Chapitre 6
Il se sentait bien, dans ce lit douillé sous les chaudes couvertures. Lorsque Walfrid se réveilla, il était dans une maison inconnue. Il se leva brusquement avant de se recoucher à cause de la douleur, ses côtes lui faisaient mal. Il remarqua que des bondages entouraient son torse ainsi que son bras gauche. Confus, il soupira.
La porte s’ouvrit sur Erling dont la tête fut bondée. Il marcha à l’aide d’une béquille, puis, son regard ténébreux rencontra celui de Walfrid. Ils se saluèrent du regard et Erling se coucha sur un lit vide.
« Où sommes-nous ? Demanda le brun après un long silence.
-De l’autre côté du portail.
-Nous avons réussi ? S’étonna Walfrid en se levant rapidement, provoquant une autre douleur au niveau de son abdomen.
-Visiblement. »
Erling tourna de l’autre côté, signe qu’il n’était pas d’humeur bavarde. Walfrid grimaça, il se leva doucement et quitta la maison.
Le ténébreux se redressa et plongea son regard vers la porte fermée. Il avala sa salive avant de ressasser les évènements produits il y a quelques jours. Ils avaient été électrocutés par le Gardien et perdus connaissances. Lorsqu’Erling s’était réveillé, une ombre immonde s’emparait d’Ansfrid dont l’œil droit avait subitement changé. La suite était juste un cauchemar : les cris de la bête, le sourire du brun et ses yeux qui n’exprimaient qu’une seule envie. Tuer. A cette pensée, il trembla.
Ca ne ressemblait en rien à leur village. C’était une grande ville dont les maisons étaient faites de briques et de béton. De sorte de machines transportaient les habitants au bout d’une rue à un autre. Les enfants jouaient avec des gadgets étranges et les femmes portaient des robes plus au moins sophistiquées, contrairement à celles de son village. Les magasins s’ouvraient grâce à une espèce de rideau métallique.
Walfrid en resta bouche bée.
« Enfin réveillé.
-Wil ! S’exclama le brun, il prit son frère dans ses bras. Tu vas bien…
-Tu m’étouffes ! Et oui, étrangement, je suis le moins blessé que vous.
-Comment ça se fait ?
-Je n’en ai pas la moindre idée. Dit-il en haussant les épaules.
-Wil, tes cheveux…
-Ahaha, tu viens seulement de remarquer. Je les ai coupés parce qu’ils m’obligeaient à rester à l’intérieur croyant que c’était toi.»
Il les portait court, ils lui arrivaient désormais exactement au niveau de sa mâchoire. Sa mèche était tenue par une épingle à cheveux. Maintenant qu’il le regardait, même ses vêtements avaient changé. Ce n’était pas le style de leur île, il avait remplacé ses habits de campagnards en ceux plus modernes et beaux. Il y avait une plaque métallique sur chaque côté de ses épaules.
« Tu aurais pu m’en parler. Où les as-tu coupés ?
-Enlève cette idée de la tête, ils vont encore nous confondre.
-C’est ça être jumeau, non ?
-Ce n’est pas du tout le moment. Allons voir Ansfrid. »
Walfrid se tut. Il l’avait complètement oublié.
Ansfrid était en haut de la colline. Il était assis en tailleur et contemplait les stèles jonchées au sol. Son regard était vide. Il entendit des pas derrière lui, il ne se retourna pas. Walfrid alla lui faire une tape sur son dos, mais arrêta son geste dès que ses yeux tombèrent sur les pierres tombales. Il ouvrit la bouche, mais aucun mot ne sortit.
« Est-ce...
-Oui. Répondit doucement son frère. »
Le menton de Walfrid trembla, ses yeux se remplirent de larmes et sa gorge se noua.
« Sommes-nous les seuls survivants ? Demanda-t-il en refreinant un sanglot.
- Erling, Hjalmar et Folker également. Les autres ont tous péri. Certaines de ces tombes sont vides. »
Walfrid éclata, il ne put se retenir plus longtemps. Il sanglota. Ses compagnons étaient tous morts, ces hommes avec qui il s’était amusé et entraîné. En deux semaines, il avait appris plein de choses grâce à eux. Et dire qu’il ne les reverrait plus jamais…
Wilfrid retint ses larmes, il mordit sa lèvre inférieure et détourna le regard. Quant à Ansfrid, il n’avait pas cillé, il observait toujours ces pierres avec indifférence.
« Comment avons-nous réussi ? Demanda Walfrid après s’être calmé.
-Personne ne le sait. Répondit Wilfrid en jetant un œil à l’aîné. En sais-tu quelque chose ? »
Il se crispe. Il joua avec ses doigts avant d’inspirer profondément.
« J’ai fait une chose horrible. Déclara-t-il, le regard plongé sur l’herbe fraîche. Ils attendirent la suite. J’ignore ce qui avait pu arriver, ça s’est passé tellement vite. Il inspire encore une fois. J’ai tué le Gardien.
-Quoi ! S’exclama Walfrid.
-Que s’est-il passé ? Demanda doucement le cadet, une main réconfortante sur l’épaule d’Ansfrid.
-Je ne sais pas exactement. J’avais la vue brouillée et mes oreilles bourdonnaient. C’était comme si une chose s’était emparée de moi. Et quand je me suis réveillé, j’étais dans une maison, le corps entièrement bondé. »
La nuit tomba. Dépourvu de nuages, le ciel s’était transformé en un tableau astral. Les étoiles brillaient de mille feux, on pouvait même voir les constellations. La ville était animée. Les hommes riaient et plaisantaient autour d’un verre de rhum. Les enfants s’amusaient à allumer des feux d’artifice et à courir partout dans les rues.
Folker, une petite fille sur ses épaules, jouait à chat avec les enfants. Une chope à ses côtés, Hjalmar était assis sur un tronc d’arbre et jouait de sa flûte. Erling ne buvait pas, il écoutait les anecdotes des vieux pêcheurs qui contaient leur rencontre avec des sirènes. Quant aux jumeaux, ils s’étaient séparés un instant : Wilfrid rejoignait Hjalmar et Walfrid s’amusait à une partie de bras-de-fer.
Ansfrid était toujours sur la colline.
Les yeux rivés vers le ciel, il n’arrêtait guère de songer aux évènements de la dernière fois. De la noirceur qui l’avait consumé, de la puissance qui s’était réveillée en lui et de cette sensation familière, comme si ce n’était pas la première fois que ça se produisait. Que lui arrivait-il ? Il ferma les yeux un instant, le temps d’oublier ce moment.
« Réveille-toi, Onfroy. Dit Erling. »
Le concerné ouvrit les yeux et la lumière du soleil l’aveugla quelques secondes. Il reconnut le visage du ténébreux. Il se redressa sur ses coudes et le questionna du regard. Erling lui expliqua qu’ils devaient partir. Ils rejoignirent les autres.
Ils avaient tous un gros sac sur le dos. Folker était accroupi et parlait à une petite fille en pleure –celle qu’il portait la veille-. Hjalmar était adossé à un mur, les yeux clos. Wilfrid écoutait attentivement ce que lui disait un vieux pêcheur en lui tendant une carte. Quant à Walfrid, il était assis sur une botte de foin à observer le bois.
« Où allons-nous ? Demanda Ansfrid.
-Chez un forgeron. Répondit simplement le ténébreux.
-Nous ne pouvons continuer à voyager sans armes. Intervint Walfrid dès qu’il remarqua la présence de son cousin. Et les habitants ont été assez gentils pour nous donner de quoi tenir quelques jours.
-Allons-y. Dit Wilfrid. Restons groupé. »
Les bois étaient silencieux, on entendait seulement le bruit de pas des six hommes. Le cadet guidait le groupe à l’aide de la carte. Il s’arrêtait un instant, reprenait sa route et tourner à plusieurs reprises. Ils marchaient depuis plus de deux heures dans ces bois interminables. Folker n’en pouvait plus, il s’arrêta devant un arbre où il s’y adossa quelques minutes. Le groupe ne s’arrêta pas et continua son chemin. Le métisse ne prit même pas la peine de les appeler, trop fatigué.
« Où est Folker ? Demanda Wilfrid, remarquant l’absence du blond. »
Ils regardèrent autour d’eux avant de rencontrer leurs regards. Personne n’avait remarqué son absence.
« Et merde ! Qu’est-ce qu’il ne comprend pas à « restons groupé » ? S’exclama le cadet en rebroussant le chemin.
-Laisse-le se démerder, il n’avait pas à s’éloigner du groupe. Répliqua son frère d’un air blasé.
-Je suis d’accord. Hocha Hjalmar.
-Laissez vos ego de côté, nous n’avons pas besoin de ça pour le moment. Le pêcheur m’avait prévenu que ces bois étaient enchantés.
-Arrête de croire tout ce qu’on te raconte, p’tit frère.
-Je pense qu’il y a de centaines de raisons pour nous laisser croire à ces histoires. Rétorqua Ansfrid d’un ton calme.
-Ne perdons pas de temps. Dit Wilfrid. »
Ils firent demi-tour.
Assis sur un tronc d’arbre, Folker avait du mal à respirer. Il transpirait, ses mains tremblaient et sa vue se brouillait. Il était déjà assez faible à cause de l’électrochoc provoqué par le Gardien. Il se retrouva couché de tout son long sur l’herbe humide et ferma les yeux. Soudain, il entendit une étrange mélodie. Douce, il la sentait entrer dans tout son être, elle le calmait, le tranquillisait au point de ne plus faire de mouvement. Ses yeux dorés admiraient le ciel sombre. N’était-il pas bleu, ce matin ? Il entendit quelqu’un appeler son nom, sa voix semblait si lointaine. Il ferma les yeux.
« Folker ! Secoua Walfrid. Ce n’est pas le moment de dormir !
-Que lui arrive-t-il ? Demanda Ansfrid en s’accroupissant devant le métisse. Que t’a dit le pêcheur ?
-Le pollen. Répondit le cadet du groupe, il pointa les fleurs de l’arbre. Il m’avait informé que ces plantes dégageaient un poison lorsqu’elles se sentent menacées.
-C’est quoi cette île de fou ? Marmonna Erling, regrettant sa chambre calme et confortable.
-Ne touchez à rien. Ordonna Hjalmar. »
Le blond stressait. Il était sous la pression de ce nouveau monde. Il n’avait jamais quitté son île, il n’avait jamais vogué sur les mers et c’était ce qui le déconcertait. Se retrouver dans un univers inconnu rempli de mystère était effrayant. Il essayait de garder son calme malgré l’expression de ses yeux qui ne dévoilait qu’incertitude. Les autres aussi d’ailleurs. Ils s’étaient lancés dans cette aventure alors qu’ils ignoraient tout du danger. Ils ne savaient pas naviguer, seul Wilfrid savait lire une carte, ils n’étaient pas compétents au combat et encore moins en science : ils ne connaissaient à rien en médecine. Ils manquaient cruellement d’expériences.
Face à Folker qui ne bougeait plus, ils paniquèrent. Walfrid faisait les cent pas tandis que Hjalmar jouait avec un couteau. Erling, les bras croisés, tapotait son doigt contre son avant-bras. Wilfrid et Ansfrid fixaient le visage –empoisonné ?- du métisse. Le cadet soupira. Il essaya une nouvelle fois de le réveiller, en vain. Soudain, Ansfrid le souleva et le mit sur son dos.
« Nous n’avons plus de temps à perdre. Wilfrid, guide-nous. »
Le brun acquiesça et s’empressa de relire la carte. Les autres les suivirent sans broncher.
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