LA NUIT OÙ LES LARMES ONT SURGI
SOHAIL estimait n'avoir ni plus ni moins de chance qu'un autre. Il pensait qu'il était leur égal dans le domaine de la séduction. Du moins, il l'espérait.
On lui avait toujours dit que les amours de collèges ou de lycées n'étaient pas faits pour durer, et il s'était jusqu'alors accroché à ces phrases réconfortantes pour accuser les coups que lui mettaient les nombreux refus de ses crushs.
Sohaïl avait dû apprendre à aimer. Puis à ne plus aimer. A se défaire des sentiments sans arrêt, se manger des « non » cinglants et continuer sa route. Et s'il pensait à chaque fois qu'il n'aimerait plus alors, il se trompait. Il était dans un déni assez puissant, à vrai dire. Un tel déni qu'on l'aurait cru aveugle.
Mais ce n'était qu'en entrant dans le fabuleux groupe nommé « Les Culs Pailletés » qu'il avait découvert qu'en réalité tous ses membres étaient maudits en amour. C'était la chose qu'on recherchait pour les désigner.
Il comprenait mieux pourquoi toutes ses tentatives avaient toujours échoué malgré ses dix-neuf dernières années passées à essayer.
Croyant à toutes formes de magies depuis l'enfance, Sohaïl comprenait que cela existait vraiment. Et cela ne le ravissait absolument pas. Voilà pourquoi il était assis en tailleur sur l'immense canapé que partageaient les membres du désormais célèbre quatuor de sauveteurs à quatre heures du matin. Il s'était tourmenté toute la nuit alors qu'Horas avait expliqué toutes les raisons pour lesquelles il aimait Lysandre. Pour plaisanter, il lui avait suggéré des techniques d'approches qu'il aurait appliquées.
Elles avaient toutes été accueillies plus ou moins bien. Plus, Horas souriait un tout petit peu, du bout des lèvres. Moins, on voyait le couteau rangé dans sa poche luir. Bref, une soirée des plus normales. Mais était venu le moment au plus jeune d'aller se coucher et Sohaïl était resté comme un con seul au salon.
Chef dormait depuis longtemps, le repos du guerrier. Et Ichi devait avoir trouvé le sommeil puisqu'on entendait plus de bruits sortir de sa chambre.
Donc Sohaïl était seul à se tourmenter sur sa triste destinée de célibataire endurci. Il se voyait déjà vieux et tout courbé : moche et trop âgé pour séduire qui que ce soit. Il attrapa un coussin qu'il serra fort contre lui.
S'il souriait continuellement au quotidien, il n'en avait pas envie ce soir. Plus envie de sourire, plus envie de séduire et il en venait presque à songer qu'il n'aimait pas les paillettes. Chose parfaitement inconcevable.
Dans ces moments là, où il ne pensait que du mal, il envisageait de tout plaquer. Ses études, le groupe, les paillettes : tout. Il s'obstinait à ne plus avoir de sentiments pour les gens autour de lui. Il forçait son cœur à ne plus rien sentir. Et évidemment, ces efforts se soldaient par des échecs fulgurants, bien qu'il n'avoue déjà plus ses ressentis aux personnes qu'il ait pu aimer.
Mais voilà, pour Sohaïl, ça ne fonctionnait pas sur une séduction qui durait longtemps. Pour Sohaïl, c'étaient des coups de foudre imprévus. Des coups de foudre si violents qu'il en restait béa. Des coups de foudres si difficiles à vivre qu'il n'en laissait rien paraître.
S'il avait pour coutume de draguer des gens de son humour lourd, ce n'étaient jamais ceux dont il voulait ravir le cœur. Le dernier coup de cœur de Sohaïl était pour un mec qu'il ne connaissait que de vue à la fac et qui avait déjà une superbe petite amie. Il ne tenterait jamais sa chance puisqu'il ne pourrait de toute façon jamais l'avoir.
Si Sohaïl n'avait pas encore quitté le groupe, c'était déjà parce qu'il en adorait l'ambiance, mais aussi parce qu'il savait que même s'il le faisait dans l'espoir de trouver l'amour, cela échouerait. Il poussa un très long soupir désespéré.
Sohaïl n'avait toujours voulu que trois choses dans sa vie : être un magical ; continuer à faire tout ce qu'il désirait avec ses paillettes et trouver l'amour, le vrai, avec un grand A.
Et si deux de ces rêves s'étaient réalisés, il savait qu'il n'en serait rien du troisième. Et rien qu'à cette pensée, son cœur se brisa en miettes dans sa poitrine.
Il resserra sa prise sur le pauvre coussin et chercha d'une main la télécommande pour allumer la télé sur la chaine spéciale magical qu'il avait trouvée – et qu'il était sans doute le seul à visionner. Ne réussissant pas à la trouver, il laissa tomber et se traina jusqu'à la terrasse où la piscine reflétait les lumières de la ville de nuit. Il abandonna le coussin par terre, attrapa une jupe en cours de production qu'il avait abandonnée plus tôt sur une chaise longue et l'enfila. Il jeta ce qu'il portait alors et s'assit sur le rebord de l'eau. Il songea que ça manquait de paillettes. Alors il se releva et se saisit de flacons d'urgence qu'il laissait dehors. Il les vida entièrement dans la piscine.
Maintenant, elle était multicolore. Fier de lui dans sa jupe mal-cousue, les mains sur les hanches, il souriait. Mais si cela avait chassé un instant sa peine, elle revint plus vite qu'il l'avait prévue.
L'eau était recouverte d'une couche mouvante multicolore. Les motifs étaient hypnotisant, le propre de Sohaïl. Hypnotiser le monde et lui faire croire que tout va pour le mieux. Soigner les autres, c'était son travail.
Mais son pouvoir ne s'appliquait malheureusement pas sur lui. Quoiqu'il n'avait jamais essayé... Tout sourire, à poil sous la jupe qui commençait à tomber, il se rua jusqu'au sceptre du Soleil qui était bien installé sur son coussin pailletés.
Il l'attrapa sans aucune hésitation et aussitôt la transformation débuta. Et en un instant, il était recouvert de sa tenue favorite, loin devant les autres. Mais ce soit, il avait une autre priorité que s'extasier comme toujours sur sa beauté. Les yeux brillants d'espoir et le cœur battant, il fit tourner le sceptre autour de sa tête, d'un geste fin et familier, d'un geste qu'il avait répété tant et tant de fois, en prononçant : « Tu ne souffres désormais plus de tes peines de cœur. Dans ton corps il se recompose, réunit par les paillettes que tu vois surgir en toi. » Mais rien ne se passa.
La malédiction ne laissait pas les pouvoirs interférer. Après tout, ils étaient des magicals. Pour chaque chose donnée, il y avait quelque chose à rendre. Et à cet instant, Sohaïl aurait tout donné pour avoir l'Amour et pas les pouvoirs. Sohaïl voulait être aimé comme il aimait. Mais il n'y avait pas droit parce qu'on lui avait offert son autre rêve sur un plateau.
« Croyez en vos rêves » qu'on disait. « Ils se réaliseront avec un peu de volonté » qu'on répétait. Sohaïl ne bougeait plus, figé dans sa chambre comme une statue de marbre. Ce foutu marbre dont il aurait voulu que son putain de cœur soit fait. Il prononça le sort de détransformation et lâcha le sceptre qui tomba sur le sol avec un bruit mat, sans éclat.
Sohaïl ressorti sur la terrasse d'un pas lent où il regarda la lune un moment. Si l'un des autres membres du groupe sortait de sa chambre, il le trouverait debout et nu dans l'entrebâillure. Et cela arrivait plus souvent qu'on ne pouvait l'imaginer. Sa seconde baguette étant une copie parfaite de ses bijoux de famille, il n'avait rien à cacher. Et il n'en avait pas honte. Mais là, si quelqu'un trouvait Sohaïl sur le pas des portes à regarder la lune sans bruit, on se poserait des questions.
Parce que Sohaïl aussi silencieux, ce n'était pas normal. Au minimum, il fredonnait une mélodie. Mais là, il était aussi calme que la surface constellée de paillettes de la piscine. Piscine dans laquelle il comptait se jeter d'un instant à l'autre. Piscine vers laquelle il s'élança soudain et...
L'eau était étonnamment tiède. Il n'avait pas froid du tout, au contraire. Les mouvements l'apaisaient mais ne suffisaient pas à panser les plaies ouvertes dans sa poitrine. Alors il monta à la surface pour respirer, le visage recouvert d'eau brillante et les cheveux sans doute encore plus clinquants désormais. Il s'extirpa de l'eau pour s'asseoir sur le rebord de la piscine, la peau entièrement dorée. Des coulées de paillettes glissaient le long de son corps pour s'échouer sur la terrasse. Et au matin, il se ferait encore engueuler parce qu'il avait tout sali. Il sourit à cette pensée, battant ses jambes fébrilement. Puis il les replia contre lui et se leva de nouveau.
Les scintillements sur son corps qui habituellement lui rendaient le sourire n'étaient pas aussi efficaces qu'il l'espérait ce soir. Au contraire, les paillettes semblaient refléter son humeur désastreuse. Et pour la première fois depuis des années, il souhaita qu'elles disparaissent. Il voulait arracher la peau qui le recouvrait pour arracher ce cœur qui le faisait atrocement souffrir.
Sohaïl voulait aimer et qu'on l'aime en retour.
La peine manqua de le faire hurler ces pensées qu'il réprimait et recouvrait sous des couches de paillettes. Mais l'eau de la piscine avait lavé et chassé ces épaisseurs protectrices pour ne laisser qu'un Sohaïl nu et recouvert d'une unique couche lumineuse.
Rapidement, il tira un vieux sweat qu'il utilisait quand il avait la flemme de mettre autre chose et se glissa à l'intérieur. Le vieux pull confortable faisait deux fois sa taille, de quoi être tranquille. Ainsi accoutré, il se rassit sur le canapé, les jambes repliées contre le torse, le tout recouvert par le sweat. Sweat sur lequel était écrit : « Shine » d'un jaune criard.
Cette règle, il l'avait toujours appliquée. Sohaïl, sur le devant de la scène. Regardez-le ! Regardez-moi ! Je suis beau, je suis bien, je veux qu'on me voit encore et encore et encore et qu'on m'aime !
Aimez-moi !
S'il vous plait...
Et sans qu'il ne contrôle plus rien, les larmes glacées affluèrent de ses yeux, témoins silencieuses des cris étouffés qu'il voulait pousser. Mais comme toujours, il ne dirait rien.
Sohaïl n'avait pas pleuré depuis des années. Depuis qu'il avait appris que les Magicals n'existaient pas dans la vraie vie – et qu'il avait su que le monde se trompait. La désillusion avait été si forte qu'il avait cru en mourir. Et voilà que des années plus tard, les larmes froides revenaient.
Il avait connu la chaleur de celles qui arrivaient par la joie. Il les adorait, celles-là. Mais celles qui dévalaient ses joues étaient tout sauf celles qu'il aimait. Et les douleurs si intenses qu'elles le tordaient, il aurait pu s'en passer.
Sohaïl pleurait de douleur. Et cela n'arrivait normalement pas. Jamais.
Sohaïl n'avait toujours voulu que trois choses dans sa vie. Etre un Magical, ses paillettes pour l'éternité et être aimé.
Et il admettait peut-être enfin cette nuit, que ce dernier souhait ne se réaliserait jamais.
AOUT 2019 [2nd OS]
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