1) Les interdits de direction
Ce qu’on appelle « interdit de direction » désigne une ancienne croyance d’origine chinoise qui s’est étendue à toute l’Asie avant de s’ancrer au Japon (où on l’appelle « kata imi », littéralement, le « tabou de direction »). Dans l’antiquité japonaise (jusqu’au 12° siècle environ), des almanachs spéciaux servaient à répertorier le trajet des divinités maléfiques et autres esprits de l’autre monde afin de mieux les éviter : c’était même le travail de toute une classe de bureaucrates que de déterminer ces combinaisons précises et malheureuses dans l’espace-temps. On déconseillait, par exemple, de marcher dans la direction du nord-ouest (dite kimon, ou « porte des démons ») à une heure précise, sous peine de croiser le dieu des maladies et de tomber gravement malade. Pour contrer ces influences maléfiques, on construisait des bâtiments religieux sur le trajet supposé des entités malveillantes : c’est ce qui a décidé, notamment, de l’emplacement du temple Enryaku-ji au mont Hiei à Kyôto, qui fait obstacle aux démons venus du nord-ouest. Cette croyance se retrouve dans le feng-shui et continue d’influencer la position du mobilier et la construction des bâtiments en Asie orientale.
Quelques exemples dans des œuvres de fiction asiatiques : le manga Le Mort Amoureux de Junji Itô, le film Hongkongais Rigor mortis, ou encore Le voyage de Chihiro (film d’animation japonais). Dans Le Mort Amoureux, un être mystérieux et mal intentionné arpente les rues les soirs de brume pour souffler des prédictions de mauvais augure aux jeunes filles et les pousser au suicide. Toutes celles qui le rencontrent en meurent. Leurs âmes errantes viennent ensuite hanter les rues de la ville… Dans Rigor Mortis, c’est un immeuble entier qui est la proie des fantômes et de la magie noire. Des êtres terrifiants empruntent le couloir du quatrième étage tous les soirs à la même heure, en emportant les âmes de ceux qui les regardent… Dans Chihiro, les esprits sont à première vue moins effrayants, mais ils n’en sont pas moins dangereux. C’est un parc à thème abandonné qui est l’objet de leur hantise : à la nuit tombée, ils débarquent d’une mer mystérieuse et prennent possession des ruelles vides…
On retrouve cette idée dans le parcours mortel de la terrifiante « dame de l’étang » dans Bly Manor, qui a lieu toutes les nuits à la même heure, sur le même trajet. Il ne faut surtout pas se trouver sur son chemin et ceux qui savent adaptent leur vie en conséquence. Ceux qui ont le malheur de la croiser perdent la vie, mais aussi leur âme, puisqu’ils restent coincés pour toujours dans sa spirale de malédiction… C’est, à ma connaissance, la première illustration de ce trope bien connu des histoires de fantôme asiatiques dans un film d’horreur occidental ! Pourtant, cette peur des mauvaises rencontres possède son équivalent chez nous. Les interdits de direction correspondent à ce que les anciens appelaient les « chemins des fées ». Dans les campagnes, jamais on ne construisait sur le parcours que la rumeur populaire prêtait à des êtres surnaturels. Plus tardivement, les chemins mystérieux qui quadrillent champs et bois furent assimilés à des « lignes telluriques » (ley lines) ou des réseaux d’eau souterraine. Si vous ouvrez l’œil, vous pouvez identifier un certain nombre de ces sentiers abandonnés qui semblent ne mener nulle part... Alors, qui peut bien les arpenter ? On retrouve dans les recensions de littérature orale de nombreuses histoires de malheureux ayant croisé une procession « d’elfes » (pas les gentils de Tolkien – même si l’idée de la « procession des elfes » vient de là, mais des êtres plutôt malintentionnés liés à l’autre monde) ou de « fées » (pas celles de Disney, vous l’aurez compris), trainant des âmes tourmentées dans leur sillage. À la suite de ces rencontres, ces pauvres hères ont, au mieux, perdu la raison… à éviter certaines nuits, donc !
Annotations
Versions