La captive de Dunkelstadt (Magali Lefebvre)
2020
Noir d’Absinthe, collection Fleur d’Absinthe
161 pages
Résumé : Le jeune Émile Dupontel, qui fait son tour d’Europe avant de revenir en France et rentrer dans le rang, voit tous ses plans chamboulés par la rencontre de Katarina von Dunkelstadt, une mystérieuse jeune fille allemande, maîtresse du « château du loup ». Mais celle-ci semble cacher un lourd et dangereux secret...
Voilà un bout de temps que je voulais lire ce roman, qui me faisait de l’œil sur les réseaux. La jolie couverture, l’autrice également chroniqueuse avec qui je partage certains goûts littéraires, les sorties toujours plus intéressantes de sa maison d’édition… toutes les étoiles s’alignaient pour que j’achète ce bouquin. Un petit passage au stand Noir d’Absinthe aux dernières Imaginales m’a fourni l’occasion rêvée de m’y plonger enfin. Mis en priorité sur ma pile à lire, je l’ai fini il y a un mois déjà... Je n’avais pas eu le temps de le chroniquer, c’est désormais chose faite !
Un conte féministe
Mon avis après lecture ? Ce livre est encore un joli petit bijou de chez Noir d’Absinthe. Mon goût pour cette maison se confirme ! On y retrouve les thèmes habituels : le choix revendiqué d’une écriture foisonnante et soignée, les références au roman gothique classique, les thèmes féministes, ou encore l’intervention de monstres traités de manière radicalement différente de ce qu’on trouve en Imaginaire ces derniers temps. Au cours d’une chronique antérieure, j’avais comparé ce roman à une novella de la même ME : Meredith, de Morgane Stankiewiez. Si vous les lisez tous les deux, vous constaterez qu’ils traitent tous les deux ce poncif de la littérature gothique (la rencontre d’un jeune homme romantique et naïf avec une femme à la fois fatale et victime) d’une manière différente. Vous retrouverez d’ailleurs ce point de départ cher à la ME dans Vert-de-Lierre de Louise LeBars, une autre autrice de la maison ! La déclinaison de couleurs sur les couvertures de ces trois romans vous donnera une bonne indication du registre. Ici, on est dans un romantisme plus bucolique, mais toujours gothique !
Ce que j’ai aimé :
- la plume, soignée et poétique. C’est bien écrit, minutieux, surtout dans les passages descriptifs. Un petit extrait pour vous rafraîchir en ces jours de canicule :
« Il goûta aussitôt à la fraîcheur ombrée offerte par les ramures fournies des arbres, feuillus et résineux mêlés. Le sol, tapissé d’aiguilles, était moelleux sous ses pas. Des oiseaux chantaient, invisibles, et leurs trilles s’enroulaient autour des branches comme autant de guirlandes sonores. » (p. 23)
- l’atmosphère, entre le conte et le roman gothique. On revient vraiment aux sources de ce type de littérature ici : à savoir, un protagoniste romantique, qui s’interroge sur la vie bourgeoise et toute tracée qui l’attend tout en rêvant à autre chose, une jeune fille à sauver, un inquiétant mystère à découvrir, qui prend la forme d’une malédiction… sans oublier le décor : une sombre bâtisse, avec une histoire tout aussi sombre, qui fait office de troisième protagoniste en faisant oublier l’antagoniste désigné (la mère, Wilhelmine, dont la présence menaçante hante le roman). Les nombreuses références aux classiques, de Shirley Jackson aux frères Grimm, viennent renforcer cette intention de manière éloquente.
- l’utilisation du mythe du loup-garou, qui apparaît ici à la fois comme une force plus libératrice et positive que violente et patriarcale (à l’opposé, donc, du loup du petit-chaperon rouge ou de la bête du Gévaudan). Malheureusement, à moins de vous divulgâcher le roman, je ne peux pas vous en dire plus. Attendez-vous à être surpris, surtout que ce surgissement du mythe lycanthropique est aux antipodes de ce qui se fait en ce moment !
Ce que j’ai moins aimé :
- la brièveté de l’histoire et du roman (encore une fois, cela peut-être un plus pour beaucoup de lecteurs!). Les chapitres sont courts, concis. Un peu trop peut-être ?
- un aspect un peu « hors-sol » : un léger manque d’ancrage réaliste qui rend certains personnages légèrement caricaturaux (les aubergistes par exemple) et donne un côté « Allemagne de Disneyland » au cadre. C’est souvent le problème lorsque l’action d’un roman se passe à l’étranger et qu’on manque de détails pour véritablement ancrer ce décor et le trouver convaincant. Heureusement, l’aspect conte revendiqué par les références aux frères Grimm permet de justifier ce petit défaut : s’il s’agit d’un conte, on n’a pas besoin de réalisme !
Mon bilan
La Captive de Dunkelstadt fut pour moi une lecture très agréable. C’est le genre de livre idéal à emporter en vacances en montagne (idéalement dans les Alpes ou la forêt noire, bien sûr !), qui prendra une saveur particulière si vous le lisez adossé à un conifère, assis sur un tapis d’aiguilles de sapin, avec l’odeur du bois frais et des herbes de montagnes dans les narines. Un peu comme Carmilla, de Sheridan LeFanu, que j’avais lu en une nuit à l’hôtel du Montenvers, alors que la pleine lune éclairait le glacier (ce qui a participé grandement à l’impression durable qu’a imprimée sur moi ce roman). Son format nomade (ce n’est pas un gros pavé) le rend facile à transporter partout : vous n’avez donc aucune excuse pour ne pas le glisser dans votre valise cet été !
Pour aller plus loin
Après avoir lu ce roman, j’ai eu envie de relire deux livres : Femmes qui courent avec les loups de Clarissa Pinkola Estés et La Compagnie des loups de Angela Carter (la nouvelle dans le recueil du même nom). Le premier est un classique du féminisme et le second une célèbre revisite de contes. Je pense que ces deux livres peuvent apporter un plus à la lecture de ce roman de Magali Lefebvre, surtout si vous voulez approfondir le thème des loups et du féminisme !
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