Le cloître des vanités (Manon Ségur)
Résumé : Dans la ville occitane d’Albeyrac, perdu au cœur de mystérieuses ruelles, se trouve un cloître abandonné, abritant un jardin paradisiaque. Mais ceux qui y entrent disparaissent dans une toile de cruelles illusions, et deviennent la proie d’un démon jaloux des hommes, descendu sur Terre pour les tourmenter mille ans auparavant. Dans ce lieu hors du temps, il pourrait continuer mille ans encore, si les tumultes de l’histoire et du destin, en la personne de deux Parfaites, ne venaient le rattraper…
Ce roman original, à la croisée du récit historique, du gothique et du fantastique, est le second que j’ai le plaisir de lire des toutes jeunes éditions Crin de Chimère. Il prend place au cours d’un épisode tragique de l’histoire de France : la croisade dite des Albigeois, souvent dépeinte comme une tentative (réussie) d’extermination par le pouvoir dominant d’une culture raffinée, alors à l’apex de son rayonnement. L’intrigue, dans ce cadre ambitieux, est pourtant intimiste, et le lecteur ressent assez vite l’impression d’enfermement des victimes de Sernin, isolées dans un lieu à la fois merveilleux et sinistre. À travers les interactions entre le bourreau et ses victimes, tour à tour cruelles, tendres ou truculentes, c’est toute une société qui s’esquisse, avec, en arrière-plan, le parcours de rédemption d’une âme.
Servi par une écriture riche et précieuse, le récit alterne plusieurs points de vue, ce qui peut parfois être déroutant. On hésite sur le protagoniste principal : est-ce Hermine, la nouvelle victime qui, sans le savoir, va tout changer ? Ou bien Agnès, la Parfaite absolue, qui clôt cette histoire lors d’un final époustouflant ? Qui sont les anges, les véritables saints, et les vrais démons ? En vérité, c’est bien de Sernin dont il s’agit : un démon mineur, déchu presque par erreur, pas assez méchant pour faire vraiment peur, ni assez vicieux pour rester en Enfer. Un personnage, qui, par ses ambitions égoïstes et limitées (il désire juste continuer à profiter des beautés de son cloître sans être dérangé, en se nourrissant de quelques âmes de pêcheurs par-ci par-là), ressemble terriblement à l’homme lambda, ce « fils prodigue » et ingrat qu’il jalouse tant. En s’attaquant à des proies trop fortes pour lui, ces cathares qui redonnent un coup de fouet à une foi corrompue et vacillante, il va mettre en danger tout le fragile édifice qu’il a mis tant de temps à bâtir. C’est la sortie de la zone de confort, le moment où tout peut arriver… un choix, forcément coûteux, devra être fait. Le lecteur se trouve baladé dans le labyrinthe du fameux cloître, d’église en châteaux occitans, entre hésitations, doutes, sacrifices et retrouvailles, jusqu’à la conclusion grandiose, qui fait tirer larmes de joie et de peine.
La jeune autrice, Manon Ségur, fine connaisseuse de la région et de la période qu’elle décrit, signe avec ce premier roman une jolie fable d’amour mystique, un peu dans la lignée de Christiane Singer (Seul ce qui brûle) ou Henri Vincenot (Les étoiles de Compostelle). Un thème et un style qui se démarque dans la production actuelle. Le lecteur qui s'intéresse à l'histoire du "pays cathare" prendra plaisir à suivre les indices semés par l'autrice comme autant de petits cailloux (le livre est agrémenté d'une petite liste de références et même par une playlist musicale sur spotify !), à reconnaître certains lieux et/ou références. Entre autres, la ville fictive d'Albeyrac, une sorte d'Albi (Tarn) parallèle, et surtout le cloître, qui pour moi apparut comme un mélange de Fontfroide et Villelongue (Aude). Une plume à suivre, et un roman à emporter avec vous lors de votre prochaine visite d’abbaye, à lire sous l’ombre d’un cloître !
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