La cité de laiton (S.A. Chakraborty)
Résumé : Nahri est une voleuse à la petite semaine qui rêve de devenir médecin, mais survit de charlatanisme dans les ruelles du Caire du 17°. Au cours d’un exorcisme qui tourne mal, elle se retrouve propulsée dans le monde des djinns. Ayant invoqué le « guerrier des djinns » par erreur, elle attire soudain l’attention de toute une société dont elle niait l’existence, celle des élémentaires qui vivent « derrière le voile »...
Attention, énorme coup de cœur ! C’est simple : je ne pense plus qu’à ce bouquin, ses personnages si subtils et son univers incroyable depuis cinq jours. Quelle frustration de devoir attendre pour avoir la suite ! Bref : j’ai adoré.
Pourtant, ce n’était pas gagné. J’ai mis un peu de temps à me décider à lire ce roman, en dépit du matraquage médiatique (je le voyais partout) et de mon intérêt pour les djinns. Je pensais tomber sur une énième fantasy ado coupée à l’emporte-pièce, avec une vague saveur orientale pour faire exotique. Je me suis trompée du tout au tout ! La gravité des thèmes (la guerre, le pardon, la religion, le pouvoir etc), le traitement tout en finesse de ses personnages, la violence sans concession ni voyeurisme le classent dans la catégorie adulte.
L’intrigue met un peu de temps à se mettre en place. Alourdi par une langue un peu paresseuse (et une note de correction oubliée dans le texte…), le début ne me paraissait pas convaincant. Mais au fur et à mesure que le récit gagne en intensité, que les enjeux et les relations entre les protagonistes se dessinent, l’histoire devient réellement passionnante. Les personnages gagnent en mystère et profondeur au fil des pages : on se rend compte que personne n’est ce qu’il semblait être au départ.
Je suis amoureuse de Dara
La relation de Nahri et Dara, au départ plutôt énervante, devient mignonne, puis amusante, et enfin, tragique. Nahri passe de tête à claques à attachante : on se prend vite d’affection pour cette orpheline pauvre du Caire propulsée dans le monde magique et dangereux des djinns. À l’image du reste de ce roman, c’est un personnage plein de surprises, qui se révèle au final très différent de ce qu’elle semblait être au départ. J’ai apprécié qu’on en fasse une femme (et non une gosse) pragmatique, volontiers lâche, qui ne devient ni une super-guerrière énervée ou une princesse tragique. Le deuxième protagoniste dont on suit le point de vue, Alizayd, est un personnage très intéressant, d’une rare complexité : très pieux et moralisateur, d’une naïveté et d’une obstination dangereuses, il est tout de suite très sympathique. Son père, le roi Ghassan, est un politicien effrayant, prêt à tout pour préserver sa conception du pouvoir. Muntadhir et Khanzada sont des personnages qu’on va tour à tour plaindre et haïr. Quant à Dara… je suis tout simplement tombée amoureuse de lui ! De plutôt plat au départ (encore un énième guerrier de plus, pensais-je à tort en le découvrant), il devient de plus en plus charismatique et intriguant au fur et à mesure qu’on en apprend sur lui. C’est l’antihéros épique par excellence, et en même temps, imprévisible et original. L’union des contraires chez ce personnage produit un cocktail détonnant : à la fois brutal et sensible, protecteur et ambigu, fougueux et manipulateur, sarcastique et taciturne… cette psychologie tout en nuances, ses mystères et son lourd passé le rendent profondément attachant. L’envie de découvrir ce qu’il cache et ce qu’il nous réserve pour la suite est un gros moteur pour la lecture du second tome.
Djinns musulmans et divs zoroastriens
L’une des choses que j’ai le plus appréciées dans ce roman, c’est l’utilisation qui a été faite du folklore moyen-oriental. Les djinns geziri qui peuplent les déserts de la péninsule arabique sont convertis à l’Islam, comme les humains qu’ils imitent. Les daevas (on reconnaît aisément la racine indo-aryenne -dev, présente dans les divs iraniens), nom générique de tous ces êtres, parlent le farsi et vénèrent le feu (coucou Zarathoustra). Les péris (les anges/fées opposés aux démoniaques divs dans le folklore iranien) sont, ici, des esprits de l’air. Les efrits (les afrit égyptiens) sont des daevas devenus démoniaques, qui ont refusé de se soumettre à la loi de Souleymane (= Salomon, connu pour son célèbre pentacle, qui sert de protection). On reconnaît la mythologie abrahamique de dieux déchus diabolisés par les trois religions du Livre, transformés en différentes classes d’êtres surnaturels. Certains sont plus ou moins bien intentionnés envers les humains (les djinns musulmans, et encore) tandis que d’autres leur sont carrément hostiles (les efrits et les daevas). Le respect absolu de la structure de toute cette mythologie est vraiment un plus dans cette histoire. On retrouve également quelques personnages « célèbres », tels Qandisha, ou même Darayavahoush (= Darius)… c’est un vrai régal de trouver tous ces petits easter eggs mythologiques !
Je n’ai plus qu’une hâte : me plonger dans ce monde merveilleux à nouveau.
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