Ecrits de la Trentaine
J'ai toujours détesté lire.
Il faut commencer par là, pour comprendre ce que je fais ici. Quand j'étais gosse, je dessinais. Je dessinais pour deux raisons prncipales. Ma mère était graphiste, elle m'avait donné le goût de l'image et avait un tas de crayons de couleurs, marqueurs et autres. L'autre raison, c'est que j'étais doué pour ça. Je ne fais pas de très jolis dessins. Mais pour quelqu'un qui n'a pas suivi de cours, c'est pas mal. Et bien suffisant pour mon niveau d'enfant. Le dessin était un moyen accessible de m'exprimer, parce que je ne lisais pas, je n'écrivais pas. Je laissais la littérature à mon frère, comme si chacun devait s'occuper de son art dans son coin. Je suis le second et mon aîné a toujours été très doué. Et quand les adultes passent leur temps à projeter une tête en classe sur vous, comme si le fait que vous soyez malin vous aussi devait justifier que vous soyez bon élève, vous voulez qu'ils vous lâchent, vous voulez leur faire comprendre que vous êtes un être complet, pas une v2 d'un modèle génial. Ca, c'est ce qu'on demande à Windows depuis Windows7. Et sans succès, curieusement.
A mes 12 ans, c'était l'explosion de la mode des télétubbies. Je les voyais partout, y compris sur les sacs des plus petits. Pour me purger de ce programme que j'avais regardé et détesté, j'ai profité des heures d'étude entre deux cours pour dessiner une BD. Mr Muffin avait racheté le programme des Télétubbies en baisse de popularité pour relancer la franchise. Mais dans un autre genre. Le nouveau programme s'appelait Jeux de Massacre. Le public votait pour le gladiateur qui allait mettre à mort le télétubby. Et le truc marrant, c'est que je demandais vraiment à mes lecteurs ce qu'ils voulaient. Duke Nukem, Frankenstein version Solomon Grundy vénère comme Hulk, un Hulk Hogan rebaptisé Trimininiravel, Tronçonneuse Man et sa cicatrice frontale comme une braguette sur le crâne. Y en a eu des mecs dégueulasses pour bousiller du nounours. J'ai eu plus de 100 lecteurs, sur les 200 qui composaient les deux années de classe. Un succès mondial, à l'échelle de l'école. Et encore aujourd'hui, quand je relis cette BD bête et très méchante, des gags me font beaucoup rire.
Mais il y avait un souci avec le dessin. C'est long à faire. Et sans talent pour les décors, ni formation pour le reste, je ne pouvais faire que des caricatures. J'ai peu à peu arrêté de dessiner au profit de l'écriture. Pourtant, je n'aime pas lire. Revenons un tout petit peu en arrière.
J'ai 9 ou 10 ans. On nous demande d'écrire une rédaction sur la journée d'un personnage, quelque chose du genre. Je raconte la journée d'un gamin qui pêche, mais est très nul. Du coup, il rentre bredouille et va acheter ses poissons comme un nul au marché pour dire qu'il n'est pas sorti pour rien. J'écris, je vise le 15/20 en note et basta. Quelques jours après, mon prof me demande de lire ma rédaction à la classe. Je suis timide, mais surtout intrigué. Je le fais. Il me demande si c'est bien moi qui ai écrit ça, parce que j'emploie des tournures plus matures. Je confirme, dans mon bon droit. Il me la fait relire et m'explique que si j'ai bien tout écrit tout seul, c'est bluffant. En vérité, j'avais bien demandé conseils à mes parents, mais pour simplifier le vocabulaire. je me rappelle avoir demandé si je devais mettre maison à la place de demeure, et ma mère de me répondre que si, maison ce sera suffisant. Depuis ce jour, j'aime écrire. Mais toujours pas lire.
J'écris toutes les rédactions qu'on me demande à l'école et adore ça. C'était le seul travail sur lequel j'étais premier. Par chance, mes parents étaient strictes sur l'orthographe et mes profs faisaient des dictées. Je fais des fautes aujourd'hui, mais n'en faisais quasi aucune à l'époque. C'est triste de perdre les choses par manque de pratique quotidienne. Le net correcteur n'a pas aidé. Mais bon.
Niveau lecture, j'ai eu tout ce qu'il faut pour dégoûter un enfant. Vipère au Poing, L'Herbe Bleue, un autre bouquin chiant qui passait son temps à décrire la flore, sur quasi 400 pages de 'lexode d'un gosse dans une savane. Ce genre de délire. Tout ce que j'aimais lire, c'étaient les "livre dont vous êtes le héros". Et j'aime toujours. le concept est génial, du jeu de rôle avant la vogue. Je lisais aussi 2-3 autres trucs, mais étais surpris de tomber sur un livre qui ne m'ennuyait pas. Il y en avait un dont j'aimerais retrouver le titre, avec un genre de mollusque géant et intelligent qui bouffait des prisonniers dans une prison délabrée, en Louisiane peut-être. Par période de crue, l'eau envahissait les cellules du bas et la bestiole venait se servir. C'était vraiment bien.
Avec le temps, je lis aussi de bonnes choses: Stephen King, Barjavel, Dino Buzzati. Mais la claque, c'est le Parfum, de Süskind. Sa description des sens, de la puanteur, tout ce qu'il arrive à faire passer par les mots, ça m'épate. Je ne finis malgré tout pas le bouquin, parce que ça restait un effort de pratiquer cette activité à laquelle on m'avait vacciné pendant des années. Mais je retiens ce que les mots peuvent faire. Et surtout, j'ai envie de progresser. Souci: Nouveau programmes scolaires. On ne demandera plus jamais de rédactions aux élèves. La plupart des élèves jubilent, moi je me décompose devant la prof qui voit bien à ma tronche qu'un monde s'écroule. Je range l'écriture dans une boîte.
L'école se finit, j'entame un parcours d'études supérieures chaotiques. Etre un élève qui n'a jamais vraiment appris à étudier me bloque, d'autant que j'en ai marre de l'école. Je veux me barrer, faire autre chose. Le temps libre devient une plage très large dans mes horaires. Je pratiquais le jeu de rôle depuis mes 14 ans, j'en ai 20 et obtiens enfin un pc et le net. Entre deux recherches pornographiques sur e-mule (rip), je cherche un jeu de rôle sur le net. Je découvre un jeu tout con, avec deux lignes de rp (roleplay). Là, j'apprends qu'il y en a un autre plus mature. J'embarque dans un forum de parodie politique, où de vrais étudiants en sciences po, médecins et autres prolétaires se détendent en se joutant dans un univers parodique. J'y prends part, incarne un avocat qui ne perd jamais ses procès et n'ai jamais perdu la moindre affaire, grâce à la rhétorique. J'affûte la psychologie des personnages pendant un an, puis ai envie de quelque chose de plus littéraire, qui permette d'affûter mon envie süskindienne. J'atteris sur un forum saint seiya. Et c'est là que ça débute.
Les enfant de 12 ans se mêlent à des vieux mélancoliques de 30 à 40 balais. J'ai la chance de tomber sur un parrain génial pour m'intégrer (un vrai babacool, mais pas con ), puis sur un prof du Sud de la France et un véritable écrivain mystérieux qui n'écrit qu'avec quelques membres, dont l'écriture lui plait. Et j'en fais partie. J'apprends beaucoup à leurs côtés. La roue est lancée, je fais deux ou trois ans là, puis vais multiplier les personnages sur différents forums. Tout ce qui me fait envie, tout ce que je n'ai pas encore incarné comme profil, je le crée. J'ai inventé des personnages nobles, prétentieux, drôles, tragiques, malsains, absurdes. Ma plus exotique création restera ce jeton de casino qui parle, frime et se fait appeler "le faux-jeton" car il passe son temps à flatter les puissants et écraser les employés. Ce que j'écris se perfectionne. J'obtiens une première grande fierté en voulant faire pleurer un joueur par ce que j'écris et apprends que j'y suis parvenu. J'arrive ensuite à faire rire aux larmes d'autres personnes avec d'autres personnages. Les forums n'ont pas servi qu'à entretenir mon ego mis à mal par la vraie vie ou à vouloir progresser en écriture. J'ai fait l'expérience de séduire des lecteurs avec des profils très divers.
Au bout de quelques années, je ne me suis plus autant senti apprendre. J'avais exploré toutes les facettes qui m'intéressaient, en profils psychologiques, comme en univers. Les forums se sont éloignés peu à peu. J'ai essayé d'y retourner, mais c'est comme ce jour où vous découvrez que vos jouets ne vous amusent plus. C'est triste, vous les sortez du coffre, mais les rangez bien vite avec une pointe d'amertume. La vérité me rattrapait, surtout. Des boulot au noir, rien de stable, rien qui permette de vivre et la trentaine qui arrive sans avoir pu trouver sa place dans le monde. Des réveils en sursaut, parce que je rêve qu'on n'a jamais validé mon diplôme et que je dois me retaper une année d'école. Ou bien je suis dans un amphithéâtre universitaire et dois répondre à un questionnaire, mais aucun de mes stylos n'écrit. Ou bien je ne comprends pas ce que le prof dit. Ou bien je n'arrive pas à recopier le tableau à cause du reflet du soleil dessus. Je vais mal. Je ne me confie à personne, je fais comme si le temps était maîtrisé, sans importance. mais j'approche la trentaine et passe mon temps à m'occuper des problèmes des autres au lieu de veiller sur moi. Le stress contenu explose par petites vagues passagères que je résorbe au mieux, mais tout lâche à mes 28 ans et je fais de grosses crises d'angoisse. J'ignore que c'est ça, moi j'ai juste l'impression que mon coeur va lâcher, que je manque d'air. Je me réveille en pleine nuit et me précipite aux toilettes pour vomir, mais rien ne sort jamais. Toujours des cauchemars, une vie sans avenir et une télévision qui dit que quand on ne travaille pas, c'est qu'on veut profiter du système. J'ai envie de leur répondre que sur les années de chômage que j'ai eues, avant qu'on me le coupe, suite à une nouveau filtre pour renflouer les caisses de l'Etat, j'ai laissé tombé quasi la moitié des allocations en n'allant pas les chercher. Je ne profitais pas du système, je n'arrivais pas à m'y inclure. L'idée d'un boulot qui ne me passionne pas me fichait et me fiche toujours la frousse. Je ne veux pas tuer le rêveur en moi en me rangeant dans ce qu'on attend d'un chaînon de la société. Je ne dis pas que c'est mal d'en faire partie, je dis que je veux autre chose.
Je cherche des solutions, mais en manque. Après des années d'une vie en dehors des conventions, reprendre des études, c'est une horreur. Trouver un travail, c'est compliqué. même un mi-temps alimentaire. Je n'ai eu aucune occupation officielle depuis des années et déteste mentir. Prétendre que c'est mon rêve de travailler dans une entreprise, dire que je suis flexible, pour faire comprendre maléable, non merci. Je veux rester qui je suis, pas me mouler sur quelqu'un d'autre. Parfois j'ai l'impression d'être un enfant qui a refusé de grandir et m'en veux, parfois je me vois comme un anticonformiste qui a choisi de suivre sa voie, même si c'est une voie garage, et je me trouve chouette. Je tombe amoureux de certaines phrases, comme celle d'Alexandre Astier qui dit: "Derrière tout anticonformiste, il y a quelqu'un de riche, mais il y a quelqu'un de seul aussi. Et je m'attendris deux fois pour ces gens-là." C'est ce que je suis, c'est ce que je sens être. Je n'aime pas les gens qui se disent anarchistes, parce que c'est quasi impossible d'être anarchiste. Au sens stricte, ça l'est même complètement. Et ceux qui disent qu'ils sont anticonformistes le prétendent souvent avec fierté, parce qu'ils ont ouvert leur entreprise avec leurs propres fonds au lieu de contracter un emprunt, parce qu'ils se sont achetés un bateau pour vivre en mer au lieu de prendre une villa comme tout le monde, parce qu'ils portent des chaussettes dépareillées. J'entends ça et je me dis "mais connard, où est le prix de ce que tu appelles l'anticonformisme ? En quoi c'est cool de vivre en marge parce que tu es viscéralement incapable de faire autre chose ?" Je grince des dents et sens mon corps malade parce que mon esprit est épuisé. J'envoie balader tout. Plus de recherches d'emplois, plus d'argent sur mon compte, plus de carte d'identité, plus rien. La mienne a expiré en 2014, il me semble. Je ne l'ai toujours pas remplacée.
Dans cette situation de rat de labo dans une cage qui se resserre, je n'ai que l'art pour échappatoire. A mes tourments, comme à mes soucis d'avenir. Je sais que je suis intelligent, très même. Je comprends les choses, j'ai de la créativité et du temps pour l'exprimer. Vivre de son écriture, c'est un pari de fou. Certains y arrivent, mais je ne prétends pas le mériter, tout comme je sais que les plus méritants ne sont pas non plus les plus gros succès. La peinture regorge d'artistes au talent incroyable qui sont morts dans la pauvreté la plus crasse. Est-ce qu'ils ont pour autant eu tort d'y croire et de poursuivre ? Est-ce qu'il faut que je tente ma chance, quitte à me casser la gueule, pour passer à autre chose ? Si autre chose il peut y avoir ? Je ne prends pas la petite porte qui mène en dehors de la cage pour survivre, mais pour tenter autre chose. Si ça ne mène nulle part, j'aviserai.
Depuis des années, il y a une histoire qui me revient en tête, plus que les autres. Une chose complexe, cryptée, qui passe de la comédie la plus décomplexé à la tragédie la plus nihiliste. Une histoire qui fait réfléchir aussi. Un ouvrage empli d'une sagesse dissimulée derrière des histoires distrayantes. C'est presque un message laissé à qui le lit. Faire rire ou pleurer ne me suffit plus, je veux mettre une claque, comme Hagakure, le livre des samouraïs que je lis une fois tous les deux ou trois ans. Comme un ouvrage religieux, mais qui n'invite à aucun dogme. Juste une sorte de foi, un apprentissage à tirer d'une oeuvre riche. Si je veux accomplir quelque chose de ce que j'ai appris en écriture, c'est ça. Si je dois transmettre aux gens des idées ou traitements d'idées qui peuvent enrichir leur banque de l'imagination, c'est le moment. Et si j'en vis un jour, même en restant pauvre, ce sera une chose que je mettrai beaucoup de temps à réaliser. C'est un défi colossal, qui me demande un talent que je n'ai pas encore. je dois progresser en l'écrivant, le parfaire et l'équilibrer. Mais je veux tenter ça.
Voilà pourquoi Scribay. Parce qu'ici, même si peu liront de gros chapitres de sf se fichant un peu des usages, certains le feront. Et d'eux, je puiserai des informations inestimables. Je demande aussi à mes amis de me lire. Mais ils ont leur vie, les retours sont trop rares et je déteste demander, tout comme je n'aime pas croire un proche quand il me dira qu'il me lira avant que ce soit fait. Scribay, parce qu'on peut corriger, parler franchement. Me dire que ce que j'écris est bien me fait plaisir et entretient ma confiance, mais je guette surtout les remarques qui peuvent m'aider à améliorer ce que je fais. Et encore plus important que ça, j'ai envie de savoir ce qu'on ressent en lisant Aristodème, mon oeuvre ambitieuse. Scribay parce que c'est l'aide la plus propice trouvée jusqu'à présent pour m'aider à me faire une place dans l'art. J'aimerais dire que je suis là pour partager quelques écrits, comme on se conseille des films entre amis. Mais ce n'est pas le cas. Je suis dans un esprit de survie ici et reprendrai mon insouciance quand je serai édité, en supposant que je le sois. Mais je ferai tout pour. Comme le disent les Casseurs Flowteurs dans le très bien écrit Inachevés: Et ça fait 15 ans que tout le monde se dit ça va lui passer. Mais si t'écoutes les personnes qui dorment les rêves n'arrivent jamais.
Merci de m'avoir lu.
PS: Je ne déteste plus lire aujourd'hui.Je dirais même que ça me plait. Mais je sélectionne vraiment très scrupuleusement chaque livre que j'entame et lis occasionnellement seulement. J'imagine qu'un jour, je me serai totalement rééduqué.
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