— Un homme petit, les yeux enfoncés comme tous les ennemis de Combrigal, et chauve. Il ne peut être que chauve. Chauve, et vieux. Les soucis provoquent la perte des cheveux, c'est connu. Se disait-elle en admirant sa chevelure dans le miroir.— Et puis avec ça, gromaigre, c'est ça, un affreux gromaigre, les jambes en allumettes avec les mollets mous, supportant un ventre bien gras porté en avant. Il fume aussi, des cigares, et il boit, pour oublier sa forme grotesque. Alors il fait des affaires, de l'argent, pour oublier, c'est ça.

Dans un mouvement de générosité, Isabeau se dit que cet homme au fond devait être malheureux. - Oui, malheureux de ne pouvoir, avec tout son argent, obtenir ce qu'il cherchait. Mais après tout, s'il en était ainsi, c'était sa faute à lui. Il n'imaginait probablement rien au-delà de ce que son esprit lui présentait. Fort peu de choses, certainement. Et ainsi, connaissant peu au-delà de lui-même, elle le vit alors, malheureusement, heureux. Heureux à se vautrer dans la boue qu'il fabriquait en se vautrant. Et elle perdit, aussitôt, toute pitié pour le malheureux chimérique, l'humiliant en esprit davantage encore. Mais, prenant brusquement conscience qu'elle se faisait ainsi à elle-même plus de mal qu'à lui, elle fit une dernière moue dédaigneuse et eut l'intention de descendre aux jardins de Combrigal. Au sortir de sa chambre, elle se ravisa. Peut-être, après tout, était-il un homme normal, pris dans l'engrenage de la vie, une vie faite du malheur des autres, mais une vie tout de même avec ses joies et ses peines. Elle se dit que juger ne servait finalement à rien. Arrivée au milieu du couloir, elle se dit qu'elle suivrait la seule ligne de conduite qui convenait, celle de la neutralité.