Rencontre Partie 6
- vous partez, Martin ? Déjà ?
- Isabeau, si vous aviez mon âge, vous sauriez qu'il faut savoir s'en aller. Mon temps est fini. Et puis cela fait deux ans, n'est-ce pas, que nous préparons mon départ ? Alors voilà, nous y sommes ! Mais dites-moi, comment cela s'est-il passé avec ce Ensmore ?
- Il n'est pas ainsi que vous le voyez, Martin. Il a des objectifs qui me semblent clairs, il met en oeuvre les moyens pour les atteindre, je comprends ce qu'il veut, et pourquoi Combrigal les intéresse. Ce n'est pas le diable. Ou alors, je n'ai pas encore vu ses cornes ou ses sabots !
- À Dieu ne plaise, Isabeau. J'aimerais avoir votre optimisme ! Bien des personnes offrent à l'envie un de leurs masques, et puis, un beau jour, sans pouvoir d'ailleurs y faire quoi que ce soit, car cela les domine, ils montrent une autre face d'eux-mêmes.
- Jon Ensmore me propose un place au conseil d'administration. La vice-présidence.
- Ha ! Encore une idée brillante de votre père... Désolé, Isabeau, mais ce poste ne vous offrira rien. Enfin, nous n'allons pas cracher dans la soupe, comme on dit ! Ce sera une mine d'informations que nous ne saurions négliger, à la source même ! Comme personne ne sait rien de Ensmore Capital, votre présence sera précieuse. Mais ne vous faites pas trop d'illusions, nos capacités de résistance seront réduites.
- Je pars demain.
- Déjà ? J'ai laissé quelque chose pour vous sur le bureau, vous n'oublierez pas ? Moi aussi je pars demain, pour la Grèce ! Bien sûr, vous pouvez me joindre en cas de nécessité. N'abusez pas ! Je ne tiens pas à résoudre vos petits problèmes allongé sur une plage des Cyclades, ou pire, au sein du Temple de Delphes ! Quoique, depuis quelque temps je songe à ouvrir un cabinet de conseil, je pourrais l'appeler Oracle Consulting, avec une adresse à Delphes, je n'aurais pas besoin de faire de la publicité ! Je me vois déjà répondre au téléphone, - Allo ? Monsieur Martin ? - Lui-même ! Ici Delphes, Oracle Consulting, que puis-je pour votre service ? Une prévision ? Mais c'est tout à fait dans nos compétences, mon cher monsieur...
Martin vibrionnait de plaisir. Isabeau songea qu'il allait lui manquer, et qu'elle n'avait pas encore mesuré l'étendue de cette perte. Ils se firent la bise sur le parvis. Martin sourit, ajusta ses lunettes de soleil, jouant les vacanciers, et rajouta d'un ton léger,
- Je vous promets les cartes postales les plus lamentables, les plus kitsch de la planète !
- Ho, merci Martin ! Nous avons tellement ri avec celles de New-York ! Et Madrid !
- Je me sens prêt pour une apothéose du mauvais goût. Je penserai à vous tous les jours, et je sens déjà que ces cartes postales seront pour moi une puissante thérapie !
Isabeau le regarda monter en voiture et s'éloigner. Elle se demanda de quelle thérapie il voulait parler, et de quoi il pensait devoir guérir. Il lui sembla évident qu'il s'agissait de cette intolérable dépendance à Combrigal, de cette fascination pour la perfection dont ils souffraient tous.
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