Si les visages de Daphné et d'Arthur exprimèrent la surprise, l'amusement, l'espoir d'une aventure, celui d'Hélène se durcit, figé dans une expression de crainte. Décidemment, Jon encore une fois échappait à ses plans.

Depuis des années – deux années peut-être - Hélène poursuivait Jon, qui se laissait approcher, mais ne lâchait rien. Situation difficile, frustrante, humiliante.

Le petit groupe était maintenant au bas des pistes, et Arthur avait obtenu suffisamment d'informations pour laisser libre cours à sa moquerie.

- Donc, nous allons à un rendez-vous galant, et la belle n'est pas informée! Quand je dis « la belle », en fait je n'en sais rien. Et Werner qui n'a pas jugé bon de nous gratifier d'une photo ! Je vais donc l'appeler «l'inconnue». Je la voie déjà.

Cela doit être une affreuse bourgeoise à petits préjugés, gros mollets, lunettes et tailleurs droits, formée dans l'une de leurs insupportables Ecoles. « L'inconnue », comme toutes les françaises, toute la journée raisonne sur tout, puis fait preuve en soirée de tout autant d'esprit que de méchanceté, avant d'aller à la messe à Noël ou à Pâques. C'est pathétique.

- Et très théorique, Arthur.

Mais cela est distrayant. Ce sera distrayant ! Il faut absolument y aller, Jon. Cela sera amusant. Les français sont distrayants, grâce à eux s'ils ont de l'esprit, et malgré eux s'ils n'en ont pas. Au pire, nous aurons une leçon d'ethnologie appliquée.

Oui, nous pourrions appeler cela « À la recherche du temps perdu". Cela me rappellera mon papier de Cambridge. J'avais dû préparer ce fameux papier en deux semaines, et paraître docte alors que je n'y connaissais rien. Parler avec aplomb d'un sujet que l'on ne connait pas, c'est un art. Ça se prépare. J'ai choisi le plus inconnu des membres de la VIIIe dynastie égyptienne, et personne n'en savait plus que moi. Du coup, j'ai reçu la mention honorable, après avoir parlé des structures du changement social. Imaginez un peu votre petit Arthur parler de la Guerre de Sécession, de l'effondrement économique des Etats du sud ! D minus !

« Ainsi va le monde », pensait Jon en dépassant les lumières de la ville de Lyon, « les plus malins se débrouillent toujours ». Cette pensée l'accompagnait alors qu'il conduisait, occupant Hélène de son inattention, Arthur et Daphné faisant des mines contre les vitres.

Jon, seul au sein d'un groupe joyeux d'aller à la fête, ne souhaitait pas être remplacé. Il préférait conduire, taciturne auprès d'une Hélène radieuse d'être presque seule, enfin, avec lui, avec son beau profil à côté d'elle, et, parfois, son beau sourire.