Numéro deux (David Foenkinos)

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À travers l’histoire réelle et tragique de Martin Hill, celui qui faillit être choisi pour jouer Harry Potter au cinéma, David Foenkinos s’interroge sur la notion d’échec. Il se fait le porte-parole de tous les « loosers », ou plutôt, des très bons qui sont passés à un cheveu d’un destin hors-norme : Pete Best, « l’homme le plus malchanceux du monde », batteur des Beatles, remercié juste avant qu’éclate leur succès planétaire, Karim, l’acteur inconnu qui manqua de décrocher le rôle qui propulsa Tahar Rahim sur tous les écrans, ou l’auteur lui-même, qu’on devine sous les traits du « finaliste du prix Goncourt de 1978 » remporté par Modiano. Être numéro deux, c’est pire que de n’être rien du tout, nous confirme Foenkinos. Tous ces gens ont en effet l’impression que l’autre, le gagnant, leur a volé leur vie.

« La vie n’a pas de marche arrière. Il avait manqué sa chance, et devait maintenant affronter l’avenir avec ce naufrage. »

Ce qui est terrible, c’est que tout en connaissant d’avance l’issue du casting (personne n’ignore que c’est Daniel Radcliffe qui a incarné HP au ciné), on ne peut s’empêcher de ressentir une pointe d’excitation joyeuse à la lecture des étapes qui menèrent Martin au duel final. Malheureusement pour lui, c’est « l’Autre » qui remporte la mise. L’euphorie du lecteur s’efface au profit d’un sentiment d’angoisse et de malaise, qui ne fera que grandir au fur et à mesure des pages. En effet, le malheureux perdant va vivre une véritable descente aux Enfers comparables aux pages les plus noires de la saga de JK Rowling. Son père, un personnage particulièrement pathétique et émouvant, avec qui il vit seul, meurt, puis il se retrouve sous la coupe d’un beau-père sadique et injuste, tandis qu’autour de lui, le monde conspire à lui rappeler son échec. On prend conscience, terrifié, de l’omniprésence des médias : adoubé par les géants du marketing, le roman de JK Rowling occupe le devant de la scène pendant dix ans, étouffant tout le reste. Impossible pour le pauvre Martin d’échapper à ce qu’il a failli être. Harry Potter est partout, à l’écran, sur les bus, dans les conversations, les t-shirts, jusque dans les bibliothèques des femmes qu’il rencontre. Heureusement, Martin connaitra à la fin une sorte de rédemption, en trouvant l’amour et en faisant, grâce à sa femme, une rencontre singulière qui lui montrera que le propre de l’homme est, justement, l’insatisfaction…

« Ce qui est violent dans l’échec, c’est d’avoir perdu la maîtrise de son destin. C’est la soumission à la décision de l’autre ».

Je ne lis jamais de littérature « blanche ». Et pourtant, ce livre a été une sorte de révélation pour moi, dans le sens où il a fait écho aux échecs de mon propre parcours, sur lesquels j’étais justement en train de réfléchir au moment où il est tombé entre mes mains, par un coup du sort un peu semblable à ceux qui sont décrits dans le livre. La force de ce roman, au-delà de son écriture efficace qui permet une immersion totale du lecteur, de son humour et de son humanité (on ressent vraiment la sympathie que l’auteur a pour son personnage), c’est qu’il parle à tout le monde. Qui n’a jamais vécu une situation d’échec paralysante, le sentiment terrible de déclassement subi après une défaite ? Comme l’auteur le dit lui-même, « il y a si souvent quelqu’un pour prendre votre place, pour vous barrer la route ». La vie peut-être envisagée comme une compétition, dès l’école, avec la course aux meilleurs résultats, au sport, au travail, en amour… l’existence humaine présente sans cesse des occasions où l’on manque, de très peu, d’être « le premier, avant l’apparition de quelqu’un de plus performant » : « toute vie humaine est, à un moment ou un autre, gâchée par une autre vie humaine ». L’auteur en profite pour s’interroger sur ces petits riens qui gouvernent notre existence, et qui peuvent nous faire passer soudainement du succès à l’échec, de la vie à la mort : parfois, il suffit d’un millième pour rater une marche et passer de vie à trépas. Il réfléchit également à la jalousie et l’illusion de la réussite des autres, exacerbée dans nos sociétés par l’omniprésence de l’image et de la mise en scène de soi et la « dictature du (prétendu) bonheur », à travers le cinéma, la publicité, ou encore les réseaux sociaux comme Instagram, qui donne à voir « la vie merveilleuse des gens » et entretient l’impression que la nôtre est « nulle ou ratée ». Martin Hill reprend finalement la main sur son destin lorsqu’il réalise, à la fin du livre, que « sa frustration avait pris source dans le fantasme d’un autre destin qui lui paraissait meilleur » (p. 233). Son parcours est une sorte de catharsis, de méditation douce sur les illusions et la fragilité de la vie humaine. On le commence curieux et amusé, puis désolé, et on en sort un peu soulagé, la larme à l’œil, comme à la fin d’une séance chez le psy. Pour cela, je remercie vraiment David Foenkinos d’avoir écrit ce livre. Merci d’avoir porté la voix des perdants en racontant cet échec d’anthologie, l’histoire de celui qui manqua de peu d’être Harry Potter. En accompagnant Martin Hill jusqu’à la guérison, il m’a un peu tenu la main, à moi aussi !

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