CRUEL DILEMME

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Kiaï etait submergé par diverses pensées allant de l’orgueil à l’amour. Les sentiments lui étaient-ils interdits ? Son maître pouvait paraître souvent dur. Il se demandait s’il valait mieux tout avouer ou garder cela pour son jardin secret. Le conflit régnait dans son esprit.

Arrivé à la hutte Kiaï entra avec appréhension. Devait-il absolument tout révéler à son maître ? Lui qui était garant de sa condition future et des privileges qui iraient plus tard avec.

- Eh bien mon jeune apprenti. Comment s’est passé ta venue au village dis moi ?

- Je vous ai fait honneur maître. Je ne vous ai point manqué de respect en maniant la langue d’une façon mal employée.

- Bien au contraire j’ai pu tout d’abord me mesurer aux paysans comme vous me l’aviez conseillé par le passé et j’en ai bien ris en observant leur réactions.

Excellent ! Et ensuite ?

Kiaï lui expliqua qu’il était tombé sur un petit curieux adepte de commérages qui lui avait demandé son nom et son prénom. A ce moment Kiaï redouta de poursuivre et Mordicus le vit.

Eh bien parle voyons. Qu’as-tu répondu ?

Kiaï !

Mais encore ?

Le jeune homme sentait la tension monter. Elle était palpable. Il n’avait vu qu’une seule fois son maître se jeter dans une colere noire pour un rien et l’a redoutait à nouveau. Ce n’était pas beau à voir c’était même saisissant de brutalité.

- Kiaï ! Qu’as tu répondu ?

Le jeune homme bafouilla. Aucune réponse valable ne sortit de sa bouche.

Kiaï !!! Qu’as tu répondu quand il t’a demandé ton nom de famille ???

L’apprenti recula un peu et lâcha le nom de Mordicus à voix basse.

Kiaï Mordicus prononça t-il. Il fit face à son maître avec dignité et s’apprêta à affronter le déluge de coup de bâtons qui allait sûrement suivre. Mais à la place c’est une main chaleureuse qui vint se poser sur son épaule.

- Tu as bien fait jeune apprenti. Cependant sache que s’ils découvrent l’origine de mon nom et qui est devenu le tiens également, peux-t’être te tourmenteront-ils ou te persecuteront. En effet dans le parler ancien Mordicus signifie « celui qui mord ».

Kiaï n’avait jamais fait le rapprochement. Mais il n’en avait cure excité par la réaction positive de son maître et aussi par le ruban.

Lui qui venait tout juste de récuperer son estime de soi sourire aux lévres il tendit par la même occasion le ruban cramoisi de Honorine.

- Le trophée que vous m’aviez demandé maître.

Mordicus le renifla. C’est féminin dit-il. Je l’a devine belle, petite et resplendissante.

-Es-tu amoureux ?

Kiaï bafouilla et se perdit en demi-mots chuchotés en cafouillage.

- Je ne peux t’en blâmer. Après tout ce sont des choses naturelles et tu es en âge d’avoir une fiancée. Le lendemain Mordicus nota un changement d’attitude chez son apprenti. Certes il était là mais semblait absent. Quand il lui demandait d’aller chercher du bois pour le feu il y allait d’un pas lent. Quand il lui enseignait il n’avait plus la même fougue. Il mit cela sur le compte de l’amourette de Kiaï qui nourrissait un intérêt grandissant à l’égard de la jeune demoiselle. Il en rêvait. L’esperait même.

Même si cela rentrait en totale contradiction avec l’apprentissage qu’il lui prodiguait Mordicus prit la bête par les cornes et révisa son jugement. Il prit une étrange décision et accorda dorénavant au jeune homme le droit de se rendre une fois par semaine au village. Le motif était de forger son parler davantage. Kiaï remercia son maître. Il voulut sautiller sur place et hurler sa joie mais il savait que ce serait comme lui dévoiler une faiblesse. Son maître lui rappelant sans arrêt le mot-maître « douleur ». Le lendemain jour de marché du village et comme prévu Kiaï s’y rendit discutant l’air de rien avec les civilisés comme il aimait les désigner mais essayant au fond de lui de retrouver la jeune demoiselle au ruban. Son coeur battait la chamade tandis qu’il se promenait au sein du village en franchissant l’entrée pendant que dans sa poche sa main trifouillait le ruban avec douceur comme un porte bonheur.

Kiaï jouait la comédie à merveille. En seulement une heure il réussit a se faire passer pour l’épicurien qu’il n’était pas. Bien que son objectif secret resta Honorine. Alors qu’il avait la tête dans le ciel un parfum familier remonta à ses narines. La jeune demoiselle était à proximité. Il venait même de croiser sa route au sein de la foule. C’était certain. Mais ne la trouva point. Impatient de retrouver la demoiselle de son coeur, Kiaï usa alors pour la toute première fois d’un sortilège issu de la fameuse magie fantôme. Sortilège que lui avait enseigné son maître bien qu’il ne lui eu jamais enseigné cette magie dans son entièreté.

(Je vais t’apprendre ce sort d’invocation assez simple au cas où tu me perdrais de vue moi ou quelqu’un d’autre. Il te suffit avec ton tatouage de prononcer les mots mystiques que je vais te révéler et ensuite de prononcer le nom de la personne que tu souhaites retrouver).

Kiaï se massa le poignet gauche, récita une étrange litanie puis chuchota au vent le nom de la demoiselle.

Aussi sec le vent poussa Kiaï vers Honorine en lui montrant le chemin. Les petites gens s’étonnerent soudain de ce vent un peu turbulent qui soufflait alentours. Les deux tourtereaux se faisaient face.

Seigneur Mordicus ! Prononça la voix douce et fluette. Kiaï se retourna et vit l’élue de son coeur à quelques mètres de lui.

- Gente demoiselle, le bonjour. Je ne sais si c’est le soleil ou vous qui m’éblouissez tel un astre radieux. Honorine rougissait de plus belle face à tant de compliments si bien formulés.

Kiaï et Honorine discuterent longuement sur les voyages (fictifs) qu’il avait vécu a travers le monde. Ils discuterent aussi poesie dont Kiaï récita alors quelques vers.

L’affection de Honorine envers le seigneur Mordicus augmenta en moins de temps qu’il n’en fallut et ne laissait aucun doute possible. Elle était sous le charme. Celle-ci lui donna même la permission de lui faire la cour.

Kiaï était aux anges. Ses sentiments envers elle étaient partagés. Il salua Honorine et repartit loin d’elle.

Longtemps, à raison d’une visite par semaine, Kiaï et Honorine se frequenterent. Leur sentiments l’un pour l’autre augmentant avec le temps. A chaque fois Kiaï respecta un horaire pré établit. Il ne voulut pas abuser de son temps à elle compte tenu de la bienséance mais en même temps avait du mal a se séparer d’elle.

Honorine s’étonna surtout de l’indisponibilité du jeune homme en dehors du jour de marché habituel une fois par semaine.

Pour que son mensonge soit cohérent il lui tint un discours dans lequel il était question de voyage d’affaire dans la région. Et que ce voyage formait une boucle autour de celle-ci de telle façon qu’il retrouvait chaque jeudi le village sur sa route.

Honorine elle, était comme suspendue à la compagnie du seigneur Mordicus. Bien qu’elle se gardât de lui dire, le jeudi ne lui suffisait plus, elle voulait le voir plus souvent.

Entre temps le Baron du village mais également père de Honorine, avait eu vent de ce Kiaï Mordicus. Pour une raison connue de lui seul ce garçon lui faisait peur. Il n’avait que dix-neuf ans mais il le redoutait. Il redoutait encore plus son prénom qui pourrait peut-être un jour engendrer la destruction du village.

- L’enfant ! C’est l’enfant ! Il est là et il tourne autour de ma fille bien aimée. Que puis-je donc faire ?

Kiaï revint à la hutte et vit que son maître l’attendait de pied ferme.

- Maître qu’y a t-il ?

Mordicus prit une longue inspiration et expira encore plus longtemps. Comme s’il allait prendre une décision de grande importance il se leva avec solennité puis fixa Kiaï dans les yeux avec fermeté.

Kiaï, je t’ai autorisé à rejoindre le village une fois par semaine non pas pour converser avec les gens mais pour voir si tu te laisserais séduire par la jeune fille. C’était une épreuve secrète et tu as perdu. Je t’ai prévenu il y a deux ans que mon apprentissage se terminait par la réussite ou bien la mort.

A ces mots Kiaï ressentit une sorte de malaise soudain comparable à une angoisse. Depuis deux ans il vivait auprès de cet être étrange qui n’avait absolument rien dévoilé sur lui hormis peut-être son âge. Il ne l’avait jamais tenté mais il sentait que le sorcier pouvait faire montre de méchanceté s’il se sentait menacé d’une quelconque façon. Il pensa alors que sa dernière heure était venue et qu’il ne reverrait plus jamais Honorine. Mais Mordicus tint un autre discours.

- Je vais faire une entorse à la règle Kiaï. Je te laisse le choix. Choisir Honorine ou continuer ton apprentissage. Si tu souhaites mettre tout en œuvre pour lui faire la cour et l’épouser, et je t’y aiderais, tu seras heureux et vivras une vie bien remplie à ses côtés. Elle enfantera de toi et tu siégeras au village quand son père te laissera sa place. A condition que le mystère entourant tes origines ne soient révélées à personnes.

-Ou ? Demanda Kiaï qui regretta aussitôt d’avoir posé la question.

- Tu renonces à elle. Tu renonces au bonheur et tu poursuis ta formation pour peut-être un jour avoir la chance de devenir noble, roi ou mieux encore, ton nom inscrit dans les siècles à venir. Et surtout le plus important la vérité sur tes origines ainsi que celle sur tes parents.

Kiaï ressentit un soulagement fugace. Il y a une minute de cela il cru qu’il allait mourir mais à présent il n’était plus très sur de vouloir continuer a vivre, anéanti par ce cruel choix. A première vue chaque choix lui suffisait et en même temps n’étaient pas a la mesure de ses espérances. S’il choisissait Honorine il serait heureux mais vivrait peut-être la vie d’un bourgmestre avec une vie fade et sans surprises. Et s’il choisissait la sagesse qui lui permettrait d’avoir un jour le statut royal il serait au dessus des lois mais devrait peut-être faire face à des trahisons, des complots et des fourberies. Cruel dilemme.

Bien que fou amoureux de Honorine Kiaï voulait vivre des aventures et même d’avantage. Il voulait encore plus. Il sentit l’ambition et l’amour lui ronger la tête.

Le lendemain Mordicus, voyant le jeune Kiaï toujours indécis, lui proposa de lui donner une somme d’argent considérable pouvant octroyer titres et propriétés. Kiaï répondit par une autre question et demanda à son maître où avait-il acquis ces biens lui qui restait tout le temps dans la forêt.

- Je ne n’ai pas passé toute ma vie dans cette hutte tu sais ! Mordicus tira une trappe dans le sol en bois de l’habitation et en sortit un coffret. Il en ouvrit le couvercle et en dévoila le contenu à son apprenti. Ses yeux se mirent à briller à la vue du trésor.

Mordicus lui expliqua avec brièveté qu’avec ce que le coffre contenait il lui suffisait d’aller déposer le tout en banque et d’acheter un titre et une demeure convenable. Il lui suffisait juste d’aller au village. Et ensuite demander la main de Honorine. Mais la promesse d’un futur encore plus exaltant le fit douter.

Kiaï sentit l’amertume et la mélancolie le submerger. En dépit de la dure vie qu’il menait aux côtés de Mordicus, une larme coula le long de sa joue malgré tout. Une seule larme qui semblait signifier que son choix était fait. Un fardeau terrible à porter. Il s’apprêta a suivre son destin en allant a la rencontre de Honorine sa bien aimée. Hélas la pauvre petite était loin de se douter de ce qui allait suivre. Le visage de la jeune fille le hanterais jusqu’à la fin de ses jours.

C’est avec le pas lourd qu’il se rendit alors au village la boule au ventre. Le doute le submergea.

- Fais-je le bon choix ? Je ne suis plus très sûr.

Il allait basculer dans l’amour mais la douleur tant enseignée lui revint alors à l’esprit et opéra sur lui comme une poussée soudaine d’auto-punition destructrice. Le goût du malheur comme les rares disaient. La douleur ne lui redonna pas le courage espéré mais de l’envie de détruire. Il se lança a l’assaut de Honorine qui se promenait a travers foule.

Quand elle le vit Honorine observa un changement dans l’attitude de son prétendant. Avant il avait ce regard doux, attentionné et charmeur. Le jeune seigneur galant et au coeur pur pour qui le sien battait n’avait rien a voir avec cette image de dureté impassible.

- Dame Honorine. Dit il d’un ton froid.

- Seigneur Mordicus ? avait-elle prononcée avec innocence.

- Mes voyages et affaires ici sont terminés. Je repars aujourd’hui vers les confins du monde. Plus rien ne me retiens ici.

- Plus rien dites-vous ? Mais que faites vous de moi ? Que faites-vous de notre amour ?

-Futilité destinée à disparaître dans l’oubli.

Honorine n’en croyait pas ses oreilles. Oubliant les manières d’usage de son rang elle se mit soudain à sangloter.

Sans être vu par le couple ni par quiconque le Baron du haut de sa fenêtre, à la vue de la situation qui changea soudain, s’en frotta les mains.

Le déchirement de Honorine ne pouvait s’exprimer autrement que par des sanglots. Kiaï ne prononça pas un mot de plus et tourna les talons pour rejoindre la demeure qui lui servait de repaire au fin fond de la forêt noire. Le fardeau sur ses épaules devint encore plus lourd à porter qu’à son arrivée. A présent il était digne de la douleur.

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