffres risquent d’être impactés pendant longtemps.
— C’est vrai, acquiesça Tobias, songeur. Je n’avais pas pensé aux conséquences d’un divorce. Je suis désolé, mais l’entreprise doit être une priorité, pour nous tous.
Oh non, je vous en prie, je commençais enfin à entrevoir la lumière au bout du tunnel, et voilà que tout s'écroulait sur moi... Merci, papa!
Mais… attends… Avec qui vais-je pouvoir m’envoyer en l’air ?
Un regard horrifié se dessinait sur mon visage tandis que je scrutais les trois individus en face de moi. Connaissant leurs manies, ils ne manqueraient pas de surveiller de près mes aventures d'un soir, et je refusais catégoriquement de toucher à celle qui deviendrait ma "femme".
Rester abstinent ? Pour toute ma vie ? Impensable.
Je ne pouvais tout de même pas tromper ma femme, même si ce n’était pas consenti… si ?
Un silence oppressant s'étendit, la tension électrique flottant dans l'air. Victoria me fixait, ses yeux reflétant une confusion et une anxiété profondes.
— Qu'y a-t-il ? me demanda-t-elle en chuchotant.
— Avec qui vais-je coucher ?
— Attends, tu es sérieux ?
— Quoi ? Tu ne crois quand même pas que je vais le faire avec toi, je suis Thomas Castez tout de même.
— Non, mais tu n'es vraiment qu'un gars prétentieux et horripilant.
— Tu es juste frustrée, Miss Parfaite.
— Mais ferme-la un peu. Du coup, nous devrons faire quoi ? demanda-t-elle un peu plus fort.
— Parce que tu acceptes ?
— Tu veux qu’on fasse quoi, Thomas ?
Mon père, qui n’avait pas prêté attention à notre conversation avec Victoria, m’empêcha de répondre avec sa nouvelle annonce :
— Demain, Victoria apportera ses affaires chez toi…
— Pourquoi chez moi ? coupai-je mon père.
— Le penthouse de Victoria était situé à quelques pâtés de maisons seulement du siège de son entreprise, offrant ainsi une grande commodité pour ses déplacements professionnels. En revanche, ta maison était stratégiquement positionnée à mi-chemin entre les deux, ce qui la rendait idéale pour maintenir un équilibre entre vous deux. Cela évitait que tu sois obligé de faire plus de chemin qu’elle.
— Bien que nous ayons quelques réserves quant à vous confier les rênes de l'entreprise, reprit mon père, nous avons décidé qu'il était temps. Nous adopterons une approche observatrice, n'intervenant qu'en cas de problème, pour évaluer votre capacité à assumer nos responsabilités et, au pire, rectifier vos erreurs. Nous sommes conscients de vos compétences individuelles en matière de direction d'entreprise, mais c’est votre capacité à travailler ensemble qui nous préoccupe. Vous devrez paraître ensemble lors des événements publics, affichant amour et bonheur. Aucun écart de conduite... n'est-ce pas Thomas ? clarifia-t-il.
Je ne répondis rien, me contentai de contracter la mâchoire. Pourquoi se sentait-il toujours obligé de me rabaisser ?
Mon père et Tobias continuèrent de parler pendant le reste du repas, mais tout appétit m'était passé. Même l'idée d'aller à la soirée après ne m'enchanta plus. Non mais sérieux ? Comment avais-je pu me retrouver empêtré dans un tel bourbier ? Moi, l'homme le plus convoité de notre génération, par des femmes du monde entier, me voilà contraint d'emménager avec la plus agaçante, et en prime, de me marier avec elle pendant un an. Je sentais que cela allait être atrocement long.
Une amertume et un sentiment d’injustice s'entremêlaient à la colère qui brûlait en moi. Cette farce insensée promettait d'être une épreuve d'endurance. Je devais trouver un moyen de m'en libérer plus rapidement, mais aucune idée claire ne se dessinait dans mon esprit encombré.
Peut-être que si je la poussais à bout, elle craquerait et mettrait fin à tout ?
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