Jon Partie 4
Arthur n'écoutait déjà plus. Il poursuivait l'idée brillante qui lui traversait l'esprit, comme attachant des mots colorés à la chevelure d'une comète.
- Oui. Seule sa mère sait courber sa nature pour le faire rentrer, hélas, dans une forme de dépendance. L'orgueilleux Jon plie avec déférence. Lorsqu'elle est assise et qu'il fait froid, elle lui demande un châle, et il va le chercher. Dans les discussions, ses propos ne sont que faiblement contredits, et Jon lui laisse le dernier mot, tout en gardant son opinion. Je pense que c'est là le secret de son éternel manque de sourire. Il est vrai que c'est une femme d'expérience, redoutable en affaires, et que bien souvent ses vues sont exactes. Mais les façons de Jon sont tout aussi efficaces, et s'il est relativement libre dans son comportement en privé, il s'efface complètement lorsque sa mère est là. Ma chère Hélène, ce couple là, car c'en est un, est votre seul ennemi. En le brisant vous ne feriez qu'accomplir les voies du destin, sans attenter à la morale, bien au contraire ! Mais à mon avis, le noeud est solidement noué.
Arthur regardait Hélène, fier d'avoir décrit la situation, mais inquiet et triste.
- On dit que la situation de Ensmore capital n'est pas brillante.
- On le dit. Et on le dit depuis toujours. Ensmore, à l'origine, est une société de négoce. Il achètent et vendent, de tout et partout dans le monde. Gagner ou perdre de l'argent, c'est leur métier. Il y a des bonnes et des mauvaises années. Mais comme il n'y a pas de pays au monde sans ne serait-ce qu'un bureau à eux, minuscule ou luxueux, où leurs affaires se font, ils ont la capacité de soulever chaque caillou de cette planète, pour s'assurer qu'il n'y a pas encore un peu d'argent dessous. Les métaux, le blé, les machines outils de seconde main, même les plateformes pétrolières, les bateaux, j'en passe encore. Et avec ça, aussi, des sociétés de transport, une présence comme transitaire dans la plupart des ports.
- A chaque fois qu'ils ont fait des pertes, ils ont rebondi. Ils ont soulevé quelque caillou dans un pays quelconque, et il y avait de l'argent dessous, encore une fois, je veux dire, sur les comptes d'une quelconque filiale exotique. La vérité, c'est qu'on ne sait rien. Personne ne connaît les comptes d'Ensmore. Personne. A part eux, et encore j'en doute, car à mon avis, la vision complète de ce qu'est Ensmore n'est réservée qu'à quelques initiés
- Mais le père de Jon ?
- Jon avait une dizaine d'années lorsque son père est décédé. Les affaires d'Ensmore allaient très mal à l'époque. Puis Mme Ensmore a repris la gestion du groupe, et subitement les affaires ont repris, et je dirais même qu'elles sont devenues florissantes. Il y a encore des années creuses probablement, mais ce que l'on peut en voir de l'extérieur, c'est que le groupe Ensmore connaît une forte croissance. En fait, ils ont trop d'argent, et ne savent pas quoi en faire on dirait.
Arthur prit une mine soucieuse, une expression qui est assez peu la sienne à vrai dire, mais que sait-on de l'expression de personnes comme Arthur, qui se laissent si peu aller en public à sonder leur âme au contact de choses douloureuses.
- Si Arthur nous donne à voir cette figure, ma chère Daphné, c'est que mon cher frère à de solides raisons d'être inquiet.
- Dans un monde normal, l'argent est difficile, Daphné. Là où l'argent apparaît trop facilement, il y a presque nécessairement un côté obscur.
- Ah ! Oui. Le côté obscur...T'avais-je dit qu'il était moraliste à ses heures ?
Arthur ne releva pas tout de suite.
- Je suis réaliste, Hélène. L'argent va à ceux qui ont quelque chose à offrir. Et non pas, plus particulièrement qu'à d'autres, à ceux qui offrent de vieilles plateformes pétrolières, du recyclage, du mazout et des huiles végétales.
Sans prévenir, il tapa nerveusement ses skis sur la neige, et entama la descente.
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