Aléas
C’était au petit matin,
Te rappelles-tu, ma sœur,
Sous les voiles de satin,
Comme s’envolaient les heures ;
Tu avais les seins dressés,
Nobles, gorgés de bonheur ;
Dans le creux de ta vallée,
L’eau au rythme de la lune,
Tu la sentais remonter
Caressant tes douces dunes ;
Te souviens-tu, mon enfant,
Tremblait ton coquelicot,
Comme doucement le vent
Remuait les blés falots,
A la croisée de nos nuits
Lisse comme l’abricot ;
Tu dressais tes seins durcis
Telle une statue des dieux,
Quand tu poussais de tes cris
La gente porte des cieux ;
Te rappelles-tu, ma Muse,
De l’alcool et de l’acide
Il fallait qu’on en abuse ;
Le romantique suicide ;
On voulait voir la fol vie
Avant les visions morbides ;
Dans les fumées de la nuit
Des idées troubles d’espoir
On a eu, trompant l’ennui,
Ayant la peur dans le noir ;
Te souviens-tu, mon amie,
Quand nous rêvions, solitaires,
De combattre l’ennemi
Dans un lieu imaginaire ;
Tu refaisais ton destin
Sur tes rimes et tes vers
En attendant le matin ;
Tu n’avais pas froid aux yeux
Mais t’avais peur du chagrin :
Tu n’étais que toi, pas dieu ;
Tu te rappelles, mon cœur,
Lui qui était immortel,
Ce spleen mêlé de malheur ;
Tu n’avais rien d’éternel,
Toi, tu le savais trop bien
Quand tu regardais le ciel ;
Ne serait plus le matin
Tout au bout de cette nuit
D’été du chaud mois de juin ;
A ta mort c’était minuit ;
Te rappelles-tu, m’amour,
Cet instant où sont tombés
Tous tes rêves de toujours ;
T’as rejoins les macchabées
De ceux que tu voulais perdre ;
T’as laissé ton bien-aimé
Qui restera à t’attendre,
Lui chez qui tu revenais
Quand la mort manquait te prendre ;
Elle partait, tu filais ;
Tu ne te rappelles pas
Combien de larmes versées,
Combien de temps il pleura
Celle qu’il avait bercée ;
Il se meurt et il mourra ;
T’avais laissé trop d’affaires
Dans ses chers appartements
Comme des ruines de guerre
Dans le lit d’anciens amants :
Il est mort, le pauvre hère !
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